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Philippe / Wauquiez : le match des deux droites dont aucune ne peut se permettre de reproduire l’erreur de Valls sur les gauches irréconciliables
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Débat politique

L'Emission politique de ce 27 septembre était l'occasion d'une opposition entre Edouard Philippe et Laurent Wauquiez, anciens partenaires au sein des LR et aujourdhui divisés par le macronisme.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors que Manuel Valls avait théorisé la notion de gauches irréconciliables pour en arriver à une désertion plus ou moins forcée de la politique française, en quoi l'enjeu pour la droite française, et pour les deux protagonistes, est d'éviter d'en arriver à une telle conclusion ?

Edouard Husson :Les Républicains en général, Laurent Wauquiez en particulier, doivent marquer une opposition sans compromission à Edouard Philippe - sous peine de disparaître. C’est une question politique: on est soit dans le gouvernement et la majorité parlementaire et présidentielle soit dans l’opposition. Il n’y a pas d’entre-deux. C’est d’autant plus vital pour la droite qu’une partie d’entre elle - des éléments de grande valeur- se sont ralliés à Macron. C’est pourquoi il n’y a pas le choix. Il faut réaffirmer une droite puissante; et il est donc nécessaire de marteler que Macron n’est pas de droite et gauche à la fois comme il l’a prétendu durant sa campagne mais fondamentalement, essentiellement, de gauche; c’est d’ailleurs ce que le Président ne cesse de marteler quand il se réclame du progressisme ou du libéralisme. 
La question suivante, c’est la ligne que devrait incarner l’opposition de droite. Une partie d’entre elle aurait pu se rallier à Macron sur les idées et les projets mais n’a pas eu le courage d’Edouard Philippe. Si Laurent Wauquiez veut réussir dans son entreprise, il doit tenir compte à la fois de cette droite qui n’en est pas vraiment une et, d’autre part, de cette autre droite, exclue du jeu politique, qu’est le Rassemblement National - lui aussi un mouvement de droite même si Marine Le Pen s’est obstinée à poursuivre l’électorat de Jean-Luc Mélenchon pendant la camapgne présidentielle. A partir de là, Laurent Wauquiez - ou un autre - doit choisir entre plusieurs scénarios. Le premier, improbable, consisterait à tendre la main à la fois aux centristes et au Rassemblement National. Le second consisterait à rompre avec le centre crypto-macroniste et à choisir une stratégie d’union des droites, dans la lignée de Nicolas Dupont-Aignan entre les deux tours de la présidentielle; du point de vue des Républicains, ce scénario a l’inconvenient de rouvrir un espace au centre pour Macron au lieu de le pousser le plus possible vers la gauche. Le troisième scénario, inspiré de la stratégie de Nicolas Sarkozy en 2007, consiste à créer à droite un pôle d’idées et de militants suffisamment puissant pour attirer à la fois des centristes, des « républicains » et des « nationalistes ». Mais cela demande un changement radical de logiciel, une rupture avec l’histoire de la droite depuis 1974 qui aille beaucoup plus loin que la finalement timide parenthèse sarkozyste dans une séquence globale où la droite n’a quasiment plus jamais été de droite depuis la mort de Georges Pompidou.  

En quoi la droite aurait tout intérêt à conserver sa part d’ambiguïté, tout comme l'était la victoire mitterandienne de 1981, ou la cohabitation entre RPR et UDF au cours des dernières décennies ? Quelle est la condition permettant de faire vivre de façon constructive cette ambiguïté ?

Le gaullisme du Général ou le sarkozysme se sont construits sur des ambiguïtés. De Gaulle avait, en revenant au pouvoir en 1958, un soutien massif, des partisans de l’Algérie française aux centristes. Et le mouvement a pu survivre à l’abandon de l’Algérie et au refus gaullien de l’Europe fédérale: malgré des défections, De Gaulle a été largement réélu en 1965. L’éventail des forces rassemblées par Sarkozy était plus étroit au départ et il n’a pas survécu au quinquennat du président - à quelques centaines de milliers de voix près. En fait, Sarkozy n’a pas complètement tenu ce qu’il avait annoncé: la rupture, à droite. En particulier, son action sur le contrôle de l’immigration a été mitigée, malgré les déclarations; et la libéralisation des forces entrepreneuriales du pays n’a été que limitée. De Gaulle, lui, a résisté à l’usure du pouvoir, parce que sa rupture initiale était réelle: rupture constitutionnelle; rupture diplomatique et militaire, rupture avec les empires, y compris l’Empire français. C’est la réalité de la rupture de départ qui permet ensuite de cultiver des ambiguïtés. Giscard aussi a provoqué une rupture: mais elle allait à rebours de son intérêt: il a mis en oeuvre, concernant les moeurs, une politique de gauche, qui l’a empêché d’être réélu puisqu’une partie de l’électorat de droite s’est détournée de lui en 1981 à cause de la libéralisation de l’avortement; et, de même, sa rupture avec le gaullisme en faveur d’une Europe fédérale lui a coûté énormément de voix. De façon similaire, Chirac a bien failli ne jamais être élu président - ni réélu - car il est devenu giscardien après avoir fait battre Giscard; il a laissé le Front National s’installer à la place du gaullisme. Un leader de droite peut se permettre toutes les ambiguïtés qu’il désire pourvu que ce soit toujours des « ambiguïtés de droite »! 

De façon plus pragmatique, quelles seraient les conditions à réunir, au sein de la droite française, pour permettre de faire cohabiter ces différents courants dans un parti conservant ses ambitions de gouvernement ? 

La droite se trouve devant une chance historique. Le monde libéral et progressiste qu’Emmanuel Macron défend avec panache est en train de s’effondrer sous nos yeux. Jusqu’à présent, l’opposition politique au monde libéral avait du mal à percer. Mais nous assistons à une avalanche depuis 2016: la Grande-Bretagne a voté le Brexit. Donald Trump a été élu. Poutine a redressé la Russie sur un programme conservateur mis en place grâce à une pratique du pouvoir qui rappelle furieusement Napoléon III. L’Europe centrale représente, comme il y a quarante ans face au socialisme, un pôle dissident conservateur par rapport à la bonne conscience, cette fois-ci non plus communiste mais libérale et bruxelloise. L’Italie a réussi ce tour de force de réunir populisme du Nord et populisme du Sud dans un gouvernement d’unité nationale. Il y a bien entendu du bon et du moins bon dans le réveil conservateur auquel nous assistons. Eh bien, ce serait l’honneur et l’intelligence de la droite française de fixer un « standard », un étalon du conservatisme. 
Le travail est assez facile à entreprendre dans la mesure où la droite dispose, avec le gaullisme, d’un programme conservateur cohérent qui reste en partie d’actualité. Il faudrait commencer par se rappeler ce qu’était vraiment le gaullisme: un souci de l’équilibre budgétaire pour préserver l’indépendance du pays; un combat pour une politique monétaire nationale au sein d’un système monétaire international équilibré et organisé; une vision résolument confédérale de la construction européenne; une diplomatie fondée sur l’équilibre des puissances, contre toute prétention impériale; une politique d’adaptation permanente de nos forces armées et de notre stratégie de défense; un usage très limité du recours à l’immigration du travail pour l’économie française et un refus de l’immigration telle que nous la concevons aujourd’hui - au point que le Parlement européen voterait sans doute une condamnation si on lui demandait de prendre position sur les déclarations du Général; une politique industrielle nationale; la conviction qu’au-dessus de 35% de part de l’Etat dans le PIB, on bascule dans un système économique inefficace;  un très fort souci de décentralisation; la participation des salariés au capital de leur entreprise etc.... 
Il y a bien entendu beaucoup à moderniser, à adapter, dans le logiciel gaullien. Egalement des rééquilibrages à faire: par exemple l’avenir de l’influence française en Europe est sans doute dans un rapprochement avec la Grande-Bretagne et la substitution d’un triangle Paris-Berlin-Londres à l’axe actuel Paris-Berlin - avec le recul, on s’aperçoit que même de Gaulle a trop misé sur l’Allemagne et sans doute manqué de verrouiller le caractère confédéral de l’Europe institutionnelle en s’appuyant sur la Grande-Bretagne. Autre exemple: il est peu probable que l’on reviendra au septennat mais il est vital de renforcer d’autant plus le rôle du Premier ministre que le quinquennat pousse à la présidentialisation du régime. Ajoutons un troisième exemple, fondamental: de Gaulle ne pouvait imaginer l’emballement promothéen de la procréation assistée, le retour de l’eugénisme quelques décennies seulement après la disparition du nazisme, la tentation transhumaniste. On peut continuer, à droite, à juger réactionnaire « La Manif pour Tous »; on devrait plutôt se rendre compte qu’au-delà du plaidoyer pour un conservatisme moral, il y a l’enjeu civilisationnel d’une résistance au nazisme soft qui attend tapi en embuscade derrière nos innovations dites bioéthiques. 
Quand on imagine un programme alliant retour à l’indépendance budgétaire, diplomatique, militaire; retour à une pratique confédérale de l’Europe et mise en place d’un triangle de concertation permanente Londres-Berlin-Paris; réforme du système européen des banques centrales en même temps que développement d’un plan B au cas où cette réforme échouerait; mise en place d’un protectionnisme modéré; reprise du contrôle des frontières; immigration zéro et retour à une conception assimilationniste de l’appartenance à la République; lutte pour la sécurité intérieure; abolition des zones dites de « non droit » dans les banlieues; soutien à l’entrepreneuriat; investissements conséquents de l’Etat dans les infrastructures de la troisième révolution industrielle et dans le système éducatif et universitaire; défense systématique de la personne humaine contre toutes les tentation eugénistes, euthanasiques et transhumanistes etc...., il devrait être possible de réunir largement à droite. 
L’enjeu est double: d’une part une rupture avec le « giscardisme » (dont Macron est le plus fidèle héritier), d’autre part un programme positif qui allie réaffirmation sans compromis possible de l’identité française, un gaullisme rénové et le retour aux sources de la démocratie-chrétienne. 

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