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Eviter le grand naufrage européen est-il encore possible ?
L’état du monde vu par la crème
des économistes français
aux rencontres d’Aix...
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Rencontres

Les rencontres d'Aix, souvent présentées comme le "Davos français" ont réuni ce weekend un panel d'économistes , d'hommes politiques et d'universitaires du monde entier. Leur expertise permet de dresser un état des lieux des problématiques et défis auxquels le monde doit faire face.

Jean-Jacques Netter

Jean-Jacques Netter

Jean Jacques Netter est vice-président de l’Institut des Libertés, un think tank fondé avec Charles Gave en janvier 2012.

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Il y avait beaucoup de monde le weekend dernier aux Rencontres Economiques d’Aix en Provence organisées par Jean Hervé Lorenzi, Président du Cercle des Economistes. Cet événement est souvent présenté comme « le Davos français » d’abord parce qu’il se passe sous le grand soleil et la chaleur de la Provence et non pas dans les neiges et le froid des Alpes et ensuite parce que les présentations se passent dans des locaux universitaires ouverts à tous. Cela n’empêche absolument pas le « off » sous la forme de cocktails, diners et manifestations autour du Festival d’Aix en Provence, organisées par les sociétés qui financent l’événement.

Le plateau des intervenants est toujours très intéressant. Il mélange, venant du monde entier, de grands chefs d’entreprise, des hommes politiques, des représentants de grandes institutions internationales et des universitaires. Voilà les principales idées que l’on peut retenir des débats auxquels nous avons assisté.

L’Europe a encore des atouts, mais il faut aller très vite

L’Europe est engagée dans un cercle vicieux pour Nouriel Roubini de Stern School New York. Le très médiatique économiste, qui passe régulièrement en boucle sur Bloomerg TV et CNBC n’a pas fait dans la nuance. La première route possible pour l’Europe c’est l’union fiscale, puis l’union bancaire et très vite l’union politique. La deuxième route c’est celle de la désintégration de l’Euro puis de celle de l’Europe. C’est selon lui la plus probable aujourd’hui.

Confrontée à une triple crise : crise de dette souveraine, crise de dette bancaire et crise de compétitivité, l’Europe ne possède pas de mécanismes d’ajustement comme les dévaluations pour compenser les différences de compétitivité entre pays. Si la BCE a fourni de la liquidité pour éviter le blocage complet du système financier, cela ne peut être que temporaire pour Benoit Coeuré économiste Membre du Conseil Exécutif de la  BCE.

L’Europe est dans l’improvisation permanente pense Peter Sloterdijk, le grand philosophe allemand. Son dernier livre, Palais de Cristal, est une histoire de la modernité, métaphore de la clôture sur eux mêmes des nantis occidentaux. Le palais de cristal est menacé, comme l’Europe, car il n'arrive pas à mettre au point des politiques démocratiques de "recharge d'énergie". Les rythmes de la réflexion démocratique sont bafoués. Il y a un manque de contact extraordinaire entre les dirigeants de l’Europe et les opinions publiques. La temporalité de la réflexion ne colle pas avec la temporalité de la décision.

En écoutant Cecilia Malmström, une suédoise Commissaire européen chargée de la police, du contrôle des frontières et des migrations, on pouvait comprendre pourquoi les opinions publiques ont du mal à comprendre ce qui se passe à Bruxelles. Sans aucune nuance, sur le sujet de l’immigration, elle a déclaré que "nous avons besoin de faire venir des millions de gens qui ne se trouvent pas en Europe", et ensuite "le printemps arabe a montré que le modèle européen était attractif"… On avait envie de lui conseiller de relire Le Camp des Saints de Jean Raspail. Ce roman-brûlot, paru en 1973, raconte l'arrivée d'un million d'immigrants africains sur les côtes européennes.

Il faut débrancher les banques de leurs états de tutelle pour éviter la contamination entre pays touchés et pays sains a dit David Thesmar, professeur à HEC.

La chance de l’Europe, c’est d’avoir en matière de recherche et d’innovation des laboratoires de recherche mixtes, pense Jean Pierre Clamadieu, Président de Solvay.

Il faut jouer collectif a quant à lui estimé Michel Barnier, Commissaire Européen. La construction de l’Europe ce ne peut être que compliqué, ce n’est pas une épreuve de tir au but.

L’Europe se sous estime et se vend très mal, a expliqué Ana Palacio, Membre du Conseil d’Etat espagnol. La difficulté du moment est qu’il faut à la fois être pompier et visionnaire. Le monde d’aujourd’hui a besoin d’une Europe qui a de l’ambition, selon elle.

Nous sommes beaucoup trop pessimistes sur l’Europe a quant à lui expliqué l'ex-président de la BCE Jean Claude Trichet. A titre d’exemple, il a cité les créations d’emplois entre le 1er janvier 1999 et le 31 décembre 2011 : 14,5M en Europe contre 8,5M aux Etats-Unis.

En France, les PME sont en grand danger

En France, le coût de la main d’œuvre n’est plus le seul facteur à prendre en considération pour décider d’implanter une usine, a expliqué Bruno Cercley le Président de Rossignol. Au moment où Ford délocalisait ses usines Toyota prenait la décision d’en construire aux Etats-Unis. C’est selon lui Toyota qui avait raison.

La flexibilité dans le monde du travail doit être introduite rapidement recommande Luca Silipo de Natixis Asie. Observant de Hong Kong que l’attitude des syndicats vis à vis des entreprises n’est pas antagoniste, il souhaite que l’attitude des syndicats change car sinon il ne sera pas possible d’améliorer la compétitivité.

Les PME sont actuellement en grand danger a prévenu Gérard Mestrallet patron de GDF Suez. Pour lui, qui n’est pas précisément un patron de PME, la crise bancaire va avoir un effet dépressif sur la croissance. La France sera plus touchée, car les entreprises se financent à hauteur d’un tiers sur les marchés et de deux tiers auprès des banques. Ces chiffres sont l’inverse de ceux des Etats-Unis, dont les banques ne respecteront même pas Bâle II. Le tissu des PME est très vulnérable. Il faut très vite redonner le goût de l’entrepreneuriat en injectant de la liberté dans le système.

Tous les dossiers de financement ne sont plus étudiés selon leurs mérites et les risques qu’ils présentent, mais selon l’impact qu’ils auront sur les contraintes de Bâle III. Rémy Weber de CIC Lyonnaise de Banque pense qu’il faudrait s’intéresser beaucoup plus aux petits projets qui créent des emplois. Les collectivités locales qui trouvaient plutôt facilement des financements chez Dexia ne les trouveront plus et ne les obtiendrons pas des banques classiques, compte tenu des contraintes de Bâle III.

L’épargne qui est un des rares atouts de la France devrait irriguer les investissements productifs. Pour le moment, on est dans la répression financière qui  a pour objectif de cannibaliser l’épargne des ménages vers l’état et non pas vers les entreprises.

Les entreprises auront beaucoup de mal à se financer en bourse à cause des nouvelles régulations imposées par  Bâle III et Solvency II, car les compagnies d’assurance et les banques sont désormais totalement dissuadées d’investir dans des actions. Selon René Ricol de Ricol Lasteyrie, ces mesures ne seront pas mises en place, mais elles auront fait beaucoup de mal. Tous les freins sont serrés, surenchérit Eric Lombard de BNP Paribas. Le tissu social pourrait ne pas résister à une aggravation de la crise. On vit dans un monde où les assureurs ne peuvent même plus acheter des actions et des obligations d’entreprise. Il faut absolument défendre les entreprises dans un monde qui ne les aime pas lance Serge Villepelet de PWC.

Le financement, n’est pas le problème essentiel des entreprises. Patrick Artus, chef économiste de Natixis, pense qu’il est urgent de faire baisser le coût du travail en baissant les charges sociales supportées par les entreprises.

Il faut très vite redonner de la confiance aux chefs d’entreprise en France, dit Louis Gallois Commissaire Général aux Investissements, ancien Président d’EADS.Il faudra trouver des fonds pour financer des investissements d’avenir. Cela devra être réalisé pour lui dans le cadre de coopérations public privé européennes englobant le dialogue social.

Les trois cartes à jouer de la France dans un cadre européen sont d’après Didier Lombard, Président du Conseil de Surveillance de ST Microelectronics, celle de l’énergie, des télécoms et des transports. Si les investissements sont effectués, cela contribuerait à ramener le soleil au dessus de l’Europe.

Pierre Moscovici, ministre de l’Economie, a salué sans les nommer, les nombreux économistes présents dans la salle, qui avaient conseillé pendant la campagne l’équipe de François Hollande (1). Il a redit que le retour à l’équilibre budgétaire était prévu pour 2017 sans hausse de la TVA et sans augmentation de la CSG. Dès l’automne, a-t-il ajouté, il faudra agir pour les PME sans donner aucune précision sur les mesures envisagées. Christian Saint Etienne, économiste et professeur au CNAM, qui ne fait pas partie des économistes qui s’étaient prononcés pour François Hollande, était extrêmement sceptique. En "opposition totale" avec les premières décisions du gouvernement, l'économiste a annoncé le 1er juin 2012sa démission du Conseil d'analyse économique, chargé de conseiller le premier ministre.

En Allemagne quand il y a un feu rouge tout le monde s’arrête sans discuter. Dans l’Europe du Sud et en France, un feu rouge, c’est un point de référence qui ne doit pas obligatoirement être respectéfait remarquer en souriant Wolf Klinz, membre du parlement européen représentant l’Allemagne.

Lesystème allemand de formation par l’apprentissage est très bon, fait remarquer Michael Burda de l’Université Humboldt à Berlin. Curieusement, en France, la taxe d’apprentissage va pour l’essentiel aux grandes écoles et très peu à sa fonction première qui est l’apprentissage.

L’Amérique a une forte capacité de rebond

L’Amérique va se réindustrialiser prévoit Robert Koopman, membre de la US International Trade Commission. Cela se passera dans les deux ans qui viennent grâce à la hausse des coûts de production en Chine, la hausse du Renminbi et surtout à l’accès à l’énergie bon marché (Gaz de schistes). Les Etats-Unis vont devenir un paradis énergétique. Grâce à cette perspective, il devrait y avoir 50 milliards de dollars d’investissements dans les années qui viennent. Les autorités européennes semblent ne pas s’en être aperçu regrette Jean Pierre Clamadieu, Président de Solvay.

Ne sous-estimons pas les capacités de rebond de l’Amérique. Ils ont 40% des meilleures universités mondiales. Le monde entier rêve d’aller étudier en Amérique. Leur puissance militaire représente plus que les 20 pays qui les suivent.

Délocalisations : les chaines de valeur ont été déconstruites pense Jean Marie Chevaler du Cercle des Economistes. Aux Etats-Unis la diminution des emplois industriels est due à 20% seulement aux délocalisations

L’ Afrique est une chance pour les pays développés

Tout le continent africain a un momentum fort explique Lionel Zinsou, patron de PAI Partners. Il pense que l’annulation de la dette est le moyen le plus efficace pour relancer l’économie de pays incapables de rembourser leur dette. On l’a fait pour l’Afrique, il faudrait le faire pour la Grèce avance-t-il. Il faut selon lui investir dans la technologie et le financement d’infrastructures en Afrique. Un des fonds d’investissement qu’il admire le plus est le « 7 miles Fund » de Bob Geldoff. Les 7 miles étant la distance qui sépare à Gibraltar le continent européen du continent africain.

La préservation des eco-systèmes doit être prise en compte par les grands groupes

Les organisations internationales sont affaiblies, les enjeux planétaires ne sont pas assumés. Michel Aglietta du Cercle des Economistes a expliqué que notre monde n’avait pas encore reconnu la réalité écologique. Il faut selon lui changer les systèmes comptables pour qu’ils expriment les justes valeurs en intégrant la totalité des coûts. Zhu Min, collaborateur de Christine Lagarde au FMI, a présenté une série de graphiques permettant d’avoir une idée totalement différente du monde selon les angles sous lesquels on le regardait. On en retirait l’idée d’une très forte interdépendance entres les pays, les continents et les groupes auxquels ils appartiennent. Lucas Seligmann, patron de l’ONG Conservation International, a montré comment avec beaucoup d’efforts il était arrivé à travailler avec Wal Mart pour intégrer dans leur développement la préservation des écosystèmes.

(1) Les économistes qui ont soutenu François Hollande sont : Philippe Aghion (Harvard), Michel Aglietta (Paris X Nanterre),Daniel Cohen (ENS), Elie Cohen (Sciences Po), Jean Hervé Lorenzi (Paris Dauphine),Thomas Piketty (EHESS), Françoise Bélorgey (Irest), Françoise Benhamou ( (Paris XIII), Julia Cagé (Harvard), Thomas Chalumeau (Sciences Po), Brigitte Dormont (Paris Dauphine), Samuel Fraiberger (New York University), André Gauron (Cour des Comptes), Jacques Mistral (Harvard), El Mouhoub Mouhoud (Paris Dauphine), Fabrice Murtin (Sciences Po), Dominique Namur (Paris XIII),, Thomas Philippon (New York University), Romain Rancière (Ecole d’Economie de Paris), Laurence Taubiana (Sciences Po), Joëlle Toledano (Supélec). (Le Monde 18/04/2011)

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