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Faut-il privatiser les assurances sociales des indépendants ?
©Reuters / Charles Platiau

Generation Libre

Dysfonctionnel, mal géré, inefficient au regard des objectifs qui lui ont été fixés et désormais illisible, le régime social des indépendants (RSI) fait régulièrement l’objet de toutes les critiques. Generation Libre préconise de donner aux indépendants la liberté de choisir leur assurance et de s’affilier, ou non, au RSI. Selon le think-tank, l’ouverture à la concurrence inciterait les assureurs à offrir un meilleur service et la diversité des organismes d’assurance permettrait d’éviter une nouvelle catastrophe comme le RSI.

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Il n’y a pas un professionnel indépendant ayant eu affaire au RSI qui ne se plaigne pas de ses dysfonctionnements permanents dans le calcul des cotisations, le versement des allocations ou la communication avec ses adhérents. Nombre d’entre eux ont été obligés de patienter des heures ou téléphone pour n’obtenir aucun renseignement ou ont dû s’opposer non sans mal à des mises en recouvrement illégitimes poursuivies malgré leurs contestations réitérées et perdues dans de sombres oubliettes… C’est pour le moins une litanie d’erreurs dans une grande pagaille. Et pourtant, le Régime social des indépendants (RSI) a été mis en place en 2006 pour simplifier la vie des professionnels indépendants concernés. Il s’agissait de regrouper les régimes de retraite et invalidité-décès des professions artisanales (CANCAVA) et des professions industrielles et commerciales (ORGANIC) ainsi que le régime maladie, maternité des non salariés non agricoles (CANAM). Le but était de rendre la gestion des ces régimes plus efficace et moins onéreuse. Hélas, cette fusion administrative a été un échec complet

Une gestion calamiteuse

Aujourd’hui, le RSI dispose de 2,8 millions de cotisants et 6,1 millions de ressortissants. Mais il ne couvre pas l’ensemble des risques ni tous les travailleurs indépendants. Il a la charge de l’affiliation, du recouvrement des cotisations et contributions sociales personnelles et du versement des prestations. En réalité, il délègue une grande partie de l’exécution de ses missions à divers opérateurs : organismes conventionnés (OC) pour la branche maladie et le recouvrement des cotisations des professions libérales (PL), URSSAF pour le recouvrement hors PL. Pour pallier aux graves lacunes déjà constatées, une convention d'objectifs et de gestion (COG) a été signée entre l'Etat et le RSI en février 2012 pour la période 2012-2015 avec l’intention d’améliorer la qualité du service aux assurés et la performance du régime tout en assurant un meilleur équilibre financier. Manifestement, aucun objectif n’a été atteint.

Déjà dans un rapport de septembre 2012, la Cour des comptes avait fustigé le fonctionnement du RSI en observant des défauts d’encaissements évalué à 1,4 milliard d'euros entre 2008 et 2010 et une multiplication de procédures de la part des usagers. Le système d’information est défaillant notait la Cour qui employait à l’encontre du RSI le terme de « catastrophe industrielle » et soulignait « des coûts par agent plus élevés que les autres régimes ». La réforme devait secréter 12,5% d’économies de gestion, mais il s’avère que le budget de fonctionnement annuel du RSI est de 560 millions d’euros annuels, soit 17% plus élevé qu’avant sa création. Un rapport des députés Sylviane Bulteau et Fabrice Verdier remis en septembre 2015 constate, par exemple, qu’en ce qui concerne l’appel et le recouvrement des cotisations, confiées en partie à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) « les échanges de données entre le système d’information de l’ACOSS (SNV2) et ceux du RSI ne s’effectuent pas de manière optimale, conduisant à des pertes d’information en grand nombre » ! Il considère qu’il y a des améliorations parce que « dès 2016, les caisses devront être à même de rappeler l’assuré sous 48h en cas d’appels infructueux répétés », ce qui pour le moins ne semble guère performant ! Le premier ministre français, Manuel Valls, a résumé la situation en déclarant sur BFM TV fin mars 2015 que « le RSI est un désastre ».

De la confusion volontaire

D’une manière générale, le système français d’assurances sociales est devenu illisible, peut-être à dessein pour l’intégrer définitivement au secteur public. Il est enchevêtré dans sa gestion quand certains organismes gèrent pour les autres. Il est surtout confus dans ses financements. Les cotisations sociales ne représentent plus qu’une partie des recettes nécessaires, soit en 2014, 58% des recettes du régime général quand la CSG y contribuait pour près de 20%. Par ailleurs, les régimes de Sécurité sociale reçoivent des transferts, en provenance de l’Etat ou d’autres régimes de la Sécurité sociale pour diverses raisons tenant notamment à la compensation de certaines exonérations ou au concours fourni pour assurer l’équilibre d’autres régimes. En 2014, les ressources de la Sécurité sociale totalisaient 464Md€ et se répartissaient en six catégories, auxquelles il faudrait d’ailleurs ajouter près de 10Md€ pour financer le déficit :

  • cotisations sociales : 64 % des ressources totales en 2014 ;

  • CSG : 16,2 %

  • impôts et taxes et autres contributions sociales : 12,5 %

  • transferts nets (4,6 %)

  • contributions de l’Etat : 1,7 %

  • autres produits : 1%.

Cette profusion de financements a dénaturé le système qui n’a plus d’assurantiel que le nom. Au fur et à mesure que les lobbies exigeaient des remises de cotisation en faveur de telle ou telle catégorie d’assurés, il leur était donné satisfaction à la charge des autres, directement ou au travers de l’impôt à prélever pour combler le trou. Les cotisations ont, par ailleurs, été, les unes après les autres, déplafonnées de telle façon que chacun ne paye plus en fonction des risques encourus, mais à proportion de sa rémunération, ce qui fait qu’il est de plus en plus difficile de revenir à un régime de liberté assurantielle. Mais que faire ? Ça n’est pas en multipliant les partenariats avec d’autres caisses, comme le propose le rapport ci-dessus, que le RSI sera sauvé. Cela ajoutera au contraire de la confusion à la confusion. Ça n’est pas non plus en fusionnant le RSI avec la MSA des agriculteurs ou en le faisant absorber par la Sécurité Sociale, comme certain l’ont préconisé cette fin 2015, ce qui permettrait à un monstre d’en engendrer un pire encore, si c’est seulement possible ! Ça n’est pas non plus en refusant de cotiser au RSI, car en l’état, et malgré des contestations sérieusement étayées au regard du droit européen , les juridictions françaises réaffirment régulièrement l’obligation d’être affilié et de cotiser au régime légal de Sécurité Sociale prévu par le Code de la sécurité sociale, ce qui fait que ceux qui se désaffilient prennent le risque « d’un emprisonnement de six mois et d'une amende de 15 000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement » ( article L114-18 du Code de la sécurité sociale).

L’assurance publique et obligatoire n’est pourtant pas une fatalité

Alors que la loi permet aux ex-entreprises publiques de ne pas adhérer à l'Unédic et aux fonctionnaires d'opter pour des assurances Retraite complémentaires par capitalisation (Préfon, RAFP), pourquoi ne pas accorder aux indépendants la liberté de choix de leur assurance ? L'objection habituelle est que les « gens » n'auraient pas toujours la capacité de gérer leur assurance. Seuls auraient cette aptitude les agents de la fonction publique ! Cette objection est évidemment peu susceptible d'être retenue pour ce qui concerne les travailleurs indépendants, qui sont tous responsables de leurs affaires, petites ou grandes, et habitués à faire des choix. D’ailleurs en matière de chômage, les mandataires sociaux et professionnels indépendants ne sont pas couverts par des systèmes publics d’assurance et ils ont créé des régimes privés d’indemnisation du chômage qui marchent aussi bien sinon mieux. Il s'agit de la GSC (garantie sociale des chefs et dirigeants d'entreprises), ouverte aux chefs d'entreprise en nom personnel et aux dirigeants d'entreprise mandataires sociaux non couverts par le régime Unédic, âgés de moins de 60 ans au moment de leur affiliation et en activité normale. Ou encore de l'Appi (Association pour la protection des patrons indépendants) qui s'adresse aux dirigeants sociaux dont les fonctions prennent fin dans le cadre d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire de l'entreprise ou, sous certaines conditions, de la révocation de leur mandat social. Enfin, la garantie April Assurances s'applique en cas de redressement ou liquidation judiciaire, ou de restructuration liée à une contrainte technique ou économique ; sur option, les dirigeants peuvent également en bénéficier en cas de révocation, sous certaines conditions.

Pour le libre choix de son assurance

En dépit des obstacles, la meilleure solution est donc sans doute que la loi rende leur liberté d’affiliation aux travailleurs indépendants. Pourquoi ceux-ci ne pourraient-ils pas être obligés de s’assurer, mais libres de s’assurer auprès de la mutuelle ou compagnie d’assurance de leur choix, voire auprès du RSI s’ils le veulent ? A condition bien sûr que le RSI ne reçoive aucune aide d’État pour pallier à sa mauvaise gestion. Comme dans le système d’assurance automobile, chacun pourrait choisir non seulement son assureur, mais aussi sa couverture d’assurance dans un cadre a minima éventuellement fixé par la loi. La concurrence entre les assureurs inciterait ceux-ci à offrir des contrats performants en coût et en service à leurs clients. Certains préféreraient sans doute payer moins cher en acceptant une franchise plus élevée. D’autres souhaiteraient une assurance tout risque… La diversité des organismes d’assurance, sociétés ou mutuelles, éviterait des catastrophes comme celle que connaît le RSI depuis dix ans.

Les assureurs n’offrant pas de bons services ne resteraient pas sur le marché car quand un assuré ne serait pas satisfait, il pourrait changer d’assureur, ce qui aujourd’hui n’est pas possible. Les derniers comptes du RSI, connus pour 2014, font apparaître des charges de 22 731 millions d’euros couvertes notamment par des cotisations nettes de 11 042 M€, 3 541 M€ de CSG et 2 572 M€ de C3S. La branche maladie du RSI est exclusivement financée par ces ressources. Mais les branches vieillesse des commerçants et des artisans bénéficient de compensations en provenance d’autres régimes pour respectivement 11% et 22% de leurs ressources dans le cadre des mécanismes de compensation mis en place en 2074. Il conviendrait donc dans un premier temps de laisser les professionnels indépendants choisir leur assurance maladie maternité en dissociant ce qui relève de l’assurance de ce qui appartient à la solidarité. Les risques communs devraient être couverts par leur assurance librement souscrite tandis que les risques lourds (handicap, longue maladie..) et l’aide sociale aux plus démunis continueraient d’être pris en charge par un régime financé par la CSG et autres taxes.

La réforme des retraites devrait s’accomplir parallèlement en permettant aux professionnels indépendants de souscrire des couvertures de retraite de leur choix, notamment des contrats de capitalisation susceptibles de se substituer progressivement, pour ceux qui le souhaiteraient, aux contrats de répartition actuels. Le RSI est donc une chance, parce qu’il peut permettre, plus facilement que dans d’autres régimes, d’engager une démarche de retour à un système assurantiel de libre choix. Faisons cette expérience avec les Indépendants. Il sera temps ensuite de la généraliser à tous si ça marche. Un tel système serait sans doute pertinent, moins onéreux et plus efficace pour tous les assurés, y compris ceux relevant des régimes salariés affiliés à la Sécurité sociale. Mais quand bien même il ne coûterait pas moins cher, il aurait au moins le mérite d’obliger les assurés à cet apprentissage de la responsabilité qui est la clé de toute économie ouverte et dynamique.  

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