« En avoir pour mes impôts » ou l’immense tartufferie d’un État dont les finances sont tout sauf transparentes (et voilà à quel point) <!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre des Comptes publics Gabriel Attal à la Maison France Services, dans le cadre du lancement d'une consultation des Français sur leurs impôts, à La Grande Motte, le 25 avril 2023.
Le ministre des Comptes publics Gabriel Attal à la Maison France Services, dans le cadre du lancement d'une consultation des Français sur leurs impôts, à La Grande Motte, le 25 avril 2023.
©Pascal GUYOT / AFP

Opération de transparence

A l’occasion de l’ouverture du service de déclaration en ligne des revenus 2022, le gouvernement a lancé une opération baptisée « En avoir pour mes impôts ». L'exécutif mène, via cette plateforme, une consultation auprès des contribuables pour que « chaque Français puisse dire » comment il souhaite que l’argent issu des impôts soit dépensé par l’Etat.

David Carassus

David Carassus est professeur des universités en sciences de gestion à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour. Il est spécialisé dans le management public local. Il est président du Groupement d’intérêt Scientifique OPTIMA (http://gis-optima.fr).

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Nathalie Goulet

Nathalie Goulet

Nathalie Goulet est sénatrice de l'Orne depuis 2007. Elle a publié « L’Abécédaire du financement du terrorisme » aux éditions du Cherche Midi en 2022.
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Nicolas Marques

Nicolas Marques

est directeur de l'Institut économique Molinari

Docteur en économie (Université d’Aix-Marseille) et diplômé en gestion (EM Lyon), il a débuté sa carrière en enseignant l’économie, avant d’exercer des responsabilités marketing et commerciales dans de grands groupes de gestion d’actifs français.

Chercheur associé depuis la création de l’IEM, en 2003, il est devenu Directeur général de l’institut en 2019. Il est l’auteur de plusieurs travaux sur les enjeux fiscaux, les finances publiques, la protection sociale ou la contribution des entreprises et membre de la Société du Mont Pèlerin.

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Atlantico : Le gouvernement lance sa campagne, « En avoir pour mes impôts », présentée comme une grande opération de transparence sur les impôts. Savoir comme l’explique Gabriel Attal qu’une « une année dans une école primaire coûte 8000€ à l’état, 11 000€ pour une année au lycée, qu’un accouchement en coûte 2600 € ou que l’entretien d’un km de voirie coûte 110 000 € ».  Si toute action de « transparence » est salutaire, les données en question sont-elles utiles pour le contribuable ?

David Carassus : C’est utile, de manière élémentaire, parce que la démarche de transparence est plutôt récente et qu’il est toujours pertinent d’avoir ce type d’informations. Mais au-delà du fait de disposer de données chiffrées et financières, cette utilité élémentaire est très vite insuffisante. Il faudrait qu’on puisse avoir une évaluation des actions engagées et de la valeur financière proposée. Savoir qu’un lycéen coûte 11 000 €, ça ne veut pas dire grand-chose dans l’absolu. En effet, il faudrait pouvoir comparer ces données. Or, ici, nous n’avons pas de norme de référence, de valeurs cibles, permettant de comparer et de juger. De plus, la transparence de l’Etat ce n’est pas seulement connaître notre contribution financière, mais aussi savoir ce qui a été réalisé et surtout les effets des financements mobilisés. Il faudrait donc des données d’activité et d’impacts, pas seulement des données financières. L’Etat français et les collectivités ont beaucoup de mal à rendre compte à la population sur la dépense publique. L'Etat le fait ici via une démarche minimaliste. Pour pouvoir la faire évoluer, il faudrait engager une vraie démarche d’évaluation des politiques publiques, réalisées par un tiers pour qu’on puisse être sûr de la sincérité des informations produites, pour éviter de penser que cette communication puisse être politique. Il faut aussi pouvoir réaliser de vrais audits de performance permettant de produire des informations de qualité et pertinente pour les Français sur la valeur de l’argent public. Il n’y a pas de volonté politique en la matière. C’est pourtant une vraie question, et si ces données étaient connues, cela pourrait entraîner de vrais débats sur l’utilisation des finances publiques. C’est une problématique démocratique majeure, en particulier en ce moment de mise en cause du régime des retraites par une problématique financière. 

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Nathalie Goulet : Je ne pense pas que cela soit une mauvaise idée. Quand vous voyez les abus sur les médicaments, quand vous voyez comment les gens consomment des soins non nécessaires car c’est gratuit ou presque… Je pense qu’il faut une prise de conscience sur ces coûts. D’ailleurs, c’est ce que font les communes et les collectivités. Dès lors, je pense qu’il est juste que l’État fasse la même chose, même si je ne suis pas certaine que cela permette de rendre les citoyens plus responsables. Je pense que les Français ne se rendent pas compte à quel point ils sont gâtés. Ma fille habite aux États-Unis, ce qui me permet de réaliser le véritable coût de la santé ou de l’éducation. Nous sommes dans un système où l'État est hyper protecteur, ce qui déresponsabilise les citoyens par rapport aux vrais prix des services. 

Nicolas Marques : La démarche du gouvernement est alléchante mais elle ne tient pas ses promesses. C’est une question légitime de savoir si « nous en avons pour nos impôts ». En France, nous étions en 2021 numéro 2 de l’OCDE en prélèvements obligatoires, avec des recettes fiscales représentant 45% du PIB (les champions étant les danois à 47%).

Pour autant, le gouvernement s’est contenté d’afficher les prix sans les mettre en perspective avec le service rendu. Se focaliser sur le coût d’une prestation, sans prendre en compte son rapport qualité/prix, c’est passer à côté des enjeux.

En tant que contribuable, le prix de l’année de lycée (11 000 euros) ou d’université (12 000 euros) m’importe peu, surtout s’il n’est pas mis en perspective avec ce qui se pratique chez nos voisins. C’est la rentabilité de cet investissement collectif qui m’intéresse. La question clef est de savoir si cette dépense aide nos jeunes à bien s’intégrer sur le marché du travail. Trouvent-ils des emplois de qualité, ont-ils des carrières plus attrayantes et épanouissantes ? Et c’est là que le bât blesse. En France, nous dépensons beaucoup et le rapport qualité prix des prestations publiques est souvent médiocre. Dans un travail pour l’Institut économique Molinari, Pierre Bentata a montré en 2019 qu’à qualité égale, le système français pourrait réaliser 43 milliards d’économies sur les 155 milliards investis dans l’éducation s’il se rapprochait du rapport qualité/prix des pays les plus efficaces en termes d’adéquation avec le marché de l’emploi.

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De même, savoir que la pension moyenne est de 1 509 euros bruts m’importe peu. Ce qui m’intéresse, c’est de connaitre le retour sur investissement des cotisations retraites et comment nous nous situons par rapport à nos voisins. Or, là encore, nous sommes mal positionnés et cette information clef est occultée par la communication gouvernementale. Le rapport qualité/prix des retraites des salariés – financées en répartition – ne cesse de se dégrader avec la baisse de la natalité. Les cotisations retraite sont significatives (28% du salaire brut ou 11 000 euros par an pour un salarié moyen) et les taux de remplacement baissent. Ce n’est pas une fatalité. Les pays ayant recours à la capitalisation collective s’en sortent mieux. Les travaux de l’OCDE montrent que les Néerlandais cotisent moins – à hauteur de 25% du salaire brut soit 3 points de moins qu’en France – et auront de plus belles retraites, avec des pensions représentant en moyenne 89 % du salaire net, soit 15 points de plus que dans l’Hexagone à 74 %.

Quand on voit les avis du haut-conseil des finances publiques ou la quantité du hors bilan de l'État, vouloir jouer la transparence, au regard de l’opacité de l’Etat en matière de finances publiques, n’est-il pas hypocrite ?

Nathalie Goulet : Ces deux opérations ne sont pas contradictoires. L’opération transparence des coûts des services publics devrait être complétée par une opération transparence des dépenses de l’État. Parmi ces dépenses, un certain nombre devraient être revues, comme le financement des associations ou les subventions données dans des conditions peu claires.

Il y a aussi les ratés de l’administration qui ont coûté une fortune aux contribuables, on parle de plus de 238 millions dus aux dysfonctionnements du logiciel  Louvois, ( salaires des  militaires ) qui n’a jamais fonctionné. De ce point de vue, il y a de nombreux progrès à faire. 

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Nicolas Marques : La transparence n’est pas au rendez-vous en France. Toute une série d’engagements structurants sont « hors bilan ». L’Etat s’est, par exemple, engagé à servir des retraites à ses anciens personnels, ce qui représente une dette implicite de 1 600 milliards d’euros, en dehors de tout cadre prudentiel. L’Etat a démantelé les caisses de retraites des ministères en 1853 et n’en a jamais remis en place depuis. Il n’a pas de mécanisme permettant d’adapter ou renégocier les promesses qu’il fait en tant qu’employeur. Contrairement à l’Agirc-Arrco, le grand régime complémentaire du privé, il n’a pas de structure de cogestion avec les partenaires sociaux et aucun mécanisme permettant d’éviter les dérapages financiers (points retraites, réserves…). Facteur aggravant, il n’a rien mis de côté pour honorer ses promesses qui génèrent pourtant des surcoûts indicatifs, pour les contribuables et les générations futures.

Dans quelle mesure l’Etat manque-t-il, trop souvent, de sincérité budgétaire (sur les hypothèses économiques et sur l’appréciation des dépenses notamment) ?

David Carassus : C’est une vaste question. Nous sommes sans doute plus sincères que nous ne sommes transparents. Mais il y a beaucoup de travail restant, pas tant sur les données de fonctionnement, sur les données annuelles, les recettes et dépenses d’un an à l’autre. Les budgets sont votés et validés. Là où les problèmes se concentrent, c’est plutôt sur l’investissement, le pluriannuel et aussi le hors-bilan. Par exemple, la visibilité du patrimoine de l’Etat et des collectivités est loin d'être un exemple. Donc sur des éléments plus longtermistes, la sincérité budgétaire est toute relative. Sur l’hors-bilan, il y a beaucoup d’éléments qui sont peu ou mal intégrés et peuvent laisser douter de la sincérité. Il y a aussi un problème de culture comptable des opérateurs publics. Les normes comptables en vigueur n’intègrent pas bien certains éléments qui pourraient être mieux valorisés.

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Nathalie Goulet : En ce moment, tout le temps. On le voit avec le « quoi qu’il en coûte », le coût de la dette, les études d’impact … Nous ne sommes pas du tout dans la sincérité budgétaire, bien au contraire. Nous avons un temps bien trop limité pour voter les budgets sachant que nous n’avons pas toujours les éléments nécessaires. Nous travaillons toujours dans des conditions d’urgence. Ainsi, il faudrait revoir complètement les conditions de vote du budget mais il faut aussi un véritable débat au Parlement sur l’État de la dette, en début de session budgétaire puisque cela conditionne notre liberté.

Par exemple, nous ignorons l’identité d’une partie de ceux qui détiennent notre dette. 

Nicolas Marques : L’Etat a beaucoup de progrès à faire en termes de sincérité. Il est connu pour employer des hypothèses particulièrement favorables dans sa planification budgétaire. Le programme de stabilité de l'exécutif, la nouvelle trajectoire élaborée pour Bercy pour la période allant jusqu’à 2027, offre une illustration récente de ce travers. Le Haut Conseil des finances publiques souligne que les prévisions macroéconomiques du gouvernement sont trop optimistes sur plusieurs points (reflux rapide de l’inflation, hypothèses de productivité, d’emploi et de croissance favorables…). Cette institution présidée par Pierre Moscovici note que le scénario gouvernemental est « nettement plus favorable que celui de la Commission européenne », alors que ce dernier servira de référence lorsque la réforme de la gouvernance européenne des finances publiques sera adoptée.

Plus grave, la comptabilité publique française prend mal en compte le temps long. Les lois de programmation portent sur des horizons courts (3 ou 4 ans), ne sont pas contraignantes et sont rarement respectées. Les engagements à long terme sont mal pris en compte et insuffisamment provisionnés. Cette mauvaise prise en compte du long terme, avec la multiplication des dépenses contraintes ayant une grande inertie – telles les pensions, la charge de la dette ou des retraites - explique le caractère systématique des déficits.

A quel point est-il difficile d’obtenir des données qui viennent de Bercy, ou de la Sécurité Sociale par exemple pour ceux qui veulent et doivent les contrôler (Cour des comptes ou parlement) ?

David Carassus : Les données existent, mais il y a sans doute une problématique de périmètre de contrôle. L’Etat et les collectivités n’ont aujourd’hui pas d’obligation à informer les organes de contrôle sur certains types de données (réalisation, impact, etc.) car le périmètre de contrôle est trop centré sur la partie stricto sensu financière et règlementaire. Quand on demande à l’Etat des données qu’on a le droit de demander, il est dans l’obligation de les fournir. Ça ne veut pas dire pour autant qu’il va le faire de manière qualitative ou dans les temps. Il serait donc utile de faire évoluer le périmètre de contrôle de ces organes, mais aussi leurs modalités d’intervention, pour que les rapports produits soient plus utiles d’un point de vue informationnel et que l’Etat puisse rendre des comptes aux citoyens/contribuables sur l’utilisation de l’argent public.

Nathalie Goulet : C’est difficile. Il faut de l’entêtement des rapporteurs, qui ont évidemment le pouvoir de contrôle sur pièce et sur place. Le président Raynal, de la commission des finances du Sénat l’a montré dans le cas des financements du fonds Marianne pour lequel il a exercé ses pouvoirs  de contrôle. Nous disposons aussi de commissions d’enquête et d’un certain nombre d’outils, mais parfois ce n’est pas assez, a fortiori dans les délais qu’on nous impose.

Mais c’est certain que nous n’avons pas 100 % de notre capacité de contrôle budgétaire.

Les difficultés des parlementaires, voire de la Cour des comptes, pour obtenir des données de Bercy ou des branches de la Sécu, ne témoignent-elles pas d’un manque de transparence criant ?

Nicolas Marques : Sauvy, le créateur de l'Institut national d'études démographiques (INED) soulignait en 1949 qu’« Une administration a toujours quelque hésitation à livrer des renseignements sur sa gestion. Pour vivre heureux, vivons cachés est une ligne de conduite de bonne renommée » (Le pouvoir et l’opinion). Un siècle plus tard, c’est toujours une triste réalité.

Des informations clefs restent cachées et les enjeux ne sont pas bien exposés et traités. Nous l’avons encore vu récemment avec la réforme des retraites. Un nombre significatif de personnes clame que les retraites ne sont pas une source de dérapages, en s’appuyant sur des « chiffrages » du Conseil d’orientation des retraites manquant cruellement de sincérité. C’était le cas d’opposants à la réforme de 2023 … mais aussi d’Emmanuel Macron en 2017, lorsqu’il prétendait que les problèmes financiers étaient « derrière nous ». Depuis 20 ans, le COR fait comme si la source principale de dérapages financiers – les retraites des personnels de l’Etat – n’existait pas. Au motif que les retraites des fonctionnaires sont en dehors de la répartition et financées par le budget, il considère qu’elles sont à l’équilibre. Ce raisonnement est ubuesque. L’Etat n’équilibre jamais son budget et la mauvaise gestion des retraites des fonctionnaires est une des raisons pour lesquelles les dérapages financiers sont systématiques depuis un demi-siècle. En 2022, le déficit de l’Etat représentait 35% de ses dépenses et l’Etat a versé 40 milliards de subventions pour équilibrer comptablement les retraites de ses anciens personnels. La sincérité serait d’intégrer le déficit des retraites du public dans les projections du COR. Il faut sortir de l’impasse actuelle avec l’essentiel du déficit des retraites caché dans les comptes de l’Etat et n’apparaissant pas dans le déficit des retraites tel que calculé par le COR.

En cachant ces réalités, l’Etat ne rend service à personne. L’enjeu n’est pas de faire des campagnes de communication sur l’utilité des prélèvements obligatoires, mais de faire le nécessaire pour que les sujets de fond puissent être correctement traités. L’Etat doit publier des comptes et des projections sincères, c’est clef pour un débat fécond.

Est-ce un problème de volonté politique ? Ou est-ce que c’est un problème insoluble ?

Nathalie Goulet : Il doit y avoir des deux. Si l’on regarde le Grand Paris ou les Jeux Olympiques, des décisions sont votées au doigt mouillé. Dans le second cas, on sait pertinemment que les budgets votés ne sont pas crédibles et que la réalité sera bien différente. Dans quelques jours, nous allons avoir un débat sur la Loi d’orientation des finances publiques, nous verrons…

Comment lutter contre cette opacité de l’Etat ?

Nathalie Goulet : L’Etat n’est pas systématiquement opaque, mais il a des points d’opacité. Le problème est que la Cour des comptes n’a aucun pouvoir de sanctions.

Plus largement, dans notre système, les gens, même quand ils commettent des fautes lourdes qui impactent les finances publiques restent en place.

C’est sans doute sur ces questions qu’il faut progresser.

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