Entre inflation et récession : voilà pourquoi personne ne mesure ce que la France doit vraiment à Christine Lagarde<!-- --> | Atlantico.fr
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Lorsque Christine Lagarde fut nommée à la tête de la Banque centrale européenne en 2019, beaucoup ont douté.
Lorsque Christine Lagarde fut nommée à la tête de la Banque centrale européenne en 2019, beaucoup ont douté.
©ERIC PIERMONT / AFP

BCE

Christine Lagarde résiste depuis des mois aux pressions des faucons -notamment allemands- de la politique monétaire qui souhaiteraient une hausse des taux face à l’inflation. En ignorant totalement la nature de cette inflation comme les risques de récession que cette hausse engendre

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Les banquiers centraux sont en train de nous concocter une jolie récession dont ils ont le secret. La seule justification d’un vaste durcissement monétaire est de prévoir une grosse surchauffe sur la demande agrégée, or justement plus personne n’y croit, 2022 déçoit à plein tube et 2023 s’annonce bien sombre. Alors pourquoi défendre ici Christine Lagarde, chef d’une banque centrale anachronique, gardienne d’une monnaie qui n’aurait jamais dû exister, dans le cadre d’un régime de changes fixes de toute façon condamné ?

Il faut tout d’abord comprendre comment fonctionne la BCE, concrètement. C’est un club de faucons qui ont tous choisis allemand première langue. Plus-faucon-tu-travailles-au-Puy-du-fou. Tous ceux qui vous disent le contraire ne savent pas de quoi ils causent ; notre constitution monétaire elle-même est germanique de bout en bout, et les allemands ont été les premiers surpris que nous ayons été assez minables pour l’accepter il y a 30 ans. Les adoucissements de Mario Draghi n’ont rien changé à l’affaire, ils l’ont même aggravé car le clan bancaire et la BUBA ont le sentiment d’avoir été violé pendant 8 années, en particulier par les taux négatifs : tout quadruplement du prix des hydrocarbures susceptible de faire décoller temporairement l’indice officiel d’inflation mal foutu (le CPI) est donc exploité par eux en mémoire de Saint Trichet comme une divine surprise, pour justifier un resserrement monétaire, un chantage auprès des pays périphériques (et auprès des électeurs), une défense pas hypocrite du tout de la parité nominale avec le dollar US, une hausse des taux d’intérêt sans rapport avec la conjoncture et incapable de faire émerger des puits de pétrole ou des usines de semi-conducteurs. Aujourd’hui, ils tiennent leur « fenêtre d’opportunité », et il faut une sacrée diplomate pour calmer un peu leurs ardeurs.

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Christine is the right woman at the right place. Depuis qu’elle est en fonction, elle n’a rien fait, ce qui était très exactement ce qu’il fallait faire. Elle a commencé par perdre deux années dans une « revue méthodologique » sponsorisée par Dunlopilo, mais personne n’était dupe, on demandait aux mauvaises personnes de répondre à de mauvaises questions, on ne s’étonna pas de déboucher sur de mauvaises réponses. Ni changement de la cible débile à 2% sur CPI, ni avancées sur la transparence, ni rien de sérieux ; plutôt des symposiums sur les émissions de carbone en 2080, le genre de sujet très ? très bien relié à la responsabilité d’une institution qui n’est ni globale, ni en charge de l’offre productive, ni bien armée pour des enjeux à plus de 36 mois. Il ne manquait plus que quelques couplets sur une société plus inclusive, plus féministe et united colors. Passons. Lagarde a assuré pendant le Covid, et elle n’a rien fait de concret par la suite, là où la Banque d’Angleterre puis la FED cèdent à la panique.

Cela peut sembler curieux que la BCE pour une fois ne soit pas à la tête du concours mondial du tirage de balles dans le pied. Elle qui avait l’habitude de foutre en l’air la croissance du continent au moindre frémissement du CPI sur douze mois glissants, comme en 2008 et en 2011, pour provoquer une décennie perdue et ensuite mieux diffracter le blâme, elle donne en 2022 du temps au temps, et attend juin pour la fin du QE, et juillet pour la première (petite) hausse des taux. Cette fois, c’est différent ; grâce à Christine sans aucun doute, car s’il fallait compter sur Villeroy de Galhau (ex-banquier, futur-banquier), nous serions déjà au pas de l’oie monétaire. Il est vrai que Christine a été grandement aidée par deux facteurs, comparativement aux banques centrales anglo-saxonnes désormais prises en pleine spirale mimétique :

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a/ l’absence totale de toute surchauffe en zone euro, là où un débat pouvait vaguement exister à la rigueur fin 2021 aux USA (des augmentations salariales par exemple, quoique très dirigées par des décisions de Washington, et après des années de modération, et à un moment où les gains de productivité semblaient élevés, bref) ; nous sommes parfois sauvés en zone euro par l’encéphalogramme complètement plat de notre activité,

b/ un petit conflit à l’Est de l’Europe à partir de fin février, qui a calmé le clan germanique pour 3 semaines et Villeroy pendant 5 semaines. Parfois on se demande si une guerre atomique suffirait pour qu’ils remettent leurs projets de dévastation monétaire définitivement dans les cartons.

Christine a bien œuvré, discrètement mais efficacement pour ce qu’on en sait (nous ne pourrons jamais en jurer car nous ne disposerons des transcripts du comité de la BCE qu’en 2072, eh oui, c’est un inconvénient du manque total de transparence) (alors que nous disposons des transcripts de la FED de 2008, qui nous aident à disculper un peu Bernanke et Mishkin). D’abord, elle a soutenu le seul économiste de Francfort, Phillip Lane, le plus longtemps possible ; ce n’est pas une surprise pour moi, elle avait fait la même chose à Bercy et à Washington où elle disposait de très bonnes équipes, je l’avais dit dans ces colonnes. C’est la raison pour laquelle je n’avais pas vu d’un mauvais œil sa nomination en 2019, là où tous les demi-habiles moquaient son absence de compétences monétaires : d’une part nous n’avions pas d’alternative convenable (les allemands menaçaient de nous refourguer Weidmann !), d’autre part ne pas être expert n’est pas une catastrophe si on sait s’entourer d’experts.

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Ensuite, elle a gagné du temps, à toutes les étapes, par exemple en jouant sur la corde de spreads italiens ces derniers jours. Il ne faut pas vendre les plumes du faucon avant de l’avoir dézingué, mais avec un peu de chance on va obtenir une réapparition du QE (qui ne dira pas non nom) pour acheter des titres italiens, et des hausses de taux de 25 points de base au moment où la FED y va à coup de 75. Je ne dis pas que c’est l’idéal, je dis que sans Christine nous aurions une politique encore plus punitive, procyclique et défragmentaire. Elle a fait le job en insistant sur le fait indiscutable que la BCE ne peut rien faire dans l’immédiat du côté des contraintes d’offre (surtout si dans le même temps on livre des armes aux ukrainiens, aurait-elle pu ajouter si elle n’était pas diplomate), elle continue à faire le job en gagnant du temps puisque l’on sait assez proche la falaise des effets de base sur l’inflation, avec tout ce talent que je n’ai pas de dire des choses inintéressantes (l’euro numérique…) pour noyer le poisson outre-Rhin.

Bien joué, Christine, lauréate avec Draghi du prix Gorbatchev de la zone euro 2011-2023. Tous ces efforts ont certes quelque chose de pathétique s’ils sont là pour sauver un système monétaire rigide avec sa nomenklatura, ses non-dits et ses contreparties ripoux. Mais s’il reste un chouia de croissance en 2023 & 2024, ce sera en grande partie grâce à elle ; et puis, elle fait son travail après tout, ce qui est rarissime de nos jours où les policiers jouent les assistantes sociales, où les comptables se prennent pour des chefs d’entreprise, où les journalistes se font marcheurs, où les sénateurs jouent les révolutionnaires, où les banquiers se prennent pour des économistes, où les banquiers centraux se prennent pour des banquiers ou des climatologues, etc. Et en faisant à peu près son travail c'est-à-dire en ne suréagissant pas à un choc externe et en résistant pied à pied à Berlin, Christine aide la France (ou au moins elle ne l’enfonce pas, comme Villeroy-les-réformes-toujours-pour-les-autres et comme de-Galhau-la-sobriété-financière-après-des-années-au-Cetelem) : gloire à toi Christine, ceux qui vont mourir dans l’arène de l’euro te saluent.

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