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Et si la neutralité du net n’était pas du tout le principe fondateur et protecteur qu’on croit ?
©DR

Acide

L’abominable Trump, ce président devenu si facile à haïr, a encore frappé : jeudi dernier, il a laissé la Federal Communication Commission (FCC), l’organisme chargé de réguler les télécommunications des émissions de radio, télévision et Internet, se débarrasser d’une loi commodément appelée « Neutralité du Net ». Immédiatement, la consternation et un terrible syndrome de yeux humides se sont répandus sur toute la planète, à commencer par les médias les plus engagés.

Hash H16

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H16 tient le blog Hashtable.

Il tient à son anonymat. Tout juste sait-on, qu'à 37 ans, cet informaticien à l'humour acerbe habite en Belgique et travaille pour "une grosse boutique qui produit, gère et manipule beaucoup, beaucoup de documents".

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Philippe Lacoude

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Ah, la « neutralité du net » ! Que n’a-t-on écrit sur ce sujet !

L’idée, en substance et comme je l’ai déjà plusieurs fois exposé ici ou là, c’est ce concept selon lequel chaque utilisateur a le droit d’avoir accès à un internet dont le contenu n’est pas filtré en fonction de son fournisseur d’accès, son appareil ou son prestataire de service, et que si un méchant constructeur, un vilain prestataire de service ou un maudit fournisseur venaient à filtrer le net pour ne laisser passer, par exemple, que les octets fraise et pas les octets vanille, la Neutralité du Net arriverait séant et déclarerait : « Nan, c’est mal, car vous avez le Drwâ à un Internet Non Filtré ».
D’ailleurs, c’est tellement un droit que, depuis 2015, grâce à une petite régulation de la FCC d’à peine plus de 300 pages, tout prestataire de télécommunication qui fait transiter ces petits paquets tous égaux n’a plus le droit de les trier en fonction de la source, de la destination ou (surtout) du contenu de ces paquets. Il est désormais interdit aux fournisseurs d’accès de bloquer arbitrairement des contenus légaux et surtout, surtout, de ralentir ou d’accélérer les flux de données sans justification ou de prioriser certains contenus transitant par leur réseau moyennant paiement.
Malheureusement et comme je l’exposais en introduction, la FCC a choisi de faire sauter cette loi et d’envoyer au broyeur les 300 pages délicatement tricotées par des douzaines de juristes chevronnés dans leur sabir si onctueusement pratique pour camoufler les intérêts particuliers, le capitalisme de connivence et les effets de bords imprévisibles.
Il va de soi, c’est évident, c’est sûr qu’à présent, l’Internet ne sera plus jamais le même ! La neutralité ayant été retirée, les fournisseurs vont maintenant donner libre cours à leurs plus bas instincts, lâcher les chiens du capitalisme sauvage sur les petits chatons mignons de l’internet libre et s’en serra terminé des petits sites artisanaux, des blogs engagés, des vidéos d’amateurs et de la liberté d’expression !
Rassurez-vous, cette hécatombe prévisible de petits chatons cyber-neutres ne restera pas sans réponse. Tout ce que l’internet contient de petits soldats de la liberté d’expression s’est levé comme un seul homme et, de blog en média conscientisé, relaie immédiatement son courroux et son indignation, « no pasaran » et tout ça. Ce qui donne inévitablement lieu à quelques articles consternant comme ceux du Monde par exemple, qui débitent âneries sur âneries comme d’autres de la saucisse industrielle.
Il faut dire qu’il y a tous les ingrédients pour que les éternels écorchés du capitalisme se dressent d’un coup et partent sur leurs petits poneys de bataille, à l’assaut de la méchanceté et de l’injustice qui se niche décidément partout dans ce monde : tout le monde sait que les intertubes doivent être neutres, dès le départ ! Tout le monde sait que c’est grâce aux gouvernements et à des législations finement étudiées que tout s’est bien passé jusqu’à présent ! Tout le monde sait que si on laisse les opérateurs libres de faire ce qu’ils veulent, ce sera la loi du plus fort (i.e. de la jungle, avec du renard libre dans un poulailler libre) et que les petits internautes n’auront plus accès à tout internet, que les petits sites seront inaccessibles et que tout ira forcément très mal.
Tout le monde sait aussi que si des grandes entreprises comme Facebook, Google, Netflix et Youtube (avec ses 54% de bande passante à eux deux) et tant d’autres ont pris vocalement position en faveur de cette neutralité du net, c’est que c’est forcément pour l’intérêt des petits internautes, n’est-ce pas ! Forcément.
Et ce, même si Facebook a eu (par un passé récent que nos fiers soldats de la neutralité ont totalement oublié) une attitude équivoque à ce sujet.
Et ce, même si les études économiques montrent que les investissements ont ralenti (3.6 milliards de dollars en moins en 2016, par exemple) à la suite du passage de la « neutralité du net » en 2015.
Il est vrai qu’un fournisseur d’accès pourrait se demander pourquoi innover s’il lui est impossible de différentier son offre et de s’adapter à l’utilisation de sa bande passante. Mais les soldats de l’internet neutre n’ont que faire des études économiques puisqu’il s’agit d’une question de principes : internet doit être neutre, c’est comme ça, même que d’abord, c’est « un principe fondateur » comme le pérore Le Monde niaisement, et ce, même si cette notion n’existait pas avant 2015 et que ça marchait quand même très bien.
Parce qu’en fait de principe fondateur du Net, cette loi était surtout le résultat d’une nouvelle connivence capitalistique entre le gouvernement fédéral américain et de gros fournisseurs de contenu (voyons, voyons, qui cela peut-il bien être ?) qui n’entendent pas trop se retrouver coincés dans des accords de peering coûteux avec … des gros fournisseurs de tuyaux, généralement eux aussi en situation de monopole de droit (grâce à de précédentes louchées législatives).
Vous commencez à comprendre le tableau ?
Eh oui : un matin de février 2015, l’administration Obama s’est réveillée avec la grande frousse de voir Comcast (un des principaux ISP américains) donner la priorité à certains paquets plutôt qu’à d’autres. Ce n’était pas le cas, mais… on ne sait jamais et il ne faut jamais laisser passer l’occasion d’une belle régulation. Tous les paquets devinrent égaux de naissance.
C’est bien sûr une idée idiote, d’abord parce que les fournisseurs ne le faisaient pas en 2014 et ensuite parce que si l’un d’entre eux le fait, le risque est grand de voir le consommateur aller chez son concurrent.
Et lorsque le concurrent n’existe pas, n’est-il pas plus pressant de comprendre pourquoi et d’y remédier plutôt qu’imposer des contraintes supplémentaires qui aboutissent à la situation actuelle ? (D’autant plus qu’aux États-Unis, un monopole n’est pas du ressort de la FCC, mais de la FTC, la Federal Trade Commission.)
Car après tout, dès que l’offre peut être diversifiée, des concurrents au statu quo apparaissent : en l’occurrence, il n’y a pas un moyen unique d’amener l’Internet à un client. On peut passer par autre chose que le câble… Fibre, 5G, réseaux existants (téléphone et électriques), satellite, radio en ligne de vue, … Rien n’empêche de dégrouper le câble…
En pratique, les règles de « neutralité du net » permettaient surtout de ne pas innover et les faire tomber permet de revenir aux bons vieux jours où les fournisseurs d’Internet avaient aussi leur portails web et offraient quelques services dont les geeks ne se servaient pas mais qui étaient le produit le plus utilisé par le consommateur moyen.
Bref, imposer la neutralité du net, c’était surtout se tromper d’interlocuteur et résoudre un non-problème sans résoudre celui qui existait vraiment : corriger des monopoles locaux – garantis par une loi locale – par une réglementation nationale qui bride l’investissement est économiquement parfaitement idiot. Mais bon : comme ce fut poussé par l’administration Obama, c’était forcément très bien.
La solution est bien évidemment de supprimer la réglementation nationale et la réglementation locale. La nationale vient donc de sauter, les États et les communes (ainsi que les petits soldats neutres) doivent à présent s’occuper de la locale…
En outre, il y a du favoritisme qui est bon pour le consommateur. Par exemple, pourquoi les paquets de peer-to-peer devraient avoir la même priorité que les paquets de jeux vidéos ? Pourquoi ne pas offrir au consommateur cette possibilité de prioriser ses paquets ? Un gamer trouvera plus intéressant que ses paquets UDP soient bien mieux routés que les paquets TCP pour du HTML ou du Youtube dont il n’a pas usage le plus fréquent. Du reste, cette qualité de service et le « traffic shaping » existent depuis des lustres et la « neutralité » n’y a rien changé.
Mieux : pourquoi demander à un internaute pauvre de payer finalement le même forfait qu’un riche alors qu’en segmentant, il pourrait économiser et ne payer que ce dont il a vraiment besoin ? Pourquoi, en somme, faire payer aux pauvres l’internet dont les riches ont envie ?
Encore une fois, derrière de belles paroles, de beaux principes (pas franchement « fondateurs » mais très « vendeurs ») et de belles intentions, on a créé un fantasme, celui d’un internet où tout le monde aurait accès à tout de façon indifférenciée et sans que les coûts réels ne soient effectivement supportés par ceux qui les engendrent en premier lieu. Ce type de paradigme, où tout le monde bénéficie d’un service qui n’est jamais payé par ceux qui l’utilisent vraiment, a un nom : le collectivisme.
Et comme tout collectivisme, il est destiné à l’échec.
Internet n’a jamais été un paradis collectiviste mais bien une construction produite par le marché libre. La bande passante, ça se paye et si, actuellement, de grosses entreprises milliardaires et gourmandes en bande passante ou en infrastructure réseau sont pour cette neutralité du net, c’est que le capitalisme de connivence est déjà là.

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