Embargo européen sur le pétrole russe : un coup d’épée dans l’huile ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Ursula von der Leyen a proposé un embargo progressif de l'Union européenne sur le pétrole et les produits pétroliers achetés à la Russie.
Ursula von der Leyen a proposé un embargo progressif de l'Union européenne sur le pétrole et les produits pétroliers achetés à la Russie.
©ALEXEÏ NIKOLSKY / SPOUTNIK / AFP

Nouvelles sanctions

Selon certains analystes, les mécanismes de prix sur les marchés mondiaux du pétrole pourraient limiter l’impact de cet embargo sur l’économie russe. Mais affecter d’autres pays.

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec

Jean-Pierre Favennec est un spécialiste de l’énergie et en particulier du pétrole et professeur à l’Ecole du Pétrole et des Moteurs, où il a dirigé le Centre Economie et Gestion. 

Il a publié plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur des sujets touchant à l’économie et à la géopolitique de l’énergie et en particulier Exploitation et Gestion du Raffinage (français et anglais), Recherche et Production du Pétrole et du Gaz (français et anglais en 2011), l’Energie à Quel Prix ? (2006) et Géopolitique de l’Energie (français 2009, anglais 2011).

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Atlantico : La présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé que l’UE allait proposer un embargo sur le pétrole russe pour « faire payer le prix fort » à Vladimir Poutine.Selon certains analystes pourtant, les mécanismes de prix sur les marchés mondiaux du pétrole pourraient limiter l’impact de cet embargo sur l’économie russe. La Commission européenne se leurre-t-elle sur l’effet que pourrait avoir la décision ? Le mécanisme de marché peut-il protéger en partie la Russie ?

Jean-Pierre Favennec : La Russie joue un rôle important sur les marchés pétroliers. La consommation mondiale de pétrole est de 100 millions de barils par jour. La Russie produisait récemment un peu plus de 10 millions de barils par jour et exportait près de 8 millions de barils par jour sous forme de pétrole brut et de produits raffinés (essence, gazole en particulier). Depuis l’invasion de l’Ukraine, du fait des menaces de sanctions américaines, du fait également des difficultés logistiques pour les exportations qui partent de la Mer Noire, les exportations russes ont nettement diminué au cours des dernières semaines. 

Plus de la moitié des exportations russes de pétrole sont destinées à l’Europe. Un embargo aurait évidemment des conséquences importantes pour la Russie et pour l’Europe 

La Russie, comme elle le fait déjà, pourrait exporter davantage de pétrole vers l’Inde et la Chine. Cependant, pour exporter son pétrole la Russie doit consentir des rabais importants à ses clients. Si le prix du pétrole Brent, brut de référence dans le monde, est de l’ordre de 110 dollars, la Russie doit exporter son brut à 70 ou 80 dollars par baril prix maximum accepté par les clients compte tenu de l’origine du brut ou des produits et des risques encourus par les acheteurs. 

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Les revenus des exportations de pétrole ont représenté environ50 % des recettes à l’exportation de la Russie au cours des dernières années en situation normale. Un embargo européen pourrait avoir un double effet : réduire physiquement les quantités de pétrole exportées par la Russie (de quelques millions de barils par jour) du fait des difficultés à trouver des clients mais augmenter le prix du pétrole, du fait de la disponibilité moindre de pétrole sur les marchés.

 La régulation du marché est dans les mains d’une organisation qui regroupe l’OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole dont sont membres les pays producteurs du Golfe Persique, d’Afrique et d’Amérique du Sud) et désormais un autre groupe de pays producteurs dont la Russie. Ces pays augmentent régulièrement leur production pour faire face aux besoins d’un marché où la consommation est croissante, mais les augmentations de production restent très limitées. Des pays comme l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis pourraient sans doute accroître fortement leur production mais leurs relations avec la Russie les incitent à la modération. 

En résumé un embargo européen réduirait les exportations russes mais pourrait conduire à une augmentation des prix. Au total les recettes russes pourraient n’être que modérément affectées. 

Est-il possible que paradoxalement, les économies européennes souffrent plus de cette décision que la Russie elle-même ? Cet embargo européen sur le pétrole russe pourrait-il se retourner contre d’autres pays et asphyxier leur économie ?

Le risque d’un embargo est effectivement une diminution des disponibilités de pétrole donc une augmentation des prix. Les prix sur les marchés internationaux réagissent très vite à un faible déséquilibre entre l’offre et la demande. 

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La décision des Etats Unis (et des autres pays occidentaux) membres de l’AIE (Agence Internationale de l’Energie) de mettre sur le marché des quantités de pétrole disponibles dans les stocks de sécurité vise à augmenter les disponibilités. Les stocks de sécurité dits aussi stocks stratégiques, dans la plupart des pays industrialisés, obligent les opérateurs à disposer de réserves équivalentes à trois mois de leurs vente. Cette décision va atténuer pendant quelques mois les tensions sur les marchés.

Quelles pourraient être les conséquences concrètes dans les pays occidentaux ?

L’embargo sur les importations russes, s’il est mis en place, sera progressif. Les stocks stratégiques pourront également atténuer les conséquences de l’embargo. Enfin il existe comme nous l’avons indiqué des capacités supplémentaires de production dans des pays producteurs comme l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis et quelques autres pays. Les Etats Unis réduisent les sanctions sur le Venezuela, important pays producteur,ce qui pourrait permettre un redressement de la production de pétrole dans ce pays où les extractions se sont effondrées au cours des dernières années. Enfin une levée des sanctions contre l’Iran, rétablies par Donald Trump mais que l’administration Biden pourrait alléger, permettrait une production accrue en Iran donc faire baisser les prix. 

Cela veut-il dire pour autant que la décision d’un embargo sur le pétrole russe est une erreur ?

Les exportations de gaz et de pétrole russes sont les principales ressources de ce pays. L’effondrement de l’URSS en 1990 est attribué à l’effondrement du prix du pétrole quelques années auparavant, effondrement qui avait conduit l’économie russe à la faillite. Mikhail Gorbatchev fut contraint de mettre « la clef sous le paillasson » faute de ressources. 

Des embargos européens sur le gaz et le pétrole russe auront des conséquences lourdes pour les pays européens. Pour le gaz remplacer les importations russes est pour l’instant difficile et ne pourra se faire que progressivement. Pour le pétrole, il existe des sources d’approvisionnement qui pourraient permettre de remplacer le pétrole russe. Les quantités de pétrole russe importées par la Chine et l’Inde deviendront disponibles au Moyen Orient. 

Les Américains sont autosuffisants en énergie. En revanche les Européens devront négocier avec les pays producteurs pour trouver des sources complémentaires d’approvisionnement.

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