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Le ministre italien de l'Économie et des Finances Giancarlo Giorgetti serre la main de Bruno Le Maire lors de la réunion des ministres des Finances du G7 à Stresa, le 24 mai 2024.
Le ministre italien de l'Économie et des Finances Giancarlo Giorgetti serre la main de Bruno Le Maire lors de la réunion des ministres des Finances du G7 à Stresa, le 24 mai 2024.
©GABRIEL BOUYS / AFP

Discipline budgétaire

Accusée d'être la mauvaise élève de l'Europe en matière budgétaire et économique, plusieurs critères peuvent expliquer les difficultés de l'Italie par rapport à ses principaux partenaires de la zone euro.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Philipp Heimberger vient de publier une étude dans laquelle il entreprend une réévaluation critique des explications du déclin de l’Italie. Quelles sont ses principales conclusions et ses idées novatrices ?

Michel Ruimy : Il est traditionnellement avancé que, depuis le traité de Maastricht, les difficultés économiques et financières de l’Italie résident dans le fait que ce pays n’a pas voulu ou n’a pas pu mettre en place puis maintenir une discipline budgétaire mais également mettre en œuvre des réformes structurelles basées sur les meilleures pratiques européennes en matière de libéralisation du marché. L’idée que la zone euro pourrait se porter mieux sans l’Italie s’est ainsi très répandue dans certains pays de l’Union européenne, en particulier en Allemagne. Très endetté et peu enclin à se réformer, le long déclin de notre voisin transalpin serait responsable de l’instabilité de la zone euro dans son ensemble.

Philipp Heimberger conteste cette idée en apportant une autre vision. Il soutient que les interactions entre les conditions institutionnelles nationales et les contraintes politiques imposées par l’intégration monétaire européenne et la mondialisation environnante peuvent expliquer, dans une certaine mesure et de manière plausible, la décrépitude de l’Italie par rapport à ses principaux partenaires de la zone euro. En effet, depuis les années 1990, contrairement à ce que l’on peut croire, l’Italie est l’un des pays les plus performants en matière d’assainissement budgétaire et de réformes libérales, y compris sur le marché du travail. Le niveau atteint par l’endettement public et la baisse tendancielle de la productivité qui a entraîné des pertes significatives en termes de niveau de vie et qui ont débouché sur une croissance économique faible, ne seraient que l’héritage des politiques menées dans les années 1970-1980.

Au regard de son étude et de son évaluation, en quoi les maux économiques de l’Italie n’étaient pas du tout ceux qu’on lui attribue d’ordinaire ?

Lorsque l’Italie a signé le traité de Maastricht (1992), beaucoup ont fait valoir que cette adhésion à l’Union européenne favoriserait la modernisation du pays en obligeant les pouvoirs publics italiens à faire des choix politiques difficiles et à faire face à de fortes contraintes de politique intérieure. A cet égard, en suivant plus scrupuleusement que la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni…, les recommandations promues par certaines institutions (Commission européenne, OCDE…), différents gouvernements ont entrepris, depuis les années 1990, d’importantes réformes structurelles (marché du travail, financement des retraites…).

Or, si nous considérons le marché du travail par exemple, sa déréglementation / flexibilisation aurait dû, en théorie, accroître la compétitivité-coût unitaire de main d’œuvre des entreprises, leur permettant de gagner des parts de marché à l’exportation. En pratique, si la politique monétaire déflationniste menée depuis les années 1990 a permis la baisse des salaires et la maîtrise de l’inflation, elle n’a pas incité les entreprises à réaliser des investissements, en particulier dans les secteurs de haute technologie, leur permettant d’accumuler des capacités technologiques. Les réformes visant à libéraliser le marché du travail n’ont ainsi pas autorisé la croissance de la productivité, ce qui a contrecarré les améliorations de la compétitivité.

Les facteurs structurels nationaux en Italie ont-ils été pointés du doigt à mauvais escient à cause des contraintes de politique internationale ?

L’Italie est la troisième économie de la zone euro (importance systémique), derrière l’Allemagne et la France. Elle a tissé, au cours du temps, des liens commerciaux étroits avec le noyau industriel de l’Europe. Du fait de l’importance de ces relations intra-communautaires et celle de son système bancaire, les difficultés de l’Italie (polarisation Nord-Sud de longue date, faible croissance de la productivité, vieillissement de la population, copinage, instabilité gouvernementale…) préoccupent les autres États-membres, qui ont tout intérêt à ce que la situation évolue positivement. C’est oublier que l’Italie, comme d’autres pays européens, a ses propres problèmes structurels.

Au lieu de s’interroger sur la contribution des erreurs de la politique européenne lors des crises passées à la dégradation de la situation, comme, par exemple, lors de la crise des dettes souveraines, l’incantation demandée aux gouvernements de s’engager plus profondément dans des politiques macroéconomiques déflationnistes contre-productives, ces maux ont focalisé, façonné voire standardisé une grande majorité des déclarations et discours publics sur l’Italie, réalisés dans les médias et/ou tenu dans les cénacles politiques. L’idée qui en a progressivement émergé, sans prendre en compte la situation réelle, est que l’économie italienne devait être davantage libéralisée pour éviter une stagnation économique tandis que les gouvernements devaient assurer une plus grande stabilité politique.

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