Génération radicale : après le rapport de Malek Boutih, combien de temps encore pourra-t-on ignorer l’existence d’un ennemi intérieur ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Malek Boutih alerte sur l'ampleur de la dérive islamiste au sein de la jeunesse française.
Malek Boutih alerte sur l'ampleur de la dérive islamiste au sein de la jeunesse française.
©Reuters

Jeunes révoltés

Dans son rapport publié vendredi 3 juillet, le député de l'Essonne alerte sur l'ampleur de la dérive islamiste au sein de la jeunesse française. Un phénomène qui s'installe dans un pays qui a échoué à proposer un modèle de société évocateur, dans un contexte de crise économique et de dysfonctionnement de l'ascenseur social.

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar

Farhad Khosrokhavar est directeur d'études à l'EHESS et chercheur au Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (Cadis, EHESS-CNRS). Il a publié de nombreux ouvrages dont La Radicalisation (Maison des sciences de l'homme, 2014), Avoir vingt ans au pays des ayatollahs, avec Amir Nikpey (Robert Laffont, 2009), Quand Al-Qaïda parle : témoignages derrière les barreaux (Grasset, 2006), et L'Islam dans les prisons (Balland, 2004).

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Christian Harbulot

Christian Harbulot

Christian Harbulot est directeur de l’Ecole de Guerre Economique et directeur associé du cabinet Spin Partners. Son dernier ouvrage :Les fabricants d’intox, la guerre mondialisée des propagandes, est paru en mars 2016 chez Lemieux éditeur.

Il est l'auteur de "Sabordages : comment la puissance française se détruit" (Editions François Bourrin, 2014)

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Atlantico : La menace que dissèque Malek Boutih dans son rapport sur la radicalisation est-elle extérieure ou intérieure ? 

Christian Harbulot : La menace est intérieure et s’est déjà manifestée par les récents attentats qui ont frappé la France. Pour l’instant, les personnes en lien avec des groupes islamistes radicaux étrangers qui passent à l’acte sont des cas isolés et d’un faible niveau de force de frappe. Ces terroristes improvisés ou téléguidés s’attaquent à des cibles symboliques mais sans portée stratégique. Les personnes qui partent combattre de l’autre côté de la Méditerranée représentent, pour une petite minorité d’entre eux, un caractère de dangerosité plus important mais la plupart sont connus. Et un retour en France leur posera de gros problèmes sur le plan logistiques pour continuer à être opérationnels dans une clandestinité absolue. Malek Boutih nous alerte sur un autre danger qui prend racine dans la jeunesse d’origine immigrée. Le problème est à mon avis plus large. Nous avons trop de remontées d’informations sur les accrochages verbaux qui minent le quotidien. Et là ce ne sont pas seulement des jeunes mais aussi des personnes plus âgées qui interpellent des femmes dans la rue sur leur tenue, ou qui tiennent des discours sur la démographie qui tourne à l’avantage de la population d’origine musulmane en France, sans oublier les petites phrases du style "convertissez-vous à l’islam" ou bien il va vous arriver malheur (conseil donné à un prêtre en région parisienne par un ouvrier d’origine immigrée qui l’avait pris en sympathie). Cette dégradation n’est pas encore généralisée. Mais elle circule comme de l’essence enflammée dans les entourages des personnes qui sont en témoin. Le malaise de la jeunesse majoritairement d’origine nord-africaine dont parle Malek Boutih a un effet miroir dans l’autre partie de la population, celle qui est encore largement majoritaire.

Farhad Khosrokhavar : Empiriquement, la radicalisation dans ce pays provient des banlieues. Il n'y avait pas de radicalisation parmi les classes moyennes. Mais c'est un phénomène dont l'ampleur dépasse la France. La catégorie des jeunes est une catégorie fourre-tout. Les adolescents, les post adolescents et les jeunes adultes n'ont pas du tout la même structure affective, et il faut les distinguer. Pour ceux qui ont entre 20 et 30 ans par exemple, la dimension idéologique revêt ainsi une importance beaucoup plus marquée, et c'est ce que ce rapport omet dans une certaine mesure.

La plupart de ces jeunes de classe moyenne n'ont pas la moindre idée du maniement des armes, contrairement à ceux issus des banlieues qui peuvent profiter de réseaux souterrains. Leur dangerosité est donc moindre. En revanche, et c'est ce que veut signifier Boutih, c'est qu'il y une conversion idéologique qui elle représente une menace, autant que certains groupuscules d'extrême gauche dans les années 70 qui poussaient à prendre les armes.

Quelle ampleur cet ennemi intérieur a-t-il pris ?

Christian Harbulot : Il faut garder son calme pour mesurer la dimension réelle de cet ennemi intérieur potentiel. Une révolte est possible. La vague de violence qui a secoué un certain nombre de quartiers sensibles lors de la dernière décennie peut se reproduire. En revanche, une lutte armée durable implique un soutien logistique extérieur. Aucun pays ne prendrait ce risque pour l’instant car la réaction française serait très dissuasive. Et Daech n’a pas cette capacité de projection sur un territoire européen.

Le véritable danger réside dans la manière dont les choses peuvent mal tourner à la suite d’un enchainement de violence dans des zones où les populations se regardent depuis longtemps avec beaucoup d’arrières pensées malsaines. Si la jeunesse dont parle Malek Boutih se révolte violemment en rejetant la France, c’est toute la population d’origine immigrée qui risque d’en subir les conséquences.

La guerre d’Algérie est encore très présente dans les esprits d’une partie de la population française. Pour beaucoup, il est clair que Marseille ne sera jamais Oran (je fais référence aux sinistres évènements qui ont marqué cette ville à la fin de la guerre d’Algérie). Ceux qui rêvent d’une prise de contrôle partielle de morceaux du territoire français n’ont pas bien compris ce qu’était un peuple d’origine paysanne et encore moins saisi son comportement imprévisible s’il se sent agressé dans son rapport à la terre. Avant de chercher des solutions constructives (éducation, activisme économique, lutte contre les ghettos), le premier message à adresser à cette mouvance qui se cherche dans les dérives de l’islamisme radical est une prise en compte de cette réalité bien française.

Farhad Khosrokhavar : Ceux qui passent à l'acte sont généralement des jeunes de banlieues. Il n'y a eu que très peu de cas issus de classes moyennes, tout du moins en France. En revanche, ils concernent dorénavant la moitié des combattants partis faire le djihad en Syrie ou en Irak. Mais lorsqu'ils passent à l'acte, lorsqu'ils reviennent de Syrie par exemple, là il y a danger.

L'extrémisme, par définition, demeure ultra minoritaire. C'est ce que j'ai appelé le "héro négatif". Mais lorsque l'on parle des jeunes qui se contentent de ne pas adhérer activement, la frange de la population chez les jeunes augmente significativement. Les démocraties n'offrent plus une utopie enthousiasmante. Aucun jeune ne pense que son avenir sera automatiquement meilleur que celui de ses parents. Cette idée de progrès social n'a plus de jalon dans la réalité. Il y a donc un désenchantement du fait de l'échec politique et économique. Forcément, une "solution globale" qui propose de manière convaincante un paradis aura un écho. Et le registre traditionaliste, patriarcal, qui fait la part belle aux différences hommes-femmes, qui condamne l'homosexualité et les travers sociaux, rassure une jeunesse désorientée.

Existe-t-il un défaut de prise de conscience quant au fait que la société est aujourd'hui confrontée à un ennemi de l'intérieur qu'elle a elle-même enfanté ? Quelles erreurs d'analyse en découlent ?

Christian Harbulot : Il est urgent de stopper les dérives politiciennes opportunistes qui consistent à faire le maximum de concessions pour se mettre le vote immigré dans la poche. La pratique de la religion musulmane en France doit être apolitique. Cela signifie une nouvelle politique étrangère et un coup d’arrêt très net aux manœuvres subversives sous couvert religieux initiées par des puissances étrangères "amies ». Les mosquées subversives doivent être fermées. L’argument des services de sécurité qui plaident leur maintien pour mieux surveiller les agissements des individus dangereux ne tient plus. Il y en a trop et leur nombre n’a cesse de croître si on réfère aux statistiques du Ministère de l’Intérieur.

Mais il est évident que le peuple français doit aussi s’impliquer dans cette redéfinition de son cadre sociétal. Un Français musulman doit  avoir la liberté de réussir dans la société française comme n’importe quel Français. Et beaucoup de chemin reste à parcourir dans ce sens !

Farhad Khosrokhavar : Bien sûr. Les pouvoirs publics, en France ou ailleurs n'ont pas pris la mesure du problème. Charlie Hebdo a été le point de non-retour qui a obligé les pouvoirs publics de cesser d'être laxiste en la matière.

Est-il encore possible de combattre cet ennemi intérieur ? Dans l'intervalle, comment apprendre à vivre avec ?

Christian Harbulot : La France a tous les moyens pour combattre cet ennemi intérieur. Mais il faut être fort et clair. Combattre aux côtés de Daech ou de n’importe quel groupe terroriste de l’islamisme radical, c’est trahir son pays lorsqu’on a la nationalité française. La trahison est la pire des fautes. Elle doit être sanctionnée sans état d’âme. A la libération, il n’y pas eu de pitié pour les miliciens, les Waffen SS français et les collaborateurs des services de sécurité du IIIè Reich. Les criminels contre l’humanité de Daech et consorts ne font pas exception.

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