Francis Collomp, 63 ans et otage de djihadistes au Nigeria : "comment j'ai réussi à m'évader" (partie 1)<!-- --> | Atlantico.fr
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Francis Collomp, 63 ans et otage de djihadistes au Nigeria.
Francis Collomp, 63 ans et otage de djihadistes au Nigeria.
©DR

Bonnes feuilles

Depuis onze mois, Francis Collomp, 63 ans, est otage des djihadistes d’Ansaru, au nord du Nigeria. l’ingénieur français a perdu quarante kilos. Il connaît la violence de ses ravisseurs. Le jour de son enlèvement, chez lui, à Rimi, le 19 décembre 2012, les terroristes ont mené l’assaut à coups d’explosifs. Le 16 novembre 2013, à dix-huit heures, il prend tous les risques pour échapper à ses ravisseurs. Extrait de "L’évasion", publié chez XO Editions (1/2).

 Francis Collomp

Francis Collomp

Otage des djihadistes au Nigéria, il a tenu tête à ses geôliers. Pendant 11 mois, il n’a pensé qu’à une chose : s’évader.

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Le quatrième appel à la prière retentit. En regardant mon cadran solaire, je véri‚e qu’il est bien 18 heures. Le temps est plutôt clément, ça tombe bien. Je me rallonge sur mon matelas. Je planque la petite pièce de métal que j’ai passé l’après-midi à nettoyer. Toujours mon obsession de l’hygiène… J’entends Abdul qui approche. Je me concentre aussitôt. La clé tourne dans la serrure en grinçant. Je connais bien ce bruit maintenant. Abdul actionne ensuite la poignée extérieure, ouvre la porte, la referme, entre dans la chambre. Il n’est pas armé, c’est tant mieux. Alors qu’il se dirige vers la salle de bains sans dire un mot, indifférent, je réalise qu’il a laissé la clé à l’extérieur.

Il l’a fait, putain ! Il a tiré la porte sur lui sans la verrouiller !

Comme les fois précédentes, mon coeur bat à tout rompre. Abdul, lui, est complètement absorbé par ses obligations religieuses. Il repousse la porte de la salle d’eau. Sans s’enfermer, car il n’y a ni serrure ni verrou. Cette fois, je dois me décider vite, très vite. Pendant quelques secondes, je me parle à moi-même. Je m’entends dire : « C’est maintenant ou jamais, Francis, t’as tout prévu, tout préparé. C’est peut-être ta dernière chance. Montre que tu en as dans le ventre… » Je me convaincs que c’est le moment. Je rassemble mes forces, mon énergie, mon attention, déterminé, tendu vers cet unique objectif : leur échapper.

Abdul commence ses ablutions. À présent, il doit être à poil. Et l’eau doit couler sur sa tête. En retenant mon souf#e, j’avance, pieds nus, vers la salle de bains. Délicatement, je plaque l’oreille sur la porte. Je veux savoir précisément où il en est dans son rituel. Au bruit de l’eau, je sais qu’il n’a pas encore attaqué le bas du corps. Je suis dans les temps. Je m’éloigne en longeant le mur et j’en‚le, comme je peux, la paire de tongs. Arrivé à la porte de la chambre, j’attends le moment où les #aques d’eau tombent sur le sol pour l’ouvrir. Tout doucement. Abdul, c’est sûr, ne peut rien entendre. Je fais deux petits pas vers le salon. La voie est libre. De là où je suis, je véri‚e que la porte d’accès à la terrasse est bien accessible. Les deux verrous intérieurs sont fermés, mais le cadenas qu’ils posent pour la nuit n’est pas mis. La clé de ma cellule, elle, est bien restée sur la porte. Tous les signaux sont au vert.

En silence, je reviens dans la chambre. Je referme la porte sur moi. On ne sait jamais : quelqu’un peut arriver par surprise dans le salon et deviner que je cherche à m’évader. Tout en guettant l’eau qui coule, j’arrache la feuille de calendrier où j’ai codé toutes mes notes. Je la plie en quatre, la glisse dans le sac. Je laisse le reste. Relié par un ressort métallique, le calendrier est beaucoup trop encombrant pour que je l’emporte tout entier. Je plie également mon blouson blanc en quatre et le tasse dans mon sac. En une poignée de secondes, tout est prêt. Après avoir enroulé mon chèche autour du visage, je retourne coller l’oreille contre la porte de la salle de bains. L’eau coule toujours. Cette fois, il doit en être au bas du corps : c’est le moment de foutre le camp. Un regard furtif sur la chambre : « Allez, barre-toi, Francis… » J’attrape mon paquetage et je colle ma pièce de métal dans la bouche. Mon sac dans la main droite, mes clous dans la main gauche, j’ouvre très lentement la porte de la cellule. Coup d’oeil dans le salon : toujours personne. Dans la salle de bains, j’entends l’eau tomber de nouveau sur le sol. Avec précaution, très, très doucement, je referme la porte derrière moi. Un geste brusque et je fais tout foirer.

Alors que je commence à donner un tour de clé pour enclencher le pêne, je dois m’arrêter. Le silence est revenu. J’écoute. Je ne bouge plus. J’attends. Mon coeur tape dans ma poitrine. Je ne panique pas. Je garde mon sang-froid. Mes malaises m’ont préparé à ces accélérations cardiaques. Sous mon chèche, ma tête est calme. Abdul, c’est sûr, va recommencer à s’arroser. Je suis dans le timing que je me suis ‚xé. Autour de moi, rien ne bouge. Aucun mouvement préoccupant dans la maison. Et puis le bruit de l’eau sur le sol reprend. Je redonne un tour de clé en me grattant la gorge pour masquer le clic. Abdul est enfermé à double tour. Je retire la pièce de métal de ma bouche et j’essaye de la glisser dans la serrure. Merde ! Elle est trop grosse. Je n’insiste pas. Inutile de m’acharner, de perdre du temps. Abdul est prisonnier, c’est l’essentiel.

Je traverse le salon à pas de loup. Pas de bruits de femmes ou d’enfants. J’ouvre les verrous de la porte ouvrant sur la terrasse. Un nouveau coup d’oeil rapide à droite, à gauche, je ‚le cette fois vers la porte qui donne sur l’impasse. J’essaye de l’ouvrir, impossible, elle est bloquée. Une bouffée d’angoisse m’envahit. Je regarde le mur d’enceinte. Il fait au moins quatre mètres de haut. Jamais je ne pourrai le franchir. Soudain, j’ai peur que tout foire. Si un homme d’Ansaru débarque, je peux mourir sur place. Je me concentre sur la serrure. Je pousse le pêne de toutes mes forces. Il rompt, la porte s’ouvre. « La chance est avec toi, Francis… »

Extrait de "L’évasion", de Francis Collomp, publié chez XO Editions, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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