En direct de la convention républicaine : quand l'esprit de Clint Easwood et les voix de milliers d'hommes blancs en colère planent sur Cleveland <!-- --> | Atlantico.fr
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Clint Eastwood est Walter Kowalski.
Clint Eastwood est Walter Kowalski.
©Warner Bros. France

THE DAILY BEAST - MAISON BLANCHE 2016

Le discours franc et rugueux de Trump plait à ses supporteurs. Mais ce qui leur plait tout autant est ce qu’il ne dit pas.

Jennifer Haigh

Jennifer Haigh

Jennifer Haigh travaille pour le Daily Beast. Elle est l'auteure de plusieurs nouvelles et de romans acclamés par la critique.

 

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par Jennifer Haigh. Copyright The Daily Beast (traduit par Victor Salama)

Mardi, alors que les orateurs se succédaient devant le téléprompteur de la convention nationale républicaine, les discours étaient régulièrement interrompus par une clameur venant de la salle : "Construisez ce mur !! Construisez ce mur !!". Même si la caméra balayait la foule à la recherche du rare visage noir ou bronzé, il était clair que ces slogans venaient d’hommes blancs dans la force de l’âge.

En regardant, je me suis mis à penser à "Gran Torino", film sorti en 2008, réalisé et joué par Clint Eastwood. Dans ce film, il joue Walt Kowalski, un vieil acariâtre qui se sent agressé par ses voisins, des immigrés laotiens hmongs qui se sont installés en masse dans sa banlieue de Detroit. Dans la scène phare du film, une dispute éclate car les voisins ont débordé sur sa pelouse. Walt apparait alors avec son fusil M1Garand qu’il a ramené de sa guerre de Corée en marmonnant "dégagez de ma pelouse". Derrière lui, apparait la légendaire voiture, la Gran Torino modèle 72.

Son jeune voisin hmong avait déjà essayé de la lui voler une fois. On ne trompe pas 1000 fois une personne. Sa performance d’acteur est sincère : sa colère à peine contenue, son sentiment d’injustice à fleur de peau et l'hostilité envers ses voisins de celui qui se sent comme une espèce en voie de disparition. Qu’il ait réussi à vivre la majorité de sa vie sans jamais ressentir cela est la définition même du 'privilège blanc', même s’il ne semble pas très raisonnable de dire cela à un vieil homme aigri qui se promène dans sa maison avec un fusil et qui ne demande qu’à s’en servir.

Walt Kowalski, le héros du film, ne se considèrera jamais comme un privilégié. L’idée même le choquerait. C’est un homme d’un milieu pauvre, qui a fait la guerre pour son pays et qui a travaillé durant 30 ans dans une usine Ford qui n’existe plus. Plus rien n’existe.

J’ai grandi dans l’ouest de la Pennsylvanie et j’ai connu plein de Walter Kowalski. Des ouvriers de la sidérurgie et des mineurs bourrus et têtus, qui se sentent laissés pour compte alors que leurs repères et leur monde disparait petit à petit. Depuis la fermeture des mines, le comté de Cambria lutte pour sa survie. Des décennies de chômage ont produit une pauvreté intergénérationnelle. Les drogues sont partout, et dans ce coin essentiellement catholique, le scandale des prêtres pédophiles a eu un effet récent dévastateur.

Durant les deux derniers mois, deux ex-camarades d’école sont décédés d’une mort violente, auto infligée. L’un, ancien enfant battu devenu militant, s’est pendu. L’autre a fait une overdose d’héroïne. Il y a 40 ans, dans des temps plus prospères, Cambria votait démocrate, grâce à des organisations syndicales bien implantés chez les mineurs et les ouvriers de la sidérurgie. Si tu travaillais sur une machine à tisser à la Barnesboro Shirt Company, alors tu faisais forcément parti de l’Union internationale féminine du textile (dont les membres nous exhortaient - dans une publicité des années 1970 devenue culte et souvent parodiée, à "chercher le logo du syndicat").

Ces syndicats n’ont plus aucun sens dans ce coin qui a doucement mais surement viré du camp démocrate vers la droite du parti républicain. En 2008, Barack Obama l’avait emporté de peu. Quatre ans plus tard, Mitt Romney l’a remporté haut la main. Donal Trump attire encore plus de sympathie que Romney. Dans sa précédente vie, en tant que star de la télé-réalité avec son émission "The Candidate", il est entré dans leurs salons. Il a appris comment comprendre et respecter leurs valeurs conservatrices. Ils lui font confiance pour ramener les emplois pris par les immigrés et il a promis de ne pas leur interdire le port d’armes à feu. Le discours franc et rugueux de Trump les ravit. Mais ce qu’il ne dit pas est tout aussi important. Il ne dénonce pas leurs défaillances ou leur racisme. Il ne les blâme pas. Et la phrase "privilège blanc" ne sortira jamais de sa bouche.

Cela a du sens que sa convention ait lieu à Cleveland. Si Detroit est la première ville de l’automobile, Cleveland est la deuxième : la maison de Fisher Body qui construisait les châssis de la General Motors et de l’usine géante de Ford à Brook Park. Cette ville est l’emblème de ce qui est arrivée à l’économie américaine durant les 50 dernières années. Des changements économiques et sociaux qui ont donné à un large éventail de la population – les Walter Kowalski – l’impression d’être laissés pour compte. Cette semaine à Cleveland, ils se font entendre.

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