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Et si Jacques Chirac avait été un vrai libéral : moins de politique, plus de convictions économiques
©PATRICK KOVARIK / AFP

Atlantico Business

On a oublié qu’il fut l’homme des privatisations, de la suppression de l’impôt sur la fortune et des avancées fédérales en Europe. Mais l’héritage économique de Jacques Chirac est bien plus difficile à décrire que son héritage politique. Quelles étaient les vraies convictions économiques de l’ancien président, hormis le pragmatisme cantonnant l’Etat au rôle de régulateur ?

Aude Kersulec

Aude Kersulec

Aude Kersulec est diplômée de l' ESSEC, spécialiste de la banque et des questions monétaires. Elle est chroniqueuse économique sur BFMTV Business.

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Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Derrière les hommages sur l'homme qu’il fut, le bilan de ce qu'il fit réellement dans le domaine économique s’avère beaucoup plus difficile à établir.Parce que, dans cette France qui se prépare à la mondialisation, envahie par le digital, il laisse le plus souvent les entreprises faire le job, en limitant l‘Etat à des taches de régulation ou d’assureur en dernier ressort. 

Difficile de voir quelle pensée économique a animé l’homme au long de sa carrière, de celui qui a fait ses classes auprès du Général de Gaulle et de Georges Pompidou,à celui qui promet de réduire la fracture sociale en 1995 en passant par la période libérale de la première cohabitation.On peut dire qu’avec Chirac, on n’était pas à un paradoxe près, surtout en termes d’économie.

En fait, il a sans doute marié les convictions de ses deux mentors :l’étatisme, le colbertisme, et l’ordre qui étaient dans l’ADN du Général de Gaulle et la passion des entreprises, le respect de leur liberté d’agir et de créer de la richesse, qui étaient l’obsession de Georges Pompidou. 

Sur le plan politique, de l’organisation de l’Etat, de la politique sociale et politique étrangère, il y a beaucoup de gaullismedans l’équation de Jacques Chirac. 

Mais sur le plan économique, c’est surtout le logiciel de Georges Pompidou qu'il a fait tourner en y ajoutant une vague de privatisations historique et une politique fiscale que n‘auraient pas renié Ronald Reagan ou Margaret Thatcher.  

Alors la classe politique se perd en spéculation.Chirac était-il gaulliste ? Jacques Chaban-Delmas dira de lui qu’il« a découvert le gaullisme en comptant les bancs de l’Assemblée nationale ». En fait, Jacques Chirac adaptera sa ligne économique à l’opportunisme politique du moment, avec des initiatives libérales que ses thuriféraires ne rappellent pas forcément.

Jacques Chirac commence sa carrière ministérielle en jeune Secrétaire à l’Emploi du Premier ministre Georges Pompidou. Il créé l’ANPE, Agence Nationale pour l’Emploi en 1967,pour aider à reclasser les quelques centaines de milliers de chômeurs (2,5% de la population active) que compte la France à ce moment.

Son passage au ministère de l’Agriculture, en 1972, dans le gouvernement de Pierre Messmer, ne sera jamais oublié par les agriculteurs. Il y a lancé un plan d'aide à la modernisation des exploitations ainsi que des mesures de soutien à la politique agricole de montagne. C’est pointu mais ça va faire mouche. L’impact sur l’attitude des agriculteurs sera plus important que l’impact sur leur compte d’exploitation. 

1er passage à Matignon de 1974 à 1976 sous Valéry Giscard d’Estaing. Chacun sait que les deux hommes ne s’apprécient guère. C’est un Chirac dont on dira qu’il n’exprime pas la totalité de son talent, on lui impose un entourage, on le circonscrit.Ils sont tellementdifférents. Jacques Chirac se sentira humilié et censuré dans ses initiatives. On ne retient pas grand-chose de ces deux années de pouvoir, juste qu’il se serait battu comme un diable pour résister aux mouvements sociaux qui prônaient une retraite à 60 ans. Il finira par démissionner de façontrès politique et très spectaculaire.

Quelques jours après son retrait, Jacques Chirac dévoile la vision économique qu’il n’a pas su exprimer, celle d’un « néo travailliste», à l’époque, ça veut surtout dire keynésien, lors d’un discours qu’il prononce à Egletons en Corrèze le 25 août 1976. On imagine alors un Chirac à la gauche de la droite.

Pourtant, en 1986, quand il redeviendra Premier ministre pendant 2 ans, il est libre de son action. Nous sommes en cohabitation et le pouvoir est plus à Matignon qu’à l’Elysée. C’est donc une autre vision de l’économie qu’il appliquera. On dit qu’il connait là une « parenthèse libérale ».C’est un peu vrai mais c’est surtout parce que la conjoncture mondiale oblige à sortir de l’étatismemitterrandien. C’est aussi la période où son action économique a été la plus intense et où elle va le mieux coller aux grandes tendances mondiales.

Un libéralisme conservateur plane dans l’air du temps avec Ronald Reagan aux Etats-Unis et surtout Margaret Thatcher au Royaume-Uni. 

Après la période des nationalisations de Mitterrand, Jacques Chirac et son gouvernement vont lancer une vague de privatisations sans précédent en France. Pourtant, il n’arrivera pas à aller au bout de cette politique de libération en devenant l’ « homme de fer » qui aurait réduit drastiquement les dépenses publiques, comme a pu le faire la Première ministre outre-Manche à cette époque. 

En ces temps-là, il s’entoure de libéraux déclarés (la bande à Léo : François Léotard, Alain Madelin, Gérard Longuet notamment). Sous ce gouvernement de cohabitation – obtenue après un premier et dernier scrutin à la proportionnelle, Jacques Chirac légifère par ordonnances quand Mitterrand veut bien les signer, sinon il passe par la voie législative. 

65 entreprises industrielles ou financières seront libéralisées en 2 années, c’est la vague de privatisations la plus importante.Parmi elles, on compte Paribas, le CCF, TF1, la Compagnie générale d’électricité, Havas, Suez, Saint-Gobain, Matra ou encore la Société générale. Les privatisations étaient indispensables pour donner la possibilité aux entreprises de s’épanouir au niveau international, alors que l’on sent de plus en plus que le monde est en train de changer, en 1989 avec la chute du Mur de Berlin et en 1991 avec l’éclatement de l’URSS.C’était le moment où il fallait donner de l’air à l’économie française : l’a-t-il fait en connaissance de cause ? Cela est en tout cas à mettre à son compte.

Autre signe d’un libéralisme assumé : la suppression de l’Impôt sur les Grandes Fortunes, la baisse de l’impôt sur le revenu - la tranche supérieure passe de 65% à 56% et la suppressionde l’autorisation administrative de licenciement. Jacques Chirac supprimeaussi le contrôle des prix, et en grande partie le contrôle des changes.

Pourtant, de son arrivée au pouvoir en 1995, après quelques années en retrait de la vie politique, c’est plutôt l’immobilisme économique qui va rester collé à son image de président. D’abord, il va changer de ligne, son ancien Premier ministre Edouard Balladuroccupant la sphère libérale, Jacques Chirac revient vers un gaullisme plus social.Il fait campagne sur le thème de la fracture sociale, un thème de gauche.Ça marche parce que Chirac est à l’aise avec toutes les classes sociales, qu’il sait parler aussi bien aux agriculteurs qu’aux ouvriers et qu’il parle comme tout le monde. Il bat Balladur sans mal. Mais la fracture sociale mettra dans la rue 2 millions de Français et il doit abandonner la réforme des régimes spéciaux. Il augmente aussi la TVA de deux points. Pourquoi ? Il faut préparer la France à l’entrée dans la zone euro et respecter une orthodoxie budgétaire et c’est donc le moyen qu’il trouver pour augmenter les recettes fiscales et réduire le déficit. Ce n’est pas très populaire. Jacques Chirac sait que le budget de 1998 sera serré, et que dans ce contexte, il sera difficile de gagner les législatives prévues cette même année. Alors pourquoi ne pas anticiper et dissoudre l’Assemblée avant la présentation de ce budget de rigueur, c’est-à-dire dès 1997 ? Il perdra finalement ce pari risqué.

La gauche arrive au pouvoir, Chirac subit l’arrivée des 35 heures et promulgue la loi sans enthousiasme.

Pendant les premières années de l’euro, en l’an 2000, la France flirte avec les limites du pacte de stabilité et est finalement le 3ème pays, après le Portugal et l'Allemagne, à faire l'objet d'une procédure de déficit excessif lancé par le Conseil Ecofin. Jacques Chirac dira haut et fort qu’il est favorable à un assouplissement de ces règles des 3% de déficit public, qu’il obtiendra en s’alliant avec l’Allemagne face aux autres pays européens.

En 2006, il tentait de flexibiliser le marché du travail avec un contrat spécial jeune, mais il connait là un nouveau recul avec le retrait du CPE : Contrat Première Embauche.

Pendant ses deux mandats de président, Jacques Chirac se mêlera assez peu aux affaires économiques et on dénombre assez peu de grands projets industriels nés de son ambition.

Alors, quel bilan en chiffres ? Regardons les principaux indicateurs économiques.

D’abord, le chômage restera un point noir. Jacques Chirac trouve un taux de chômage déjà très élevé à l’époque en 1995, à plus de 11% et il ne parviendra pas à le réduire pendant son mandat que de 2 points, tout juste en dessous des 8,5%. A cette époque-là, le taux de chômage est à peu près le même en France qu’en Allemagne, à la différence près qu’en Allemagne, on vient tout juste d’adopter les réformes Hartz, avec Schröder au pouvoir. Le taux de chômage allemand commence alors sa descente alors que celui de la France stagne ou augmente. 

Du côté de la croissance, Jacques Chirac aura connu une période faste entre 1998 et 2000pendant laquelle la France a renoué avec une croissance à 3,5%. Effet coupe du monde ou effet d’une bonne conjoncture mondiale ? Ça durera 2 ans. Mais globalement, pendant son mandat, la croissance tourne plutôt autour de 2%.

Il faut aussi souligner que la meilleure année de croissance de ces 40 dernières années a été obtenue en 1988, alors que Chirac terminait sa parenthèse libérale sous la cohabitation avec François Mitterrand.

La philosophie d’orthodoxie budgétaire ne s’est jamais vraiment imposée. En 12ans, Jacques Chirac n’aura pasbaissé les dépenses publiques et le niveau de la dette. Il aura fait le minimum pour qualifier la France à la monnaie unique, reniant alors son pendant thatchériste des années 80.Bien au contraire, la dette publiquereprésentait 56% du PIB en 1995,  en 2007c’était 64% du PIB français. Sur 10 ans, cela fait tout de même une augmentation moins importante que les deux présidents qui l’ont suivi.

Pareil pour les baisses d’impôts, pourtant si chères à Jacques Chirac - son surnom de Super menteur, il l’avait aussi acquis de ses promesses de campagne chaque fois remises à plus tard, et surtout la baisse d’impôt de 30% qu’il promettait aux ménages. Ici, pas de miracle :la tendance des prélèvements obligatoires s’est plutôt orientée à la hausse, de 42,7 % du Produit intérieur brut en 1995 à 44,4 % en 2006.

On retrouve dans les chiffres le Chirac keynésien de ses débuts, un Chirac assez dépensier. Mais personne ne semble en tenir rigueur à l’ancien président. Et pourquoi après tout ? Jacques Chirac était passionné d’arts premiers. Il n‘avait pas la même notion du temps que le commun des responsables politiques dans nos démocraties. Il laissait à l’histoire la mission de révéler progressivement les vérités. Laisser le temps au temps. 

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