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Entreprises : non, le "lobbying" n’est pas un gros mot !
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Bonnes feuilles

Pascal Gayrard publie "Conseils d'un patron rebelle" aux éditions Tallandier. Il a dirigé les équipes du géant de la distribution Metro Group en France et en Europe. Dans ce manuel pratique, il transmet avec générosité les clés d'un leadership dynamique, exigeant et réussi. Il révèle ses secrets aux leaders de demain. Extrait 2/2.

Pascal Gayrard

Pascal Gayrard

Pascal Gayrard a été directeur général de Metro France en 2006, puis de l'Europe du Sud et de la Turquie, avec des missions en Asie et Europe du Nord. Aujourd'hui consultant pour des start-ups et des grandes entreprises, il a retracé son parcours d'autodidacte dans Itinéraire d'un patron rebelle (2012).

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Lobbying n’est pas un gros mot

Le réseau pèse lourd dans la réussite d’une entreprise. Il constitue un complément indispensable à l’expertise qu’elle a dans son métier. Manager à l’interne est bien sûr un impératif de patron, mais négliger ce qui se passe dehors constituerait une erreur. Ceux qui disent que « tout le reste n’est que politique inutile » ou qu’« ils n’ont pas de temps à consacrer aux ronds de jambes » se trompent. À un moment ou à un autre, on a besoin d’un réseau. Quelle que soit la taille de votre entreprise, construisez-le sans complexe. Le mot « réseau » n’est pas un vilain mot et les réseaux comme outils relationnels existaient bien avant d’être « sociaux » et de s’exprimer via le Web sur Facebook, Twitter, LinkedIn, Instagram…

Si vous décidez de franchir le pas du « réseautage », ne ménagez ni votre temps, ni votre disponibilité pour constituer votre réseau et le faire vivre. J’ai passé des années avec des agendas très bien remplis intégrant petit déjeuner/déjeuner/cocktail/dîner parfois dans la même journée, en répondant systématiquement aux opportunités que je jugeais intéressantes. Ne négligez pas les invitations qui vous donneront l’occasion de croiser du monde. De nombreux grands groupes n’arrivent pas à bien gérer cette question pour des raisons de comportement, redoutant les suspicions d’atteinte aux règles d’éthique. Ils ont tort. Ils pénalisent euxmêmes la vie sociale de leur entreprise et compliquent le travail de leur top management en les privant de relations indispensables à leur exercice professionnel, juste pour se donner bonne conscience. Veiller à la transparence totale de l’exercice suffit à rassurer les plus sourcilleux des compliance officer (CO). 

Mieux vous serez connu et reconnu, plus votre nom deviendra référence de confiance. À condition que vous respectiez à la fois les usages et votre parole. Ne soyez pas une girouette sans avis durable ou celui qui relaie les rumeurs malveillantes et les fausses nouvelles pour paraître informé. Dans les deux cas, vous seriez vite démasqué et écarté du cercle. 

Soyez clair et direct si vous avez un conseil (ou un service) à demander, faute de quoi vous ferez perdre du temps à votre interlocuteur.

Même si cela pourrait s’avérer très plaisant pour tous et valorisant pour vous, n’organisez pas de grand cocktail à l’occasion duquel tout votre carnet d’adresses serait mis sur la place publique. Sachez garder des contacts secrets. C’est bien pour vous et aussi pour certains qui ne veulent pas se révéler. Un réseau s’entretient par respect, par courtoisie, par intelligence. 

Ne commettez pas non plus l’erreur de ne soigner que celles et ceux qui vous sont utiles sur les projets du moment. Rien n’est pire que d’oublier un « cher ami » pendant un an ou deux, de le laisser sans nouvelles et de se rappeler soudainement à son bon souvenir pour lui demander comment il va, certes, mais surtout un service. 

Personnellement, je ne suis pas dupe et je sais très bien faire la différence.

Objectif Paris

La mise en œuvre d’un grand projet stratégique implique la mobilisation de son réseau, mais aussi, à un autre niveau, de nouveaux interlocuteurs, de multiplier les rencontres dans de nouveaux mondes : hommes politiques, conseillers ministériels, fonctionnaires européens, autorités consulaires, partenaires potentiels, opinion publique pourquoi pas… Bienvenue dans l’univers du lobbying. Il mobilisera toutes vos équipes de direction qui devront impérativement agir en synergie et porter à l’unisson la parole de l’entreprise.

Comme je l’ai raconté dans le chapitre 10 (« Écoutez les signaux faibles »), l’ouverture d’un point de vente à activité de grossiste alimentaire dans Paris intra-muros était devenue l’une de mes obsessions. L’idée était née d’échanges suivis avec des clients fidèles, des restaurateurs notamment. Des professionnels aux côtés desquels je m’étais déjà retrouvé en m’élevant personnellement contre l’augmentation de la TVA dans la restauration, et pour la défense du commerce indépendant, indispensable composante de l’aménagement du territoire. Notre projet d’expansion parisienne achoppait sur une réglementation, conséquence du déménagement des Halles de Paris à Rungis à la fin des années 1960. Le MIN (marché d’intérêt national) bénéficiait d’un monopole empêchant tout grossiste de s’implanter dans la capitale, héritage d’une promesse faite en 1969. Cet opérateur public cherchait évidemment à le conserver, s’appuyant sur sa proximité avec les autorités administratives et le monde politique. 

En novembre 2006, je décidai de lancer l’offensive et de pratiquer un lobbying méthodique, très actif, et de faire appel à tous les réseaux possibles pour parvenir à mes fins. 

Pour moi, les clients qui affirmaient vouloir plus de choix, une offre dynamique qui ne les astreigne pas à se rendre dans le Val-de-Marne pour se fournir avaient été oubliés. La majorité d’entre eux réclamait des alternatives pour diversifier le choix de fournisseurs. Je commençai donc par m’appuyer sur eux, sollicitant la signature des restaurateurs, traiteurs, épiciers et bars… au bas d’une pétition. Un travail long, mais qui nous permettait facilement d’obtenir un soutien considérable des commerçants. En trois mois, nous avons recueilli environ 8 000 signatures. 

Une fois ce premier résultat obtenu, il fallait s’assurer que les fédérations professionnelles des métiers concernés allaient croire en ce projet et appuyer la requête de leur corporation. Même chose auprès des producteurs et des agriculteurs, eux aussi dans l’attente de nouvelles alternatives. Ce fut le cas : les soutiens écrits arrivèrent rapidement. Des acteurs majeurs comme la Fédération nationale des syndicats agricoles (FNSEA), la Confédération générale de l’alimentation de détail (CGAD), la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) répondaient présents. 

Il fallait ensuite rassurer les ministres du Commerce et de l’Agriculture quant à une évolution réglementaire : la loi de 1969, fruit d’un autre lobbying sans doute, sanctuarisait le périmètre de protection. Après bien des visites dans les ministères, la rencontre de nombreux conseillers, puis des ministres eux-mêmes, un décret du ministre du Commerce sensible à nos arguments favorisant la libéralisation pour apporter une nouvelle dynamique au marché nous donnait le droit d’ouvrir notre premier point de vente intra-muros. 

Un recours fut déposé au Conseil d’État par le MIN qui annulait le décret, car seul le ministre du Commerce l’avait signé. Il fallait aussi le paraphe du ministre de l’Agriculture. 

Sur l’emplacement prévu, rue des Poissonniers dans le XVIIIe arrondissement de Paris, les travaux se poursuivaient cependant pour préparer l’ouverture. Nous avions confiance. Notre campagne de lobbying reprit de plus belle et nous présentions une fois encore notre projet à la nouvelle équipe ministérielle – il y avait eu élection présidentielle donc nouveau gouvernement – qui allait non seulement signer et valider le décret, mais proposer un aménagement de la loi. Notre site ouvrit en octobre 2008. Deux ans après le début de nos grandes manœuvres.

Mon successeur a depuis ouvert avec succès une troisième surface de vente parisienne, porte de la Chapelle. 

Est-ce laid de faire du lobbying ? Personne ne m’en convaincra, d’autant que plus que des règles du jeu sont clairement établies au niveau national comme au niveau européen, avec des acteurs identifiés. Il ne faut pas oublier que le lobbying est souvent l’affrontement entre deux camps, chacun menant la bataille pour défendre ses intérêts, parfois au nom d’une cause collective. 

Une action de lobbying n’est pas une tentative pour minimiser les effets d’une crise ou décrédibiliser un concurrent ; elle apporte des éléments techniques, des arguments économiques pour ouvrir un nouveau champ de concurrence quand les perspectives sont bloquées par des obstacles réglementaires historiques, inadaptés, souvent dépassés.

Extrait du livre de Pascal Gayrard, "Conseils d’un patron rebelle", publié aux éditions Tallandier.

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