Et les chiffres tombèrent… toujours plus de fonctionnaires en France : une comparaison dans le détail avec ce que font nos voisins européens<!-- --> | Atlantico.fr
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Photo d'illustration / Les effectifs de fonctionnaires sont repartis à la hausse en 2012.
Photo d'illustration / Les effectifs de fonctionnaires sont repartis à la hausse en 2012.
©Reuters

Dégraisser le mamouth

Les effectifs de fonctionnaires sont repartis à la hausse en 2012, selon une note de l'Insee publiée mercredi 23 avril, avec une augmentation de 0,3%, alors que partout ailleurs la tendance est à la baisse.

Atlantico : Les effectifs de fonctionnaires sont repartis à la hausse en 2012 selon une note de l'Insee publiée mercredi 23 avril, avec une augmentation de 0,3%. La France comptait ainsi 5,5 millions de fonctionnaires au 31 décembre 2012, parmi lesquels 135 300  contrats aidés. Au 31 décembre 2012, un Français sur cinq travaillait pour l'État, les collectivités locales ou l'hôpital. La France figure en effet parmi les pays de l'OCDE qui emploient le plus de fonctionnaires. Comment expliquer cette différence ? 

Nicolas Lecaussin : En effet, c’est une situation paradoxale et très inquiétante. Alors que la France devrait baisser le nombre de fonctionnaires pour diminuer son déficit et ses dépenses publiques, leur nombre augmente. Nous avons le plus grand pourcentage (24 %) de fonctionnaires (avec statut) par rapport à la population active de tous les pays membres de l’OCDE (en moyenne, 15 %). En France, il y a 90 fonctionnaires pour 1000 habitants alors qu’il y en a seulement 50 pour 1000 en Allemagne ! L’explication est simple : nous sommes incapables de créer des emplois et nous continuons à augmenter la taille de l’Etat et des collectivités locales. Et nous avons perdu le contrôle.

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Erwan Le Noan : La France est en effet l’un cinq des pays de l’OCDE où la part des employés publics (ce qui est plus large encore car il faut inclure de nombreux emplois qui ne sont pas fonctionnaires) dans le total des personnes employées est la plus forte. Cela s’explique certainement par une tradition d’interventionnisme public très fort en France depuis la fin de Seconde guerre mondiale. L’augmentation continue de la dépense publique est allée de pair avec des recrutements massifs, qui représentent environ un quart de la dépense publique (c’est à dire de l’Etat, des collectivités locales et de la Sécurité sociale). Les rémunérations des seuls fonctionnaires représentent 13% du PIB et un tiers du budget de l’Etat. Or un fonctionnaire représente une dépense rigide de très long terme : le contribuable doit payer son salaire et sa retraite. Le poids de l’emploi public s’explique également, comme le montre la note de l’INSEE, par la multiplication des échelons administratifs : départements, régions, communes, intercommunalités … à chaque niveau cela suppose des agents (pour la sécurité, l’entretien, le secrétariat, le suivi des dossiers).

Quelles sont les difficultés à comparer l'effectif des emplois publics dans différents pays ? 

Nicolas Lecaussin :  Il existe des difficultés car dans de nombreux pays les fonctionnaires ne bénéficient plus d’un statut comme en France. Plus d’emploi à vie, ni de privilèges. Prenons un exemple. Dans le tableau de l’OCDE, en Suède, la proportion de fonctionnaires par rapport à la population active serait encore plus élevée qu’en France (27 % contre 24 %). Or, en Suède, il n’y a plus de statut, ni d’emploi à vie. Ces fonctionnaires sont employés comme dans le privé et peuvent être licenciés. Dans quelques jours, l’IREF va publier une Etude qui compare le statut des fonctionnaires dans 15 grands pays membres de l’OCDE. La France reste pratiquement le seul pays à ne pas avoir touché au statut !

Erwan Le Noan : Les publications de l’OCDE reposent, justement, sur une certaine harmonisation. Mais des questions restent en suspens qui ne sont pas purement statistiques. Par exemple, est-ce vraiment identique d’avoir un fonctionnaire d’un pays nordique, qui peut être licencié, et un fonctionnaire français qui n’est clairement pas soumis à cette menace ?

La tendance dans ces autres pays est-elle à la baisse ou la hausse des emplois publics ? 

Nicolas Lecaussin :  Partout, le nombre de fonctionnaires baisse et on transfère au privé des missions de l’Etat. Le Canada et la Suède l’ont fait dans les années 1990, l’Allemagne au début des années 2000. En Grande-Bretagne par exemple, depuis 2010 et l’arrivée au gouvernement des conservateurs, le secteur public a vu entre 500 000 et 600 000 emplois publics supprimés. Entre 2009 et décembre 2012, sous Obama, le nombre de fonctionnaires territoriaux a connu une chute spectaculaire aux Etats-Unis : - 560 000 (- 4%). Sur (presque) la même période (2009-déc. 2011), le nombre de fonctionnaires des collectivités locales françaises a augmenté de… 70 000 personnes (+ 4%). Au total, plus de 720 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés aux Etats-Unis depuis 2009. D’autres pays comme l’Irlande, le Portugal, l’Espagne ou même la Grèce ont drastiquement baissé le nombre de fonctionnaires. L’Irlande  a réduit leurs salaires jusqu’à 20% tandis que l’Espagne est allé jusqu’à 15% et, comme le Portugal, a choisi de remplacer seulement 1 fonctionnaire sur 10 ! Contrairement à la France, ces Etats qui ont décidé de tailler dans le vif montrent - Grande-Bretagne, Etats-Unis et Irlande en tête - affichent de vrais signes de reprise économique.

(Source : OCDE)
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Erwan Le Noan : Dans les autres pays de l’Union européenne, la tendance n’est pas vraiment à la hausse de l’emploi public, faute de moyens. En Grande-Bretagne par exemple, le Gouvernement avait annoncé dès 2010 la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires… La question qui se pose réellement est celle de l’efficacité de ce poids des fonctionnaires. D’un point de vue économique, elle n’est pas évidente. Les fonctionnaires ont plus de vacances (INSEE), partent à la retraite plus tôt (DREES) et sont en moyenne mieux payés (INSEE). Est-ce justifié par une efficacité claire pour la collectivité ? Plus largement, le poids des fonctionnaires dans l’économie entretient les connivences et le copinage, ce qui nuit à la performance économique et à l’équité sociale. Au-delà, ce poids des fonctionnaires pose des questions démocratiques. Ils sont surreprésentés à l’Assemblée Nationale et leur engagement dans la vie politique pose clairement des conflits d’intérêts : comment comprendre qu’un magistrat administratif, qui doit juger en toute impartialité, affiche des préférences politiques (la question se pose à Orléans notamment) ? 

La France consacre beaucoup de ses effectifs à la sécurité sociale relativement à ses voisins, notamment relativement aux pays scandinaves souvent érigés en modèle par les dirigeants européens. S'agit-il d'un paradoxe ?

Nicolas Lecaussin :  La sécurité sociale et l’Education sont les secteurs avec la plus grande bureaucratie. C’est là qu’on pourrait économiser plusieurs milliards en coupant dans les effectifs. Mais tout cela ne peut être réalisé que grâce à des réformes structurelles : ouverture à la concurrence du secteur de la santé, privatisation des écoles… C’est ce qui a été fait aux Pays-Bas, en Allemagne, en Suède ou en Suisse. Mais ce n’est pas la voie empruntée par le gouvernement socialiste…

En France, l'effectif des fonctionnaires d'Etat a baissé de 25 000 postes entre 2011 et 2012 alors que 6778 postes ont été créés à la rentrée 2012 dans l'Éducation nationale. Les collectivités territoriales seraient quant à elles plutôt bonnes élèves. Que dire des efforts fournis par nos voisins ? Comment se répartissent les coupes chez nos voisins ? Quels sont les choix qu'ils opèrent en la matière ? 

Erwan Le Noan : L’Etat a eu tendance, ces dernières années, à baisser le nombre de ses fonctionnaires, alors que les collectivités locales ont fait exploser tous les plafonds. En ce sens, la rationalisation du nombre d’échelons administratifs, comme l’a proposé Manuel Valls, est une bonne chose.Pour autant, il faut aller plus loin et se poser la question de l’efficacité de la dépense publique. Le Président Hollande, jusqu’à maintenant, a fait le choix de partir du principe que la quantité d’agents publics était une réponse pertinente : c’est ce qu’il fait par exemple avec le dogme des « 60 000 postes » dans l’Education nationale. Or, ce n’est absolument pas évident. En Grande-Bretagne, David Cameron a tenu le discours suivant en matière d’éducation : gardons la dépense publique, pour autant qu’elle soit efficace ; pour cela, l’Etat pourra se tourner vers des partenaires privés pour fournir les services scolaires. En l’occurrence, il a fait appel aux parents, qui ont créé leurs propres écoles. La France doit faire une révolution mentale. Même Terra Nova a défendu l’idée qu’on peut très bien avoir un service public rendu par une entreprise privée et des salariés privés. Ce qui importe, c’est la qualité du service rendu à l’usager, pas la nature du contrat de l’agent qui le fournit ni la nature juridique (publique ou privée) du prestataire.

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La Cour des comptes pointent du doigt certaines agences de l'Etat de type Météo-France pour dénoncer leur trop grand nombre et leur mauvaise gestion. Existe-t-il des équivalents chez nos voisins ?

Nicolas Lecaussin : J’ai déjà écrit sur Météo-France qu’il faudrait fermer car depuis Internet, la météo est fournie par de nombreux organismes beaucoup moins chers. Mais on peut s’attaquer à de plus grands organismes qui coûtent encore plus cher : la Banque de France par exemple, où les frais de personnel sont 2 fois plus élevés que ceux de la Bundesbank (4000 employés de plus !),  les salaires, 24 % de plus qu’à la Bundesbank et le coût des retraites, 300 Millions d’euros de plus. 

Quelle a été l'efficacité en termes de réduction budgétaire chez nos voisins ? Quelles sont les coupes qui "fonctionnent le mieux" ? De quelles pratiques pourrait-on s'inspirer ?

Nicolas Lecaussin : Dans les années 1990, la Suède, le Canada ou les Pays-Bas ont fait des coupes drastiques dans leurs dépenses et ont diminué le nombre de fonctionnaires. Des ministères ont eu leur budget divisé par deux et les postes de fonctionnaires par trois ou quatre. Le statut des fonctionnaires a même été supprimé, en Suède par exemple, et certaines administrations sont devenues des organismes mi-publics, mi-privé. Il faut noter aussi que ces réformes ont été menées par des gouvernements de centre-gauche ou de gauche comme en Suède ou au Canada, pays terriblement étatisés et au bord de la faillite au début des années 1980. Au Canada, on a adopté à l’époque la règle suivante : 7 dollars d’économies pour 1 dollar d’impôts nouveaux (en France, le chiffre est plus qu’inversé aujourd’hui : 20 euros d’impôts nouveaux pour 1 euro d’économie). Dans ces pays, les fonctionnaires n’ont pas été mis à la porte du jour au lendemain. On a privilégié les retraites anticipées avec des primes au départ. Mais, en même temps, les nouveaux venus perdaient tous les avantages de leurs prédécesseurs : plus de statut, ni de privilèges. C’est un bon exemple pour la France.

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