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Dynamique Macron : une réédition de la campagne Lecanuet de 1965 ?
©ERIC FEFERBERG / AFP

Destins croisés

Tant sur la forme que sur le fond, les similitudes entre Jean Lecanuet et le candidat d'En Marche ! sont aussi nombreuses que frappantes malgré les années qui les séparent.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Dans quelle mesure peut-on établir un parallèle entre la campagne d'Emmanuel Macron et celle menée par Jean Lecanuet en 1965 ? 

Jean Petaux : Vous avez parfaitement raison d’évoquer la campagne de Jean Lecanuet, première du genre au suffrage universel en France depuis 1848 (et encore alors ne s’agissait-il que d’un scrutin "à moitié universel" au XIXème siècle puisque les femmes ne votaient pas). Il est d’ailleurs frappant de constater que l’expression "en marche" était déjà dans le répertoire lexical du candidat "centriste".

Qui était Jean Lecanuet ? C’était un professeur agrégé de philosophie (il a même été le plus jeune agrégé de philosophie de France, à 22 ans, en 1942). Il est actif dans la Résistance à partir de 1943 et sera même fait "Juste entre les Nations" pour avoir sauvé et caché de nombreux Juifs promis à l’extermination. Il est un des plus jeunes fondateurs du MRP (Mouvement Républicain Populaire) à la Libération et va occuper plusieurs postes de directeurs de cabinet auprès des nombreux ministres chrétien-démocrates qui vont siéger au Conseil des Ministres entre 1946 et 1958. En 1963, il est élu président du MRP. C’est par cette fonction qu’il est le candidat "naturel" à l’élection présidentielle de 1965. Il faut préciser que cette élection divise et surtout ennuie particulièrement les partis politiques "traditionnels" tous hostiles (en dehors des gaullistes et de la toute petite poignée d’indépendants "giscardiens") au principe de la réforme constitutionnelle adoptée par référendum en octobre 1962 modifiant le mode de scrutin de l’élection du président de la République. Jean Lecanuet va transformer le MRP, convaincre une "figure du centre", Paul Reynaud (qui joua un rôle décisif dans le départ du Général de Gaulle pour Londres le 17 juin 1940, de Bordeaux-Mérignac au petit matin) de le soutenir, rallier à lui d’autre grandes figures centristes comme Pflimlin ou encore Teitgen, et donc ainsi positionner les chrétiens-démocrates au "centre" du jeu politique.

Pour être parfaitement rigoureux, il faut rappeler que la rupture était totalement consacrée entre le Général et les Démocrates-Chrétiens depuis octobre 1962 et le départ du gouvernement du dernier grand ministre centriste, un véritable héros de la Résistance, Pierre Sudreau, ministre du Général depuis 1958 et titulaire, au moment de sa démission, du portefeuille de l’Education nationale. Mais avant cette rupture, il y avait eu des alertes et surtout des coups de boutoir de de Gaulle qui n’aimait rien tant que se servir des "chrétiens-démocrates" comme de punching-ball d’entrainement de boxeur. La plus spectaculaire de ces "alertes" a lieu cinq mois avant le référendum d’octobre 1962,  le 15 mai précisément, lors d’une de ces "grands-messes" que constituaient les conférences de presse du Général, en Majesté, à l’Elysée. Ce jour-là, de Gaulle, en présence des ministres chrétiens-démocrates qui siègent encore dans le gouvernement Pompidou, les humilie en direct sur la question européenne : "Je ne crois pas que l’Europe puisse avoir aucune réalité vivante si elle ne comporte pas la France avec ses Français, l’Allemagne avec ses Allemands, l’Italie avec ses Italiens etc. Dante, Goethe, Chateaubriand appartiennent à toute  ’Europe dans la mesure où ils étaient respectivement et éminemment italien, allemand et français. Ils n’auraient pas beaucoup servi l’Europe s’ils avaient été des apatrides et s’ils avaient pensé, écrit en quelque esperanto ou volapük intégrés… J’ai déjà dit et je le répète qu’à l’heure qu’il est, il ne peut pas y avoir d’autre Europe que celle des Etats, en dehors naturellement des mythes, des fictions, des parades". L’affaire va faire grand-bruit, et cinq ministres MRP démissionnent le jour-même : Paul Bacon, Robert Buron, Joseph Fontanet, Pierre Pflimlin et Maurice Schumann. Ces départs de ministres démocrates-chrétiens ne vont pas émouvoir  plus que cela le Général (il faut dire qu’aucun des cinq n’occupait de fonction dite "régalienne"). En tous les cas la "question européenne" va être, plus que jamais, l’un des points majeurs des tensions entre "gaullistes" et "centristes". Ce n’est d’ailleurs pas nouveau puisque ce débat-là a été au cœur du refus de la CED (Communauté européenne de défense) sous le gouvernement Mendès France en 1954 avec une alliance objective des gaullistes et des communistes pour torpiller le projet de défense européenne commune.

Alors, en effet, Emmanuel Macron apparait sans doute aujourd’hui comme inscrit, pour partie dans cet héritage démocrate-chrétien. Est-ce pour cela que François Bayrou l’a rallié ? La question se pose en effet. Mais pour autant, toute une autre partie de Macron, son travail avec les socialistes, la proximité à Hollande, un positionnement plutôt "libéral" (au sens de "permissif") sur certaines questions sociétales, bien plus avancé que certains centristes aujourd’hui, le font être quelque peu étranger à cette "culture démorate-chrétienne".

En tout état de cause, même si le rapprochement entre Lecanuet et Macron est tentant, il est bien périlleux de le conduire jusqu’au bout tant le contexte politique national et le déroulement de la campagne de 1965 sont fondamentalement différents de ce que nous connaissons aujourd’hui,  pour la dixième édition de l’élection présidentielle. Et s’il est une différence de taille, une seule à mentionner, c’est que le candidat qui porte les couleurs de la droite en novembre-décembre 1965, le général de Gaulle, n’est pas mis en examen, lui. D’ailleurs "qui imagine un seul instant le général de Gaulle mis en examen ?" comme l’a rappelé fort opportunément, lors de sa rentrée fin août 2016, un homme politique parfois habillé par un ami. D’ailleurs qui "imagine un seul instant le général de Gaulle se faire offrir son uniforme de général de brigade de réserve par un ami ?" (là aussi..). Donc on voit bien que les situations ne sont pas comparables.

Qu'en est-il des points communs que le candidat d'En Marche! semble partager avec l'ancien président du MRP, notamment quant au rapport aux Etats-Unis ? 

C’est peut-être dans la forme que le rapprochement peut être le plus aisément opéré entre Jean Lecanuet et Emmanuel Macron. Leur jeunesse respective est un premier élément à prendre en compte. Lecanuet avait 45 ans en 1965 et Macron aura 40 ans le 21 décembre prochain. En comparaison avec Mitterrand qui était, déjà, une figure politique très connue de la IVe République (11 fois ministre entre 1946 et 1958 ; gravement mis en cause dans le "scandale de l’Observatoire" en 1959 : donc très "identifié" par les électeurs) ; né en 1916, de quatre ans l’ainé de Lecanuet, la différence d’âge est faible, mais par rapport au général de Gaulle qui vient de fêter ses 75 ans juste avant le premier tour de la présidentielle de 1965, le compteur du temps affiche 30 ans de différence en faveur de Lecanuet.

Le deuxième élément qui mérite considération est, vous le dites bien dans votre question, le rapport aux Etats-Unis. Jean Lecanuet va très vite hériter de deux surnoms : le premier est plutôt flatteur de "Kennedy français". Surnom qui aurait pu être inquiétant pour l’intéressé pour ce qui est de la fin tragique… mais si son ami Fontanet a été abattu en pleine rue dans des circonstances troubles, sous le septennat Giscard, ce ne fut pas, heureusement pour lui, le destin de Lecanuet. Le second, plus vachard, était "Colgate" ou encore "Dents blanches" (la seconde version étant liée à un usage prononcé du célèbre dentifrice dont la marque était reprise dans le premier des deux…) . Jean Lecanuet va mener une campagne dite "à l’américaine"… En réalité elle n’a rien du tout "d’américaine" mais elle est "moderne"… Il se déplace en hélicoptère (ce qui prouve que les centristes ont des amis qui ont les moyens alors….), montre son "sourire émaille-diamant" avec une constance indéfectible.  Et se fait "conseiller" par le premier "communicant" (identifié comme tel) de l’histoire de la vie politique française : Michel Bongrand, décédé le 19 août 2014 à 93 ans dans le Périgord et qu’on appelait, bien avant Jacques Séguéla et Jacques Pilhan, le "Pape du marketing politique". Bongrand aura la main moins heureuse en conseillant et coachant Jacques Chaban-Delmas en 1974 face à Giscard… Toujours est-il que Jean Lecanuet "crève" l’écran de la seule chaîne de télévision nationale de l’époque, la Première de l’ORTF, pour sa "gueule" quand il apparait dans les "spots" officiels de la campagne. Il "porte" beau, il "fait" jeune et il "séduit" beaucoup. Le seul souci, pour lui, c’est qu’il se révèle d’un ennui mortel, que son propos endort les téléspectateurs (dont une partie s’imagine peut-être dans d’autres situations avec le candidat MRP)… En un mot comme en cent : c’est un "redoutable somnifère".

Emmanuel Macron, autre temps, autres mœurs politiques et communicationnelles, ne semble pas souffrir du mal rédhibitoire de Jean Lecanuet (qui, au passage, le poursuivra toute sa carrière politique durant… alors qu’il ne se représentera plus jamais à la présidentielle). Les tous prochains débats montreront (ou pas) l’aptitude à communiquer de Macron, mais surtout l’ampleur ou pas de son projet et de son ambition pour la France. Comme il n’est pas passé par la case primaire, les Français finalement n’ont pas eu l’occasion de le voir "sur scène", et comme il est en situation de favori pour l’élection finale, c’est lui qui va être le plus scanné, le plus jugé et évalué de tous les acteurs présents. La curiosité va jouer à fond pour lui puisqu’il sera en quelque sorte le "nouveau".  Il sera temps de voir alors si le "jeune prodige Macron" tient la distance et si le "lapin n’est pas un peu maigre" aux yeux des "électeurs-chasseurs".. Jean Lecanuet fut évalué comme tel aussi parce qu’il avait face à lui deux redoutables personnalités, très différentes l’une de l’autre : de Gaulle représentant l’histoire de France ; Mitterrand représentant l’histoire de la gauche… Convenons qu’il n’était pas aisé alors de se faire une place, entre ces deux "calibres"  au second tour.

Cette fois-ci, il en va tout autrement. Le "casting" est mauvais.. Du niveau d’une élection législative dans une circonscription du Loir-et-Cher (sans vouloir être désobligeant pour ce département et par pure référence à Michel Delpech...).

S'il a contribué à la mise en ballotage de Charles de Gaulle, Jean Lecanuet termine troisième à l'élection présidentielle de 1965 avec 15% des voix, loin derrière François Mitterrand.  Emmanuel Macron peut-il craindre un destin similaire ? Quels enseignements peut-il tirer de l'ancien candidat ?

On a dit en effet que Lecanuet avait contribué à mettre le général en ballotage. Mais retenons bien l’emploi du mot "contribuer". Cela signifie forcément qu’il y a eu nombre d’autres facteurs et sans doute plus déterminants que la candidature du président du MRP. D’abord, aussi étrange que cela puisse paraître, le général de Gaulle n’a pas fait campagne pendant tout le premier tour, estimant qu’un président de la République sortant, sollicitant un second mandat, n’avait pas à s’abaisser à faire campagne. Il fut totalement absent des écrans de télévision pendant le premier tour dans le cadre de la "campagne officielle", hormis le 30 novembre et le 3 décembre où il consent à apparaître. Il faut dire que les sondages ne sont pas bons pour le premier tour qui va avoir lieu le 5 décembre. Le "miracle" d’ailleurs, et cela montre la "popularité" extraordinaire du Général, c’est qu’il dépasse les 44% des voix au soir du premier tour avec une participation phénoménale (84,75%), laissant son premier challenger, Mitterrand, 15 points derrière (31,72%) et Jean Lecanuet justement, 29 points derrière lui (15,57%). Cette absence de présence "médiatique" (comme on ne dit pas encore alors) du président de la République sortant va jouer pour beaucoup dans sa mise en ballotage. Il est un second facteur essentiel : la gauche est totalement unie derrière le candidat Mitterrand : du PCF aux Radicaux-Socialistes en passant par la SFIO (futur PS) et la Convention des Institutions Républicaines (la CIR), le petit mouvement justement de Mitterrand. Cela va symboliquement jouer considérablement pour crédibiliser à gauche la candidature de Mitterrand qui n’apparait pas d’ailleurs spécialement comme un homme de gauche mais plutôt comme un redoutable adversaire du "pouvoir personnel" du général de Gaulle qu’il n’a eu de cesse de dénoncer dans un livre publié une année avant la présidentielle de novembre-décembre 1965 : Le Coup d’Etat permanent.

Donc là encore la comparaison avec Macron ne tient guère. Lui, à l’inverse de Lecanuet, il a face à lui une gauche fragmentée et fracturée puisque Hamon et Mélenchon sont actuellement entre 12 et 14% d’intentions de vote. Un seul candidat de gauche, comme Mitterrand l’a fait en 1965, puis de nouveau en 1974, c’est un avantage considérable pour se qualifier au second tour. Cette année non seulement la division de la gauche (qui a souvent existé au demeurant et n’a empêché ni Mitterrand, ni Hollande d’être élus) mais surtout le positionnement suicidaire du candidat socialiste, qui ne veut pas être élu président mais juste prendre le contrôle d’une partie de ce qui restera des ruines du PS cet été, sont autant de facteurs favorables à Macron et le mettent à l’abri d’une disqualification pour le second tour.

Sauf si Fillon, habitué des "come-backs" spectaculaires dans le dernier tour, parvient à dépasser soit Macron, soit Le Pen, soit les deux ensemble. Sainte Rita, la sainte-patronne des causes perdues, pourrait être d’un grand secours au pieux Fillon. C’est le moment de tirer parti d’un électorat filloniste plus catholique pratiquant que regardant sur la fidélité à la parole donnée en public et la pratique de l’ascèse vestimentaire ("et alors ?...") Mais l’encens des cierges permet, opportunément et spirituellement, d’évacuer quelques mauvaises odeurs … : "avant d’aller aux urnes, tous un cierge et une prière à Sainte Rita" !  Pour ramener Macron au rang de Lecanuet en 1965…

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