FN en tête aux Européennes : comment expliquer la jouissance morbide des médias face aux enquêtes d’opinion sur le parti de Marine Le Pen ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Autocollant UMP distribué pendant une réunion du parti à Paris.
Autocollant UMP distribué pendant une réunion du parti à Paris.
©Reuters

Ils l'ont (encore) eu

Pour la deuxième fois, un sondage Ifop pour le Journal du dimanche place le parti de Marine Le Pen en tête pour les élections européennes de 2014, devant l'UMP et le PS. En octobre 2013 déjà une enquête d'opinion attribuait au FN la majorité des intentions de vote.

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier

Arnaud Mercier est professeur en sciences de l'information et de la communication à l'Institut Français de Presse, à l'université Paris-Panthéon-Assas. Responsable de la Licence information communication de l'IFP et chercheur au CARISM, il est aussi président du site d'information The Conversation France.

Il est l'auteur de La communication politique (CNRS Editions, 2008) et Le journalisme(CNRS Editions, 2009), Médias et opinion publique (CNRS éditions, 2012).

Le journalisme, Arnaud Mercier

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Atlantico : Les médias multiplient les unes choc sur Marine Le Pen, relayant parfois complaisamment les sondages positifs concernant la présidente du Front national (FN). Comment expliquer la jouissance des médias face à ces sondages ?

Arnaud Mercier : Le terme jouissance me paraît ici excessif, mais c’est un fait que de nombreux magazines vivent de leur aptitude à déclencher un acte d’achat en kiosque, en plus des abonnements. Il faut donc savoir frapper les esprits, attirer le chaland, ce qui passe souvent par des thèmes accrocheurs, des sujets faisant controverse et polémique.

Les sondages d’intention de vote ou les baromètres de popularité, par leur fréquence régulière, peuvent offrir un moyen de créer une "info" accrocheuse qui possède trois vertus :

  • c’est une information créée de toute pièce par les médias, ils en maîtrisent donc l’agenda ;
  • c’est une donnée qui garantit une certaine répercussion dans les autres médias (publicité gratuite, donc) ;
  • les sondages, assez souvent artificiels par l’hypothèse qui y est testée : "si jamais le vote à la présidentiel intervenait demain…" (alors que le scrutin est dans plus de 3 ans !) savent offrir de "bonnes surprises", des réponses moins attendues, permettant de se projeter dans des hypothèses improbables.

On retrouve ces caractéristiques dans la montée en popularité de Marine Le Pen, qui se traduit dans certains sondages, où une portion plus élevée de citoyens et d’électeurs semblent prêts à lui faire confiance, à lui souhaiter un avenir politique, voire à déclarer vouloir voter pour elle et ses listes FN.

Que ce soit pour s’en désoler, s’en affoler, s’en complaire ou s’en étonner, cette perspective est encore mal acceptée par une majorité de Français, et donc une rupture avec les cadres de perception ordinaire peut mériter une mise à la une pour trouver une audience élargie. Et comme les services marketing possèdent des données précises sur les ventes et les audiences en fonction des priorités éditoriales choisies, si un titre persévère dans cette voie, c’est qu’il sait ce qu’il fait.

Au-delà du caractère "vendeur" de ces unes, les médias aiment-ils jouer à se faire peur ?

Dans le cas d’espèce, les médias ne jouent pas à se faire peur, mais plutôt à faire peur, à "insécuriser" pour donner envie d’acheter, de voir, d’écouter, de lire, pour comprendre et si possible se rassurer.

D'autres partis ou personnalités ont-ils déjà fait l'objet d'une telle fascination/répulsion ?  

La famille Le Pen dans son ensemble est un puissant vecteur d’intérêt du public (surtout par répulsion spontanée). Jean-Marie a donc su lui aussi susciter, avant sa fille, des unes tonitruantes ou inquiétantes, des lancements accrocheurs où des projections électorales en croissance étaient présentées comme une menace bien réelle. Cela a aussi été vrai de Nicolas Sarkozy, dont les postures très clivantes, font qu’il ne laisse personne indifférent, ce qui tend à radicaliser les appréciations (en positif ou en rejet).  Sachant cela, les médias l’ont souvent mis en exergue, pensant attirer ce faisant, à la fois des partisans et des adversaires résolus. François Mitterrand en son temps a pu lui aussi amener un type de couverture identique, faite d’une posture  éditoriale jouant des  tensions entre fascination pour certains, et rejet pour d’autres.

La multiplication des sondages peut-elle avoir une influence sur l'opinion ? Est-on  dans la "prophétie auto-réalisatrice" ?

Ce débat sur les effets des sondages est sempiternel. On sait, grâce aux recherches empiriques conduites sur ce thème, que deux effets opposés peuvent voir le jour : se ranger dans le camp du vainqueur, en contribuant à faire advenir une victoire annoncée ; ou bien se remobiliser face à l’adversité et dans un sursaut aller soutenir son candidat déclaré en grande difficulté dans des sondages. On est certain que les deux effets opèrent en même temps à chaque fois, mais l’équilibre entre l’un ou l’autre est difficile à évaluer et dépend du contexte électoral. Et surtout aucun effet n’est mécanique. Je cite toujours l’exemple de 2002. Tous les sondages, absolument tous, ont prédit jusqu’à quatre ou cinq jours avant le scrutin, un duel Jospin-Chirac pour le second tour. C’est forts de cette donnée, devenue une croyance ancrée, que de nombreux électeurs de gauche se sont sentis autorisés à s’affranchir d’un devoir de "vote utile", de réflexe gauche/droite, au profit d’une dispersion de leur vote sur des "petits" candidats.  Donc, en 2002, s’il y a eu effet des sondages, c’est bien à front renversé, non en instillant dans nos cerveaux le choix à faire, mais en autorisant au contraire des électeurs a priori acquis à se comporter de manière telle qu’ils ont provoqué le résultat inverse de ce que les sondages projetaient comme résultat.

De façon générale, les incertitudes qui planent aujourd’hui autour de l’acte de vote (y aller ou pas ? Plonger vers un vote de rejet radical ou pas ? S’affranchir ou pas d’une logique de vote utile ? Etc.) ces incertitudes sont telles, qu’il convient de prendre avec la plus extrême réserve ces formes de projections électorales, surtout loin de la date du scrutin. Les sondeurs eux-mêmes savent le dire pour qui veut bien les entendre.  

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