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La femme, ce "ministre du péché"
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À l'appui de nombreuses citations et d'un recueil de textes absolument éberluants, peu connus ou inédits, Pierre Darmon retrace dans "Femme, repaire de tous les vices" l'histoire des discours de la misogynie et du féminisme en France du XVIe au XIXe siècle. Extraits 2/2.

Pierre Darmon

Pierre Darmon

Ancien directeur de recherche au Centre Roland Mousnier (CNRS, UMR 8596), Pierre Darmon est spécialiste de l’histoire de la médecine. Il est l’auteur d’ouvrages sur la variole, les maladies épidémiques, la médecine légale et le milieu médical de la Belle Époque. Il est notamment l'auteur de Pasteur (Fayard, 1995).

On lui doit aussi des essais sur le monde du cinéma sous l’Occupation ou l’Algérie coloniale, de même que plusieurs romans et récits.

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Le mythe de la femme dangereuse n’est pas une invention des ascètes chrétiens, mais le christianisme l’a très tôt repris à son compte avant d’en agiter l’épouvantail jusqu’au seuil du XXe siècle. Pourtant, Jésus avait témoigné d’une si grande compréhension envers les femmes que ses disciples eurent du mal à le suivre dans cette voie. Alors que les Juives, exclues du Temple, n’avaient aucune part à l’activité des rabbins, Jésus s’entoure volontiers de femmes, cause avec elles, les considère comme des personnes à part entière. Aussi, lorsque tous ses disciples sauf Jean l’abandonnèrent, les femmes demeurèrent fidèles au pied de la croix et les quatre Évangiles nous les présenteront comme les premiers témoins de la Résurrection[5].

Mais le « féminisme » de Jésus eut du mal à dissiper les hantises. À l’aube du christianisme, son message est dénaturé par saint Paul. Même si l’Épître aux Galates (III, 8) proclame l’égalité de tous, l’Épître aux Corinthiens (XI, 9) et l’Épître aux Éphésiens (V, 22-24) n’en consacrent pas moins un recul par rapport à la pensée de Jésus : la femme doit être vouée au silence et à la soumission. Malgré tout, on reste loin de l’agressivité de l’Ancien Testament.

C’est Tertullien (155-222) qui renoue avec l’esprit d’Isaïe et d’Ézéchiel dans un discours où il dénonce violemment les menées subversives de la femme. C’est par sa faute que l’homme a été séduit par le diable, et c’est en cela qu’elle a brisé l’image vivante de la divinité et condamné le genre humain à sa perte. Pour se laver de cette souillure, elle devrait porter le deuil à jamais, rester couverte de haillons, se vouer à une pénitence éternelle. Dans le De Monomania, l’aversion de Tertulien pour la femme ira jusqu’à s’étendre à la maternité.

Dans cette tradition, un large fragment du discours théologique reste inspiré par la peur. En soi, sans doute, la chair n’est pas coupable. Elle n’en reste pas moins, selon l’expression de saint Ambroise, le « ministre du péché »[6]. Et ce ministère ne peut s’accomplir que grâce à la complaisance des femmes.

Saint Jérôme reprend le même thème dans l’Épître à l’Océan (début du Ve siècle). Pour lui, la femme incarne « la porte du diable », « le grand chemin de l’iniquité ». Elle donne « la piqûre du scorpion et pour tout dire, elle est d’une race qui produit d’étranges désordres ». La concupiscence l’enivre, elle blesse la conscience de quiconque s’en approche et tout homme doit faire son choix entre « Dieu et cette fournaise de malice ». L’acte sexuel lui inspire un tel dégoût qu’il recommande à la femme de rester vierge.

Pour saint Jean Chrysostome (fin du Ve siècle), « il n’y a point de bête si féroce sur la terre ». La femme est le « poignard du diable ». Les lions, les tigres et les léopards peuvent être domestiqués, à l’inverse de la femme. Et saint Jérôme va encore plus loin dans la dénonciation de cette femme qui n’est que « cendre, foin, sale pourriture qui a tiré son origine d’une vilaine semence »[7].

Aussi voudrait-on reléguer la femme dans un espace clos. Sans doute ne cherche-t-on pas à l’isoler physiquement et saint Jérôme et Tertullien sont les seuls à prétendre qu’une fille doit être cloîtrée et voilée jusqu’aux pieds, qu’elle ne doit jamais sortir sans sa mère et que ses activités doivent se borner à la pratique du fuseau et de la quenouille[8]. Le refoulement est plus subtil. Il vise à neutraliser le rayonnement de la femme. Jamais une jeune fille ne devra regarder un jeune homme[9]. Sa démarche et son maintien ne devront susciter aucun sentiment de trouble[10]. Elle devra marcher les yeux fixés à terre, se refermer sur elle-même et n’afficher que sa modestie[11]. Tertullien ira jusqu’à soutenir qu’une femme ne doit rien faire pour s’embellir et qu’elle doit, au besoin, s’enlaidir pour plaire à son mari en déplaisant aux autres hommes[12].

Les premiers théologiens de l’ère chrétienne s’efforcent encore d’enfermer la femme dans une sorte de carcan vestimentaire. Ils s’en prennent aux fards et aux « ornements dissolus ». Le noir dont les coquettes se badigeonnent les yeux, le vermillon dont elles se barbouillent les joues, les pommades dont elles s’enduisent la peau font l’objet d’une dénonciation en règle. « Le fard est un art sacrilège inspiré par Satan. » [13] Il est une insulte au Créateur de toute chose dont il dénature l’oeuvre originelle. N’altère-t-il pas « la couleur que Dieu a donnée aux femmes »[14]. Pour saint Clément d’Alexandrie, les femmes qui se fardent ruinent et ravagent leur beauté naturelle en lui substituant une beauté étrangère[15]. Les jolies femmes, qui ne doivent plaire qu’à leur mari, ne doivent pas se maquiller, et les laides ne doivent pas s’affubler d’une seconde laideur. La femme fardée n’offre d’ailleurs qu’un reflet fallacieux d’elle-même. Elle ressemble proprement à cette vache qu’un peintre avait représentée avec tant de naturel qu’un taureau s’était précipité sur la peinture[16].

Les parures d’or et d’argent cristallisent la vanité des femmes. La passion des métaux précieux et des bijoux est aussi sacrilège, car Dieu interdit l’extraction de ce qu’il a caché dans les entrailles de la terre[17]. Aussi les femmes s’en servent-elles non seulement pour plaire aux hommes, mais encore pour satisfaire les caprices du diable[18].

Le carcan vestimentaire est conçu par Tertullien comme un juste châtiment. Car « si la femme savait l’horreur de son péché, elle s’habillerait de haillons pourris et se vautrerait dans la poussière et dans les larmes. »[19] Aucune parcelle de son corps ne devrait paraître à la lumière du jour et, à l’image des païennes d’Arabie, elle devrait se retrancher derrière un voile qui tombe jusqu’au dernier de ses cheveux.[20] »

En définitive, la femme est conforme à l’idéal des Pères de l’Église et des premiers théologiens du christianisme lorsque ses yeux se parent de modestie et sa bouche de silence, lorsque ses oreilles ne laissent filtrer que les paroles de Dieu et que le joug de Jésus s’attache à sa gorge[21]. Et pour être sûre de plaire à Dieu, elle devra, selon les conseils de saint Cyprien, rechercher la gloire en souffrant qu’on la brûle, qu’on lui tranche la tête, qu’on la jette aux fauves. Ce sont là, précise ce Père, « les plus riches joyaux de la chair et les meilleurs ornements du corps »[22].


[5] Delumeau, Jean, op. cit., p. 309.

[6]Livre de la suite du monde, ive siècle.

[7] Saint Jérôme, Règle des moines, ch. 48.

[8]Épitre de l’État.

[9] Saint Ambroise, Livre de la pénitence, ch. 13.

[10] Saint Augustin, Epître 109.

[11] Césarée, Basile de (ive siècle), Exposition sur le troisième chapitre d’Isaïe.

[12] Tertullien, Livre de l’ornement des femmes, op. cit., liv. II, ch. 5.

[13]Ibid.

[14] Saint Ambroise, Livre des vierges.

[15] Saint Clément d’Alexandrie, Le Pédagogue, ch. 2.

[16] Saint Grégoire de Nazianze (IVe siècle), Discours contre les femmes qui se parent avec trop de vanité.

[17] Tertullien, op. cit., liv. II, ch. 2.

[18] Saint Augustin, Epître 37.

[19] Tertullien, op. cit., liv. II, ch. 5.

[20]Ibid., liv. II, ch. 17, « De l’obligation du voile », et saint Ambroise, Livre de la pénitence.

[21] Tertullien, op. cit., liv. II, ch. 5.

[22] Saint Cyprien, Livre de la discipline et de l’habitude.

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Extrait de Femme, repaire de tous les vices. Misogynes et féministes en France (XVIe-XIXe siècles) André Versaille (28 mars 2012)

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