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Finie la domination occidentale du porno, la production des pays émergents est en plein boom
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Boogie Nights

Dans de nombreux pays émergents, une industrie locale se crée. Des productions originales, mais peut-être des conséquences à long terme inquiétantes.

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry

Pascal-Emmanuel Gobry est journaliste pour Atlantico.

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Tout se mondialise. Une des grandes industries d'export de l'Occident a traditionnellement été le porno, mais dans ce domaine comme dans d'autres, les pays émergents commencent à concurrencer les pays industrialisés. 

Selon Google, les six pays qui regardent le plus du porno sont tous des pays émergents : le Pakistan, l'Egypte, le Vietnam, l'Iran, le Maroc et l'Inde. Et les consommateurs ont envie de produits locaux. Donc, comme le rapporte le magazine en ligne Ozy, la production locale explose. En Inde, au Kenya, au Nigéria, il y a maintenant une industrie du porno local. 

Le porno local est-il différent du porno de nos latitudes ? Nous n'avons pas vérifié, mais la réponse serait oui. En plus de l'utilisation d'acteurs et d'actrices locaux, et de dialectes locaux, le porno des pays émergents--pour l'instant--est plus "soft" que son équivalent occidental. Et il s'agit moins de films scénarisés--le plombier, la soubrette...--que de vidéos "maison".

Cette nouvelle tendance crée des problèmes. Certains pays cherchent à censurer le porno, mais c'est évidemment difficile, à la fois pour des raisons techniques et juridiques. La Chine a annoncé vouloir effacer le porno amateur de l'internet après qu'une vidéo montrant une scène dans une cabine d'essayage d'un supermarché ait été virale. Un changement dans un pays dont les autorités avaient plutôt promu l'utilisation du porno, comme des autres vices, afin de protéger l'assise du Parti communiste. Sur Baidu, le "Google chinois", il est impossible de trouver une photo des manifestations de Tien-An-Men, mais le moteur est connu comme ayant été le meilleur moteur de recherche de porno du pays. En Inde, un député a essayé de rendre plusieurs centaines de sites porno illégaux--et a dû se rétracter après une fureur publique. Il y a également des problèmes de santé publique : la question des MST se pose dans un secteur jusqu'à présent non régulé.

Un produit d'export potentiellement néfaste

Un autre produit d'origine occidentale qui fait fureur dans les pays émergents est la cigarette. Les fabricants de tabac voient les pays émergents comme des foyers de croissance, puisque les politiques de santé publique contre le tabagisme y sont souvent peu développées, et le public peu informé des risques de santé liés au tabac. Pas sûr que les pays émergents nous soient reconnaissants sur le long terme de ce "cadeau".

En sera-t-il de même pour le porno ? Pour Mary Eberstadt, chercheuse à l'Ethics and Public Policy Center, think tank basé à Washington, DC, le porno est "le nouveau tabac." Au départ, le tabac était simplement un divertissement. Puis, les premières preuves de son aspect néfaste ont commencé à se faire jour. Mais le déni a fait que ces preuves ont mis très longtemps à être acceptées. D'abord parce qu'il fallait une quantité suffisante de preuves. Ensuite à cause des intérêts financiers qui cherchaient à masquer ou à minimiser le phénomène. Mais également parce qu'énormément de gens, en proie à leur addiction, préféraient nier la réalité.

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Or, les preuves commencent à s'accumuler de l'effet néfaste pour la santé de l'addiction au porno, qui est un vrai phénomène. Plusieurs chercheurs pensent que le porno sur internet--en streaming vidéo gratuit et disponible en deux clics--est qualitativement différent. En effet, la sélection naturelle nous a donné un mécanisme physiologique de "goinfrage" lorsqu'il s'agit de la nourriture et du sexe ; la dopamine que génère le sexe et la nourriture inhibe notre sensation de satiété naturelle. Donc comme nous assistons à une épidémie d'obésité, nous assistons à une épidémie -certes moins visible- d'"addiction à l'excitation sexuelle", comme l'indique le chercheur Gary Wilson, qui étudie l'impact neurologique du porno sur internet sur le cerveau. 

L'utilisation accroît l'insensibilité au plaisir, mène à une hyper-sensibilité au porno (et donc à une sensibilité plus faible aux stimulations sexuelles qu'offre le monde réel), et à une baisse de la volonté, donc à un cycle addictif. Le cycle addictif mène à une désensibilisation progressive : il en faut toujours plus pour atteindre le même niveau de plaisir. Toujours plus--ou de la nouveauté.Cette addiction à la nouveauté, qui explique la prolifération de porno mettant en scène des actes et des pratiques toujours plus étranges et éloignées de la réalité.  Comme le décrit le docteur Carlo Foresta, directeur de la Société d'andrologie et de médecine sexuelle d'Italie, ce phénomène mène d'abord à une désensibilisation au porno, puis à une baisse de la libido, puis dans certains cas, à l'impuissance.

Une évolution à suivre

On peut penser que les pays émergents, avec leur porno plus "soft", sont au début du cycle, mais n'y resteront pas. Et il reste à voir quelles seront les réactions à long terme de ces sociétés. Lorsque David Cameron a suggéré l'idée de réguler le porno sur Internet, il a dû faire face à un tollé et s'aplatir tout de suite. L'idée de la réglementation du porno, comme l'idée de mesures anti-tabac dans les années 1950, est absolument impensable dans les configurations actuelles du système politique des pays occidentaux. en sera-t-il de même pour les pays émergents ? On l'a vu, en Inde, une première tentative a échoué, et en Chine, l'attitude du gouvernement est équivoque. Quant aux pays d'Afrique, la plupart de leurs gouvernements ne sont pas en mesure de répondre à la situation. Au Nigéria, dont le "Nollywood"--équivalent africain d'Hollywood--s'est distingué par sa production de films de cinéma, l'industrie du porno est florissante. 

Nul doute que l'essor du porno dans les pays émergents produira aussi des oeuvres dignes d'intérêt. Mais il reste à voir si les conséquences nuisibles seront là également, et comment ces pays y réagiront. 

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