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Et si la vraie menace pour Nicolas Sarkozy dans les primaires était largement autant François Fillon qu’Alain Juppé ?
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Calife à la place du calife ?

Selon Carine Bécard, journaliste politique à France Inter suivant la droite, François Fillon pourrait jouer le rôle d'invité surprise lors des primaires LR. Face à un Alain Juppé relativement sur le déclin et un Nicolas Sarkozy combatif mais en manque d'élan, l'ancien "fusible" du Président du précédent candidat aurait même la place pour tenter de prendre sa revanche...

Carine Bécard

Carine Bécard

Carine Bécard est journaliste politique à France Inter.

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Atlantico : Selon vous, François Fillon pourrait-être le challenger surprise des Républicains lors des primaires. Pour quelles raisons ?

Carine Bécard : En regardant la trajectoire de François Fillon, on voit qu'il a très mal géré son année 2015 jusqu'en septembre. Il a pensé qu'il pouvait imposer de lui-même les thèmes sur lesquels il avait envie de s'exprimer. Le problème c'est qu'il n'y a que le gouvernement et la majorité qui sont capables de faire ça. Ils sont les seuls à pouvoir imposer le calendrier. Quand François Fillon parle tout seul de l'éducation, de la sécurité, de l'économie numérique etc. c'est repris nulle part et ça n'intéresse pas car ce n'est pas ce qui s'impose à ce moment-là dans l'actualité. Il était donc complètement transparent. Il avait beau avoir des idées, ses idées, parfois originales, singulières, intéressantes, n'étaient jamais reprises. C'est vraiment un problème de communication politique de la part de François Fillon et de son équipe. Mais malgré tout, cela veut dire qu'il a travaillé et qu'il est prêt sur un certain nombre de sujets. On arrive en septembre, son livre se vend plutôt bien, il a été très bien perçu par un certain nombre de parlementaires avec qui il a pu parler et qui se sont reconnus dans le livre. C'est lié au fait que François Fillon c'est cet homme qui vient de la province, qui a réussi, qui a franchi les étapes unes à unes, qui est monté haut, même très très haut. Cela fait que beaucoup de parlementaires aimeraient avoir le même cursus que lui et se retrouvent dans ce parcours-là.

Par la suite l'actualité s'est accélérée, notamment avec les attentats. Sa parole pendant cette période était celle d'un ancien Premier ministre qui a donc pleinement voix au chapitre. Il a objectivement la carrure d'un homme d'Etat ce qui suscite l'attention quand il s'exprime. Par ailleurs, qu'on soit d'accord ou pas, il a dit des choses plutôt justes, ou en tout cas qui étaient parfaitement audibles par une grande part des Français. Je pense à ce qu'il disait sur la Syrie, sur la Russie, ou sur la sécurité.

Quelles sont les propositions concrètes qu'il a proposées qui vous font penser qu'il aura ce rôle de trouble-fête ?

Typiquement il a été un des tous premiers à parler de la relation que la France devriat avoir avec Vladimir Poutine. Il tient ce discours-là depuis des mois et des mois, il a écrit des tribunes au moment de la crise avec l'Ukraine pour dire "ne nous éloignons pas de Vladimir Poutine, ne le marginalisons pas, ne le provoquons pas, il reste un partenaire avec lequel l'Europe doit absolument travailler". Tout d'un coup il a redit les mêmes choses, mais dans le cadre de l'intensification de la crise syrienne et de ses liens avec les attentats, son discours a pris de l'ampleur. On s'est dit "il a peut-être raison". C'est cela qui lui a permis de faire son retour dans le jeu. A partir de là, je ne dis pas qu'il est en train de décoller – il intéresse toujours assez peu nos rédactions – mais les observateurs politiques qui s'intéressent à la droite se disent de plus en plus que François Fillon n'est pas mort. On a longtemps raconté qu'il pourrait lâcher l'affaire, ne pas aller jusqu'au bout de sa démarche pour la primaire et éventuellement se rallier à Alain Juppé, on se rend compte finalement qu'il est vissé sur son fauteuil, que ses intentions sont toujours les mêmes et qu'on est à la fin de l'année 2015 et que finalement il prendrait plutôt un peu d'ampleur qu'être en train de quitter la scène.

Les Français et le personnel politique ont-ils tiré un trait sur le passé de "fusible" de François Fillon, éternel second de la vie politique française ?

C'est une question particulièrement centrale. Tout le problème aujourd'hui de François Fillon se situe-là. Je crois pour ma part qu'il est toujours dans la boucle, mais le problème essentiel de cet ancien Premier ministre c'est qu'on le sent plus à l'aise dans les rôles de numéro 2. Il ne donne pas l'impression d'avoir un état d'esprit, un caractère de leader. Cela se voit notamment à travers les gens autour de lui, son équipe et les très nombreux parlementaires qui l'entourent. Ils ne sont pas emmenés dans une espèce de souffle. Il ne se comporte pas comme un leader. Par ailleurs si on observe son cursus politique, c'est un éternel numéro 2 parfait. Il a toujours été plutôt derrière quelqu'un. Toute la question de François Fillon aujourd'hui, c'est de savoir si cet excellent numéro 2, qui a écrit le programme de Nicolas Sarkozy en 2007, qui a été ministre de plusieurs présidents, qui a toujours beaucoup œuvré, beaucoup travaillé, va pouvoir un jour mettre ce travail à son service. On a le sentiment que cette mue, il n'est peut-être pas capable de la faire.

A-t-il les épaules assez larges pour faire jeu égal avec NIcolas Sarkozy et Alain Juppé qui semblent être de coriaces animaux politiques ?

Sur cette question, je crois qu'on se trompe sur François Fillon. On n'est pas Premier ministre par hasard. Et on ne reste pas non plus par hasard à ce poste pendant cinq ans. Tout le long de sa mission de Premier ministre, François Fillon n'a eu de cesse d'entendre dire qu'il y a avait plein d'autres "premier ministrables" auxquels pensait Nicolas Sarkozy pour le remplacer. Il a vécu avec cela et a forcément du manœuvrer pour en écarter quelques-uns. Il a très bien su ruiner la "candidature" de Jean-Louis Borloo. Il ne veut pas être remplacé par ce dernier, donnant même l'impression que ce serait une honte insupportable d'être remplacé par M. Borloo. Du coup il manœuvre pour empêcher cela, montrant ainsi qu'il est un animal politique comme les autres.  Par ailleurs François Fillon est depuis trente-cinq ou quarante ans à un très haut niveau de la politique, cela n'aurait pas pu être possible s'il n'avait pas la carrure et la capacité à manœuvrer. Je pense donc qu'il a largement les épaules pour affronter Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy. De plus je crois qu'il n'a plus peur de M. Sarkozy. Il est certainement obligé de se réfréner car il doit avoir une forte amertume et doit avoir envie d'être trop dur à l'endroit de l'ancien président. Mais je crois qu'il n'a absolument pas peur de la bataille.

François Fillon apparaît-il selon vous comme un candidat crédible pour 2017 ?

Ce qu'on sent se dessiner c'est qu'il y a de moins en moins de monde autour de Nicolas Sarkozy. Lorsqu'il s'est déplacé à Ajaccio pendant la campagne d'entre-deux tours, c'est typique : d'habitude quand Nicolas Sarkozy vient en Corse c'est un feu d'artifice, il est accueilli avec ferveur. Là ça a été très froid, un certain nombre de colistiers ne voulaient pas qu'il vienne pensant que ça leur porterait préjudice. Enormément d'élus de terrain, des maires, des députés disent que les gens n'ont plus envie de lui. Pour Nicolas Sarkozy c'est très compliqué. Remporter la primaire sera très difficile pour lui. Il faut cependant bien sûr rester prudents en disant cela car Nicolas Sarkozy ne lâche jamais et peut retourner la situation. Il se battra jusqu'au bout. Mais à l'heure où nous sommes, cela se présente mal pour lui.

Concernant Alain Juppé, ce n'est pas gagné non plus. Il est dans une attitude où il ne fait rien, de sphinx. Il est au-dessus de la mêlée dans une attitude d'homme d'Etat qui a le bon mot mais ne dit pas grand-chose. Il dit ce que l'opinion politique à envie d'entendre. Cela satisfait avant tout un certain nombre de gens à gauche, et cela ne défrise pas à droite, il reste un homme de droite. Le problème c'est que quand il va commencer vers la fin du mois de janvier à s'exprimer sur des sujets importants, régaliens, économiques, quand il va commencer à être obligé de rentrer dans le débat, d'expliquer ses idées, d'argumenter etc. ce qu'a déjà fait François Fillon. Par ailleurs, je ne suis pas sûr que les gens de gauche qui lui prêtent de l'attention et de la bienveillance aillent jusqu'à le suivre. Je crois qu'il va commencer à baisser dans les sondages. Alain Juppé a mangé son pain blanc, mais 2016 va être beaucoup plus compliqué pour lui.

Je crois donc que Nicolas Sarkozy, Alain Juppé et François Fillon sont vraiment tous les trois dans la bataille. 

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