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Emmanuel Macron, Alexandre Benalla ou le syndrome de l’enfant gâté
©ALAIN JOCARD / AFP

A cet âge...

Le Monde dévoilait en début de semaine qu'Alexandre Benalla était au Tchad peu avant le déplacement officiel du président de la République. Il y aurait même rencontré le président tchadien. Il a tenu à répondre ce mercredi à l'Elysée qui a eu de vives réactions à son encontre.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Émissaire officiel ou non, celui qui a été démis de ses fonctions auprès du palais présidentiel en juillet dernier ne semble pas vouloir faire profil bas. N'y a-t-il pas une forme de syndrome de l'enfant gâté dans cette attitude ? 

Bertrand Vergely. Cette récente information concernant Alexandre Benalla interroge à quatre niveaux et non pas simplement trois comme le suggèrent les questions posées sur son profil, sur la macronie et sur notre époque.

Le premier niveau, dont on ne parle pas, concerne l’importance politique d’Alexandre Benalla. Que sa psychologie personnelle soit révélatrice de quantité de traits relatifs à notre époque est une chose dont il va être question. Mais avant tout, constatons qu’Alexandre Benalla possède un solide carnet d’adresses à propos de milieux qui le prennent au sérieux. S’il est allé au Tchad conduire une délégation, s'il a rencontré le président tchadien,  visiblement il n’est pas considéré comme étant n’importe qui et son réseau d’influences politiques est beaucoup plus important qu’on ne le pense. On est loin du simple garde du corps qui vient faire le coup de poing à la fin d’une manifestation place de la Contrescarpe à Paris en Mai dernier afin de prêter main forte à ses collègues policiers.

Les commentaires à son sujet par les medias vont dans ce sens puisqu’il est décrit comme un sujet jeune, vingt six ans, qui répond à des interviews de façon extrêmement brillante.  Si Alexandre Benalla existe encore dans les milieux du pouvoir économique et politique c’est certainement qu’il n’est pas n’importe qui au sein d’un réseau d’influences qui n’est pas n’importe quoi. Manifestement il représente quelque chose au sin d’un monde qui est le monde de l’ombre dont on saura quelque chose  peut-être un jour ou pas. 

S’agissant maintenant du profil d’Alexandre Benalla. Il ne fait pas profil bas. Rentré dans l’ombre mais nullement afin d’y être une ombre, au lieu de se faire oublier,  il continue d’être un personnage agissant. Est-il un enfant gâté ? Vu de l’extérieur, c’est ce qui semble être le cas. Vu de l’intérieur, les choses sont plus subtiles que cela.

D’autres, après le tapage médiatique qu’il a suscité, ne s’en seraient pas remis. Lui, se porte très bien. Il continue et même il persévère À l’évidence il ne manque pas d’aplomb. Il n’en manque pas parce que c’est pour cela qu’il a été recruté. C’est ce que ceux qui l’ont engagé par le passé ont détecté chez lui. C’est ce qu’ils ont souhaité qu’il manifeste. C’est ce dont il fait preuve aujourd’hui.

Quand on est chargé de la protection rapprochée du président de la République mieux vaut avoir des nerfs d’acier.  C’est le cas. Alexandre Benalla qui a veillé sur le président et qui sait aussi très bien veiller sur ses propres intérêts. Son attitude qui ne fait pas profil bas choque. Elle est à l’image du système qui l’a recruté. Le monde est aujourd’hui dominé par un pouvoir économique et politique que rien ne démonte. La honte ? La culpabilité ? La vergogne ? Connais pas. Il ne s’agit pas là d’une logique d’enfant gâté mais plutôt de pouvoir roi.

Quand ayant le pouvoir on est sûr de pouvoir le garder quoi qu’il advienne, on ne se laisse impressionner par rien. On est déstabilisé par rien. Alexandre Benalla a confiance en lui parce que derrière lui c’est tout un système qui, ayant le pouvoir et étant sûr de ne pas le perdre,  a confiance en lui, sans vergogne aucune.

En quoi l'attitude d'Alexandre Benalla est-elle représentative de la macronie, et même de l'époque dans laquelle on vit ? 

La logique qui a conduit Emmanuel Macron au pouvoir est extrêmement puissante. Cette logique tient au caractère d’Emmanuel Macron lui-même. Il voulait être président. Il est devenu président en faisant ce qu’il faut pour cela et notamment en faisant preuve d’une volonté inflexible.  Cette logique tient également au pouvoir économique et politique qu’il y a derrière Emmanuel Macron.

Ce pouvoir, qui est planétaire, est gigantesque et inflexible lui aussi. À sa tête, on retrouve toujours le même type d’homme, un type inflexible avec une volonté de fer et des nerfs d’acier, Trump, Poutine, Erdogan.

Quand Emmanuel Macron a pris le pouvoir, cette logique a révélé son pouvoir implacable en balayant François Fillon et Marine Le Pen de façon magistrale grâce à une prise en main hors pair  du mental collectif par les medias.  La victoire d’Emmanuel Macron a pris alors l’allure d’une ascension irrésistible.

Le monde dans lequel nous vivons est le monde de la technique, de l’intelligence artificielle, des robots. Tout est formaté, calculé, analysé au millimètre près. Ce monde est le onde de l’intelligence glacée parfaitement efficace que rien n’arrête. Dans ce monde, si l’on veut survivre, il faut être comme ce monde : technique, calculateur, glacé.  Emmanuel Macron l’a parfaitement compris. Alexandre Benalla l’a en partie compris.

En partie parce que s’il l’avait vraiment totalement compris il ne serait pas tombé. Le vrai pouvoir, le grand pouvoir, ne descend pas dans la rue faire le coup de poing. Aujourd’hui, Alexandre Benalla n’est plus reconnu par le pouvoir qui l’a recruté. Il n’a pas perdu toutefois tout pouvoir. Témoin sa présence au Tchad. Il a su rebondir. Qualité hautement appréciable pour le système qui, du coup, sait s’en resservir.

Ne sommes-nous pas arrivés à un monde où l'on refuse tous les aspects de contraintes, de frustration et d'inconvénient quotidien ? Un monde où l'illusion l'emporte sur la réalité ?

Nous sommes dans un monde qui devient de plus en plus dur. Dans un monde humain l’Autre avec un grand A existe. Les autres existent également. On ne fait pas ce que l’on veut parce que l’Autre et les autres existent. Ce monde  où l’Autre et où les autres existent se caractérise par  une vertu : celle de la pudeur. Comme on se sent lié à l’Autre et aux autres, on s’en veut de ne pas tenir compte d’eux. Quand on les bouscule, on a un sentiment de gêne. On se sent bousculé.

Dans le monde qui est le nôtre, l’individualisme triomphe. Pendant longtemps il a triomphé en gardant un certain sens de l’Autre et des autres. Le sacré n’était pas totalement dépourvu de sens. Les autres n’étaient pas totalement dépourvus d’existence. Aujourd’hui, l’individualisme est totalement décomplexé. Le sacré ? Les autres ? La pudeur ? On s’en moque. C’est ringard. C’est réac. Ça ne fait pas avancer les choses. Ça ne les fait pas bouger.  Quand on a de la pudeur, on se fait marcher dessus. Puisque les autres ne se gênent pas on ne voit pas pourquoi on se gênerait.

La scène se passe dans le CDI d’un lycée.  Le responsable du centre de documentation ordonne à un élève qui ne cesse de faire du bruit de sortir. L’élève refuse et tutoie le responsable qui, impuissant, ne sait que faire.  Cette scène résume l’individualisme qui sévit aujourd’hui. Celui-ci provoque sans complexe. Pour tout se permettre, il défie le monde en poussant à la violence.

La loi est impuissante ? Rien de plus normal. Elle protège ceux qui l’enfreignent. Imaginons que le responsable du CDI utilise la violence pour faire sortir l’élève. Poursuivi en justice il écoperait d’une amende et d’une peine de prison avec sursis. L’élève le sait. Aussi en joue-t-il en disant en substance au responsable du centre de documentation : « Ose me déloger par la violence. Vas-y ».

Nous avons là la racine du cancer qui est en train de nous ronger. Aujourd’hui, sachons n’être déstabilisé par rien. Sachons avoir un culot à toute épreuve. On est sûr de gagner. Le sacré et le sens des autres qui permettent à un lien social de s’édifier ayant disparu, la société qui hésite à utiliser la manière forte en toute occasion afin de se faire obéir, est désarmée. Si bien qu’une logique de terreur banalisée au quotidien est en train de s’installer.

L’attitude d’Alexandre Benalla qui ne se laisse démonter participe-telle de la logique de l’individualisme décomplexé qui n’a plus aucune pudeur ? Pas totalement. Pas vraiment, sa logique étant davantage celle du pouvoir établi. En revanche, au quotidien, pour les prises de pouvoir auxquelles on assiste malheureusement trop souvent, c’est cette logique qui prévaut. S’il y a le pouvoir des riches, il y a le pouvoir des pauvres.

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