Grand rebond en avant ? L'économie chinoise ne s'écroule pas, elle traverse juste un trou d'air <!-- --> | Atlantico.fr
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Si les finances chinoises restent un sujet d'inquiétude, le plus alarmant est sans doute la contestation de modèle économique chinois par la société.
Si les finances chinoises restent un sujet d'inquiétude, le plus alarmant est sans doute la contestation de modèle économique chinois par la société.
©Flickr / fabvirge

Beaucoup de bruit pour rien...

Malgré les constats alarmants, en Europe ou aux Etats-Unis, quant à la baisse de la croissance chinoise, l'optimisme reste de mise sur place. Les Chinois ne voient qu'un simple ralentissement économique passager.

Florent Detroy

Florent Detroy

"Florent Detroy est journaliste économique, spécialisé notamment sur les questions énergétiques, environnementales et industrielles. Voir son site."
 
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Je ne suis pas arrivé depuis assez longtemps en Chine pour avoir noué des liens étroits avec le gouvernement de la Banque de Chine, ni même avec le ministre des Finances. Et je dois avouer avoir quelques difficultés à discuter avec mon vendeur de légumes à côté de chez moi… pourtant l’optimisme autour de la croissance chinoise ici contraste particulièrement avec les visions alarmistes en Europe ou aux Etats-Unis.

Invariablement, lorsque je pose une question sur la santé de l’économie chinoise ici, on me répond qu’elle est bonne, et qu’il faut être confiant. Intoxication médiatique, me direz-vous ?

Ce n’est pas à exclure. Récemment encore, le Daily China titrait : “Le Premier ministre s’engage pour stabiliser la croissance”. Nulle trace ici d’atterrissage brutal de l’économie, le gouvernement est aux commandes, dormez tranquille braves camarades. D’ailleurs le quotidien rappelait aussi que la Chine avait un des taux de chômage les plus bas d’Asie.

Mais une fois dépassée une réticence naturelle à croire ce que l’on me dit dans un pays communiste, certaines déclarations m’ont réellement laissé songeur. Ce fut le cas lorsque j’ai rencontré le patron d’Agora Chine il y a quelques jours. En parlant de l’état de l’immobilier dans le pays, Fred Hsu m’a assuré qu’au quotidien, il constatait peu de signes de ralentissement. “On entend parler de la baisse de l’immobilier, mais personnellement, je ne vois aucune baisse des prix. Les prix vont continuer à monter, simplement moins rapidement”, m'a-t-il expliqué.

Pourtant Fred n’est pas un apparatchik du parti. Il est, comme il me l’avait rappelé lors de notre première rencontre, un “American born chinese“, un Américain d’origine chinoise. J’ai retrouvé ce type de réaction plusieurs fois depuis que je suis ici.

La part d’intoxication médiatique explique en partie cet optimiste. Mais en partie seulement. La réalité est qu’ici, tout le monde considère le ralentissement actuel comme passager.

Les commentateurs s’inquiètent de la Chine

Habitués à devoir lire entre les lignes, les commentateurs occidentaux ont fait des gorges chaudes des dernières mesures économiques chinoises.

Ce fut d’abord une baisse des taux d’intérêt de la Banque centrale chinoise (BPoC) annoncée en mai dernier. Une deuxième baisse de 31 points est intervenue ce mois-ci. Selon les analystes de Crédit Agricole CIB, les banques vont pouvoir prêter jusqu’à 30% moins cher que les taux directeurs. En parallèle, le gouvernement a ouvert un peu plus grand la porte aux investisseurs étrangers en atténuant les règles du QFII (règles encadrant les investissements étrangers) et a accueilli un peu plus le marché de Shanghai.

Pour les analystes de tous bords, ces différentes mesures, qui rappellent les heures sombres de 2008, sont le signe que la Chine est sur le point de s’effondrer.

L’Etat assurera un atterrissage en douceur

Je ne crois pas que la Chine va atterrir brutalement comme le laissent penser des analystes comme James Chanos. Les prêches apocalyptiques de cet économiste américain prédisent depuis des années l’explosion prochaine des finances publiques et de l’immobilier chinois, équivalente à “des milliers de fois celle de Dubaï”.

Pourtant l’Etat a largement les moyens d’éteindre une crise financière grâce à ses réserves de changes de 3,2 milliards de dollars. Et je rappelle que la dette de l’Etat n’est que de 50% du PIB. Surtout, ces mesures entreprises depuis deux mois répondent à la faiblesse des partenaires commerciaux de la Chine, et non à une faillite du moteur chinois. Je rappelle que les exportations vers l’Union européenne sur les six premiers mois de l’année n’ont progressé que d’un chétif 0,7%, et celles vers le Japon ont même régressé, de 0,2%.

Le vrai risque n’est pas financier

Si les finances chinoises restent un sujet d’inquiétude, je ne pense pas que ce soit le principal problème de l’économie. Le plus inquiétant, c’est la contestation du modèle économique actuel par la société.

Si l’objectif reste la croissance, elle ne peut plus être atteinte à n’importe quel prix.

Le début de la croissance chinoise date de 1949, année de l’arrivée du pouvoir du parti communiste

La Chine est très fière de son rythme de croissance depuis 30 ans. J’ai retrouvé cette fierté jusque dans les allées du marché de l’or de Cai Bai...

Bien sûr, le début de la croissance date sur cette pièce de 1949, année de l’arrivée du pouvoir du parti communiste. Dans un pays où une des principales visites touristiques est d’aller verser une petite larme sur le tombeau de Mao Zedong place Tian’anmen, c’est compréhensible.

Si la croissance reste l’objectif le plus important du gouvernement, un changement de modèle est pourtant en cours. Car les excès de la croissance de ces 30 dernières années sont de plus en plus dénoncés, avec le soutien d’une partie du gouvernement.

L’avertissement de Wukan

C’est le message que le Premier ministre Wen Jiabao veut faire passer actuellement. La croissance a créé trop d’inégalités et a ouvert la porte à la corruption. Cette prise de conscience n’arrive pas toute seule.

Les événements récents de Wukan, dans le Guangdong, dans le Sichuan, dans le Liaoning, à Dalian, et plus récemment à Shifang, ne laissent pas de doutes sur une montée des tensions. C’est chaque fois le même scénario : la population se mobilise contre un projet des autorités, en dénonçant la corruption, les atteintes à l’environnement, ou les abus d’autorité. Parfois, l’exécutif tombe, comme à Wukan.

La pression semble si forte que Pékin entrouvre même la porte à la critique. Si les quelques personnes que j’ai rencontrées ne connaissent pas la réalité du “bond en avant” de Mao, ni le sort de contestataires chinois comme Liu Xiaobo et Ai Weiwei, elles sont intarissables sur les inégalités en Chine et la corruption des hommes politiques.

Le gouvernement reste sur le fil du rasoir

Sentant le vent du boulet, les autorités de Pékin voudraient réorienter la croissance. Encore une fois, cela passe par une lente ”pédagogie” médiatique. Récemment, la sortie d’une biographie de Deng Xiaoping, le père de la croissance chinoise, a donné prétexte à un journaliste du China Daily de faire ce commentaire “cela fait 30 ans que Deng a lancé ses réformes, et de nouveaux problèmes se posent actuellement [...] les autorités ont réalisé que la croissance à deux chiffres du PIB qui a été maintenu pendant 20 ans [...] va affecter la vitalité de l’économie si elle continue”.

Le problème est qu’une réorientation de la croissance signifie une baisse de la croissance. La contestation actuelle, provoquée par les inégalités sociales, pourrait se voir paradoxalement exacerbée par une baisse du taux de croissance sous les 7,5%. Les économistes affirment qu’un passage en dessous de ce seuil signifierait le début d’une destruction d’emplois. Or c’est précisément les prévisions de croissance du gouvernement pour cette année.

Pour éviter de tomber plus bas, le gouvernement vient de lancer plusieurs plans de relance dans l’urgence. Le modèle de l’investissement à outrance va ainsi perdurer quelques trimestres de plus, charriant son cortège d’inégalités avec lui.

La direction est claire mais le chemin est étroit

Une des pistes qui s’impose pour rééquilibrer la croissance chinoise concerne bien évidemment la baisse des investissements. La banque Nomura analysait récemment que le taux d’investissement était au-dessus des 40% depuis 10 ans, et au-dessus de 50% depuis deux ans. Jamais aucun pays au même stade de développement n’avait atteint ce seuil.

Ainsi, le centre d’analyse Gavekall a prédit récemment que le gouvernement pourrait viser à long terme un objectif de 36% de taux d’investissement. La consommation intérieure pourrait ainsi prendre le relai. Les deux obstacles actuels seraient alors surmontés : la croissance serait réorientée vers la société, et la dépendance envers l’étranger réduite.

Toutefois le flou domine encore largement. Si la relance actuelle va maintenir à flot le système, à long terme, personne ne sait vraiment ce que va faire le gouvernement. La succession du duo Hu Jintao-Wen Jiabao, normalement prévue pour octobre prochain, semble fortement contestée en interne. Le pire scénario étant de voir arriver à la tête de l’Etat un nouveau duo aux pouvoirs affaiblis.

Mon conseil : laissez passer la tempête

A court terme, les différentes mesures de relance vont profiter aux grandes entreprises d’Etat, les fameuses SOE. Les liens incestueux entre dirigeants et ces grandes compagnies ont d’ailleurs éclaboussé la toile ces derniers jours. Fin juin, Bloomberg a révélé la listes des intérêts économiques de Xi Jinping, le futur président pressenti à la tête de l’Etat, ainsi que sa fortune de plus de 300 millions de dollars (Bloomberg n’est plus accessible en Chine depuis).

Pourtant les risques d’un excès de capacités, notamment dans la sidérurgie, pourrait déprimer encore plus les cours du secteur. Je me méfierais des leaders comme Baosteel.

Je vous conseille au contraire de regarder du côté de l’or. La baisse des taux d’intérêt va pousser les épargnants chinois à placer leur argent sur des actifs plus sûrs. Comme le rappelle ce matin Philip Klapwijk, responsable du pôle métaux chez Thomson Reuters GFMS, “la Chine est attendue pour devenir le premier marché de l’or pour la consommation d’ici la fin de l’année”.

Bon investissement.

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