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Grand bond en arrière : les Chinois contraints de reconstruire cette cellule familiale qu’ils ont si méticuleusement détruite
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Famille en péril

Il est désormais obligatoire en Chine de prendre soin de ses parents de plus de soixante ans. Les autorités chinoises ont décrété, suite à de récents faits divers de maltraitance sur personnes âgées, que l’abandon de ses aînés était passible d’une amende voire d’une peine de prison.

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Atlantico : Suite à plusieurs affaires de maltraitance sur personnes âgées, les autorités chinoises ont décidé de sanctionner l’abandon des aînés. Pourquoi de telles mesures ont dû être prises dans un pays traditionnellement réputé fidèle à la notion de famille ? Comment le gouvernement a-t-il pu en arriver à de telles mesures ?

Jean-Vincent Brisset : La notion de famille a beaucoup souffert ces dernières générations. Avant, la majorité des Chinois restait attachée à des clans ou à leur terre d’origine, parfois pour toute une vie. De nos jours, ils s’étendent et s’installent un peu partout dans le pays. Aussi, les gens ne vivent plus sous le même toit, alors qu’avant toutes les générations vivaient dans la même maison. Aujourd’hui, cela serait plus difficile : la mortalité infantile ayant fortement baissé, le schéma  familial a évolué, les membres sont plus nombreux, avec généralement quatre grands-parents, deux parents et un enfant. Le poids sur les épaules des parents est extrêmement lourd, surtout dans un pays où le système des retraites et loin d’être performant. La solidarité est irréprochablement en train de s’effriter, voire de disparaître.

De plus en plus de Chinois partent chercher du travail à plusieurs milliers de kilomètres de leur famille, quittant la campagne pour rejoindre les grandes villes telles que Shanghai, Pékin ou Chongqing. En quoi ce déracinement est-il le résultat de la politique intérieure gouvernementale ?

D’une certaine manière, on peut dire que c’est une conséquence de la politique de l’enfant unique. Auparavant, les enfants servaient de main d’œuvre pour travailler les champs dans une société très rurale. Avec le contrôle du nombre de naissances, le phénomène de désolidarisation s’est largement amplifié, le travail des campagnes étant moins prisé. Il faut savoir que la société chinoise est en pleine mutation avec une urbanisation de plus en plus importante. La localisation de la population chinoise est donc un vrai casse-tête pour les autorités à l’heure actuelle.

Pensez-vous que cette loi puisse changer quelque chose ? Quelles solutions pourraient être préférables ?

Je ne pense pas que cela puisse réellement changer quelque chose. Pour qu’une loi soit appliquée, il faut qu’il y ait des moyens, or la Chine manque d’infrastructures. En France, 40 % des pensions alimentaires ne sont pas payées, donc imaginez dans un pays complexe comme la Chine, avec beaucoup plus d’habitants, des sans domicile fixe et autre, etc. Cette loi est aussi un moyen pour le gouvernement de délocaliser ses populations vers l’intérieur du pays, moins développé. Par exemple, lorsque les gens visitent leur famille en province pour le Nouvel an, les autorités essaient de les empêcher de revenir à Pékin ou dans les autres grandes villes. La solution serait donc, pour ces personnes âgées isolées, de créer des emplois dans les campagnes.

En quoi cette nouvelle loi est-t-elle annonciatrice de la chute d’une dynastie ?

Le  gouvernement ne tient que par la solidarité intergénérationnelle, interprovinciale, interfamiliale, inter-clanique. Si cette solidarité ne fonctionne plus, la légitimité du gouvernement, le « mandat du ciel » selon la conception chinoise, ne fonctionne plus. Dans ce cas de figure, on risque un renversement de dynastie. Tous les gouvernants chinois redoutent cela car ils savent qu’une majorité de la population, surtout rurale, ressent ce phénomène de désolidarisation. Pour relancer la Chine, Deng Xiaoping avaient entreprit des réformes, dans les années 1980, qui ont profité à une minorité chinoise, riche et brillante, aujourd’hui devenue très aisée. Mais presque un milliard de Chinois n’ont pas profité de ses avancées sociales. La péréquation n’est donc pas suffisamment assurée, créant ainsi un écart entre les populations, entre ceux qui réussissent et les autres. Le gouvernement actuel a de vrais problèmes. Il faut qu’il redonne envie de quelque chose au pays, c’est pourquoi ils sont tentés par l’aventure nationaliste, car c’est un des moyens classiques pour ressouder un pays. Mais il y a déjà longtemps qu’il n’y a plus d’objectif commun. 

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