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Grèce : la fraude sociale, 
seule issue possible à la crise
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Pratiques ordinaires

Le taux de suicides en Grèce a augmenté de 45% en un an. Dernier rempart face au désespoir social, la fraude. Inspirés par l'impunité accordée aux escrocs en col blanc, les "petits" sautent le pas pour s'assurer des lendemains meilleurs. De quoi déconsidérer dangereusement les efforts produits par l'État.

Joëlle Dalègre

Joëlle Dalègre

Joëlle Dalègre est maître de conférences à l'INALCO, spécilisée en civilisation de la Grèce. Elle est notamment l'auteur de La Grèce inconnue d'aujourd'hui, de l'autre côté du miroir, l'Harmattan 2011, 252p. En collaboration avec 4 doctorants ou docteurs de la section grecque de l'INALCO.

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Quelle nouvelle mesure fut la goutte d'eau qui vint à bout de la résistance morale d'un retraité de 77 ans et poussa ce pharmacien retraité à se tirer hier une balle dans la tête sur la place Syntagma à Athènes ?

Le gouvernement invoque la dépression, l'Église rappelle que le suicide n'est pas la meilleure attitude à adopter face aux difficultés, le reste de la presse grecque multiplie les rappels sur l'augmentation foudroyante en un an du nombre des suicides dans un pays où, jusqu'alors, le suicide était rarissime, et le public vient en grand nombre déposer des fleurs et des messages sur le lieu de sa mort. On ne parle plus de « suicide » mais de « meurtre ». Tué par qui ? La réponse est unanime... la Troïka (FMI, UE, BCE dont les représentants sont omniprésents à Athènes) ou le gouvernement actuel que le vieillard dans le mot très clair qu'il a laissé qualifie de « gouvernement Tsolakoglou », lui attribuant le nom du général qui a signé la capitulation de la Grèce en 1941 et dirigé le premier gouvernement de collaboration.

En fait, on peut dire que ce geste traduit la saturation du peuple grec, l'épuisement qu'il a atteint après deux ans de harcèlement continuel par des mesures annoncées, complétées, révisées, par des plans successifs, toujours plus sévères et qui ne sauvent rien d'autre que les intérêts des créanciers. Harcèlement fiscal - impôts nouveaux et hausse record de la TVA -, harcèlement financier - baisse des salaires, des primes, des retraites, des prestations sociales -, harcèlement moral - insistance sur la responsabilité globale du peuple grec dans sa débâcle -, etc. Menaces sur l'avenir :  quand le SMIG dépasse à peine les 400 euros nets, la Troïka vient encore conseiller une baisse supplémentaire pour mettre la Grèce au niveau des bas salaires de l'Est européen, annonces vagues mais menaçantes de nouvelles restrictions de personnels et de nouvelles économies, le Premier ministre grec lui-même déclare publiquement qu'il n'est pas sûr que les mesures du dernier « plan de sauvetage » seront suffisantes. L'insécurité permanente ronge les solidarités et l'ensemble du système social.

On peut ajouter à ce bombardement permanent des mesures qui ont entraîné une récession inouïe (mais mathématiquement prévisible) dans le pays et un chômage quasi-égal à celui de l'Espagne, une sorte de rage furieuse et mal contenue contre tous ceux qui viennent noircir l'image du pays : la presse allemande qui a lancé la première l'attaque contre ces paresseux, menteurs et voleurs, les hommes politiques dont les malversations, à droite comme à gauche, sont révélées chaque semaine dans la presse et qui ne peuvent guère sortir dans la rue sans être "yaourtés", les fraudeurs de toute sorte, grands et petits. Car de plus en plus, tout se sait, les services financiers de plus en plus informatisés dressent des listes de mauvais payeurs, d'escrocs aux allocations, contactent les banques suisses, et la presse révèle les scandales, diffuse des listes, montrent quelques grands fraudeurs menottes aux poignets.

Ainsi a-t-on découvert depuis quelques mois, chiffres en mains, l'ampleur de la fraude sociale, 20 000 faux retraités repérés, des indemnités pour familles nombreuses à des couples sans enfants, des morts non déclarés dont la famille perçoit les indemnités, des personnes inscrites dans deux départements, des malades-bidon comme les désormais célèbres aveugles de Zante, les malades mentaux de Kalymnos, les asthmatiques de Béotie, les invalides de Kilkis, les faux orphelins... La presse préfère le  spectaculaire, un policier de 55 ans qui, en 15 ans, s'est fabriqué 19 « faux » enfants, multipliant ainsi par 5 son salaire de 1 000 euros, 7 employés d'un bureau de sécurité sociale qui ont multiplié les allocations versées à leurs familles et amis, et finalement à 500 autres personnes dont ils empochaient les fausses indemnités, une affaire de 25 millions d'euros ! En 6 mois les contrôles effectués par le ministère de la Santé ont permis d'économiser 120 millions d'euros sur les fausses allocations et l'inventaire est loin d'être terminé.

De quoi indigner celui qui voit sa juste allocation diminuée ou payée avec 6 mois de retard faute d'argent dans les caisses, indigner celui qui paye ses impôts (mais oui, ça existe !). De quoi aussi renforcer le mépris du politique quand on apprend que les faux aveugles se multiplient en période pré-électorale, de quoi donner bonne conscience au mauvais payeur qui se trouve en bonne compagnie, et se dit que ses cotisations n'ont pas été gaspillées... De quoi aussi douter de l'efficacité du « sauvetage » car, si la Grèce, classée 80e sur 182 par Transparency International dans le catalogue mondial de la corruption (l'Italie est 69e, la France 25e), en progrès néanmoins en 2011, déploie de grands efforts pour traquer les fraudeurs, elle ne parvient guère à les faire payer !  Ainsi les entrepreneurs poursuivis pour non versement de cotisations - une vraie fortune en jeu - n'hésitent pas à mettre leur entreprise en cessation de paiement pour ne pas payer ! Des mises en demeure ont envoyées à ceux qui devaient plus de 500 000 euros, mais sur 17 grands fraudeurs - 5,6 millions € à eux tous - l'État n'a récupéré que 50 000 euros. Alors ? L'impunité des « gros » (ceux qui sont arrêtés spectaculairement sortent de prison rapidement) continue à justifier les milliers d'escroquerie des « petits »,  à désespérer les honnêtes gens et à déconsidérer dangereusement l'État aux yeux de tous.

Alors le plan de sauvetage va-t-il supprimer la maladie en tuant les malades ? Lorsqu'un vieillard ne supporte plus cette situation, est-il simplement déprimé ? N'est-il pas inquiétant de voir le mal grec s'étendre ? En mars 2012, une marche commémorative a été organisée dans trois grandes villes d'Italie en hommage aux 2 000 petits entrepreneurs qui ont mis fin à leurs jours depuis 2008, une Italienne de 78 ans vient de se tuer en sautant par sa fenêtre après avoir appris que sa pension diminuait de 25%...

Ce n’est pas non plus par hasard si, les trois pays qui sont allés le plus loin dans l’austérité - la Lettonie, l’Irlande et la Grèce - sont précisément ceux qui ont enregistré les augmentations les plus importantes de suicides entre 2008 et 2010.

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