Effondrement des excédents commerciaux outre-Rhin : petit dérapage de l’économie allemande ou crash en vue ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des employés du constructeur automobile allemand Volkswagen travaillent sur une chaîne de montage à l'usine de Zwickau, dans l'est de l'Allemagne.
Des employés du constructeur automobile allemand Volkswagen travaillent sur une chaîne de montage à l'usine de Zwickau, dans l'est de l'Allemagne.
©RONNY HARTMANN / AFP

Réalité économique

L'Allemagne connaît pour la première fois depuis trente ans un effondrement de ses excédents commerciaux. Cette situation risque-t-elle de perdurer ?

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Atlantico : La plus grande économie d’Europe connaît pour la première fois depuis trente ans un effondrement de ses excédents commerciaux. Comment expliquer cette situation ? L’Allemagne paie-t-elle les erreurs commises depuis près de deux décennies ? Quelles sont-elles ?

Philippe Waechter : Effectivement, le solde de la balance commerciale allemande s’est récemment inversé. De pléthorique il y a encore un an, il s’est effondré récemment pour être marginalement négatif en mai 2022. C’est un changement radical. L’Allemagne n’avait pas eu de solde extérieur négatif depuis le printemps 1991 juste après la réunification et le bouleversement que cela engendrait.

Cela est grandement lié à un effet des prix puisque exprimé en volume le solde allemand est toujours excédentaire.

L’Allemagne qui tirait une partie de sa puissance de ce surplus commercial est désormais dans une position très différente. Elle n’a plus les mêmes marges de manœuvre dans la gestion de sa politique économique. Elle ne peut plus présenter son modèle comme celui à suivre systématiquement.

L’origine de ce désagrément est à chercher dans les choix faits par l’Allemagne depuis 15 à 20 ans. Il y a eu deux types de choix. Le premier est d’orienter les exportations allemandes vers l’Asie et la Chine en particulier. Cela a longtemps bien fonctionné. En 2010 par exemple la reprise en Chine a été le facteur clé pour comprendre la vive accélération de la croissance outre-Rhin. Depuis un an, le niveau des exportations stagne, n’apportant plus cette impulsion salvatrice. En outre, les importations chinoises en valeur ont fortement augmenté, peut être en lien avec la dépréciation de l’euro. Toujours est il que le solde vis-à-vis de la Chine est devenu fortement déficitaire depuis l’automne 2021.

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L’autre point est la Russie. Les exportations vers la Russie se sont effondrées depuis le début du conflit en Ukraine. De la sorte, là aussi, le solde commercial est devenu franchement négatif. Les importations se sont dégradées au moment du conflit en mars alimentant l’inversion du solde bilatéral avec la Russie.

Par ailleurs la balance énergétique s’est franchement dégradée traduisant, comme pour tous les pays européens, l’impact du choc énergétique.

Cette situation est-elle passagère ou risque-t-elle de perdurer ? Témoigne-t-elle d’un prochain crash de l’économie allemande ?

Philippe Waechter : Elle va durer. Le modèle allemand reposait sur la capacité de l’Allemagne à exporter vers l’Asie et la Chine en payant avec une énergie bon marché payée à la Russie. Cette approche mercantile a fonctionné tant que le monde était sur un mode coopératif. Ce n’est plus le cas depuis les tensions avec la Chine, ce n’est plus le cas avec la Russie.

Le monde a changé radicalement et l’Allemagne doit adapter son modèle à cette rupture. Le monde sera plus morcelé dans le futur et l’Allemagne doit en tenir compte. L’ajustement prendra forcément du temps.

L’Allemagne dispose-t-elle d’une marge de manœuvre pour se repositionner et regagner en compétitivité ? Quelle devrait être sa stratégie ? 

Philippe Waechter : L’Allemagne reste une économie puissante avec des avantages comparatifs indéniables. D’ailleurs ce que l’on observe est principalement le résultat de mouvements sur les prix car en volume, le commerce extérieur est toujours largement excédentaire. Simplement, si les prix changent durablement, l’avantage que lui donnait l’excédent nominal disparait. On voit bien que les stratégies changent ailleurs que ce soit aux US mais surtout en Chine. L’Allemagne ne peut pas faire comme si rien n’avait évolué.

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Quelles seront les conséquences de cette situation pour l’Allemagne et ses partenaires européens ?

Philippe Waechter : Ce changement d’allure de l’Allemagne et la perte de ces sources d’impulsion sont une mauvaise nouvelle à court terme car cela a un caractère récessionniste. Cela engendre une dynamique moins porteuse pour l’économie européenne qui est déjà fragilisée par le choc énergétique et par la hausse des prix alimentaires. Les consommateurs vont s’ajuster au risque de provoquer un recul de la consommation et donc de l’activité. Le choc allemand n’est donc pas le bienvenu.

A moyen terme, l’analyse est plus nuancée. L’Allemagne a encore d’indéniables atouts industriels mais elle doit caler sa stratégie dans un cadre plus étroit, moins coopératif. L’objectif de la Commission est de rendre l’Europe plus autonome dans sa croissance. Cela veut dire que l’Allemagne aurait intérêt à développer davantage sa capacité à tirer l’Europe vers le haut en profitant de ses atouts. Si l’objectif européen est une croissance plus autonome alors cet objectif partagé doit inciter l’Allemagne à investir dans tous les pays européens afin de dynamiser la croissance de l’Europe. C’est en se recentrant sur l’Europe que l’Allemagne aura la stratégie la plus efficace. Elle rendrait la croissance plus autonome et tirerait les bénéfices d’un niveau de vie plus élevé sur le vieux continent.

Cet effondrement des excédents commerciaux pourrait-il faire bouger la position de l’Allemagne auprès de la Commission européenne ? Pourrait-elle ne plus forcer les autres pays de la zone euro à se conformer à certaines règles ?

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Philippe Waechter : La disparition du surplus global ne signifie pas que le solde avec l’Europe a disparu. Il est relativement stable et excédentaire depuis une vingtaine d’année. Il ne montre pas encore de rupture similaire à celle constatée à l’échelle globale y compris au mois de mai. Cela peut évoluer mais ce n’est pas le cas pour l’instant. Les difficultés de l’Allemagne ne viennent que de sa stratégie mercantile mise en place depuis 15 à 20 ans.

En conséquence, l’Allemagne doit remettre en cause sa stratégie mais sa place dans l’Union Européenne n’est clairement pas encore dégradée.

Pendant des années l'Allemagne a opté pour une stratégie de cavalier seul dans l'Union européenne afin d'affirmer sa puissance économique. Comment cette puissance s'est-elle construite ? Les autres pays ont-ils dû se conformer aux règles construites par le pays ?

Philippe Waechter : L’Allemagne est une puissance économique depuis longtemps. A Rambouillet en 1975, le premier G6 incite l’Allemagne a relancé pour permettre aux pays développés de sortir du marasme provoqué par le premier choc pétrolier. A cette même époque, le serpent monétaire européen est créé pour permettre aux monnaies européennes de disposer d’un cadre monétaire cohérent après l’éclatement de l’accord de Bretton Woods. Très vite, les différents pays composant ce serpent monétaire sortent de ce système, incapable de suivre la dynamique non inflationniste de l’Allemagne. Le serpent périclite car finalement l’Allemagne y reste seul. Au début des années 1980, le franc français est dévalué trois fois après l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir. Le nouveau président se rend compte que si la France reste plus inflationniste que l’Allemagne la construction européenne ne pourra s’inscrire dans la durée. Le tournant de la rigueur en mars 1983 est une rupture marquante pour la France qui se cale sur la stratégie allemande.

La puissance de l’Allemagne n’est pas récente mais elle a pris un tour nouveau avec la création de la zone Euro. L’Allemagne qui est alors « le pays malade » de l’Europe met en place des réformes pour améliorer sa compétitivité. Ce sont les fameuses réformes Schatz au début des années 2000. Cela se traduira par une austérité durable pour l’ économie allemande.

Au moment de la création de la zone Euro, des pays comme l’Espagne, l’Italie et même la France disposent de taux d’intérêt plus faibles et du cadre institutionnel rassurant de la zone Euro. Cela se traduit par une demande interne très dynamique dans ces pays.

Un nouvel équilibre se met en place. L’Allemagne avec ses mesures d’austérité contraint sa demande interne alors que l’Espagne, l’Italie ou encore la France ont une demande interne très dynamique. Cela se traduit par un surplus commercial bilatéral considérable de l’Allemagne vis-à-vis de chacun de ces pays. Lorsque la crise financière arrive en 2008, l’Allemagne a la capacité d’imposer ce qu’elle souhaite face à des pays qui partent à la dérive. Elle force l’Espagne, l’Italie et d’autres à des cures d’austérité pour éviter une situation budgétaire non soutenable. Les dévaluations internes de l’Espagne et de l’Italie permettent un rééquilibrage des comptes bilatéraux. La France fait un peu bande à part et ne rentre pas dans la cure d’austérité intense observée chez ses voisins.

Entre temps, l’Allemagne a changé d’arme. Elle dispose d’un excédent de balance des paiement et accumule des liquidités sur tous les pays de la zone. Target 2 qui est une mesure de ces liquidités accumulées montre que l’Allemagne dispose d’un poids toujours considérable au sein de la zone. Par ailleurs, le surplus de l’Allemagne sur la zone Euro est stable alors que son solde extérieur global s’effondre. La fragilité de l’Allemagne ne vient pas de la zone Euro.

L’Allemagne est malade de son modèle mercantile vis-à-vis du reste du monde. Il faut qu’elle s’adapte, qu’elle adapte ses sources d’énergie pour repartir de l’avant. Elle avait très bien réussi à le faire après les chocs pétroliers. Ce sera plus douloureux cette fois ci car la question du gaz russe est non solvable à court terme.

Cela pourra la fragiliser en Europe mais tous les autres pays ont aussi de vraies interrogations sur leur positionnement. La France a un déficit extérieur considérable, l’Italie n’a pas de croissance et l’Espagne tarde à revenir sur son niveau d’activité d’avant la crise sanitaire. Chaque pays est en difficulté. L’avantage avec l’Allemagne est qu’elle peut redéployer des moyens pour redynamiser l’Europe plutôt que de développer ailleurs dans le reste du monde. Cela donne probablement un poids plus important à l’Allemagne.

Finalement, le seul à avoir imposé ses choix à l’Allemagne est Mario Draghi alors président de la BCE. Il sort de l’équilibre politique que choyait Jean Claude Trichet pour faire prévaloir un équilibre économique qui prenait en compte toutes les composantes de la zone Euro. L’Allemagne a perdu de son influence à la BCE et Christine Lagarde a prolongé l’œuvre de Draghi.

La crise actuelle pourrait-elle remettre en cause cette stratégie du cavalier seul ?

Philippe Waechter : La crise actuelle remet l’Europe au centre du jeu pour l’ensemble des pays européens y compris l’Allemagne. A eux tous d’adopter une stratégie cohérente pour que l’Europe en sorte grand bénéficiaire. Si l’Allemagne doit faire des sacrifices elle le fera car elle a tout intérêt à ce que l’Europe fonctionne de façon équilibrée. Vous évoquez le cavalier seul de l’Allemagne, c’est un peu vrai, mais n’a-t-il pas été favorisé par les stratégie de désindustrialisation de la France et par les maladresses en Italie qui font que l’Italie n’a plus de croissance. L’Allemagne n’est pas responsable de cela.

On a tous intérêt à travailler dans le même sens. La présidence de l’Union Européenne par la Tchéquie devra créer le cadre pour mettre cela en musique.

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