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DSK : complot ou parano ?
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Affaire Dominique Strauss-Kahn

Un "complot international" : c'est ainsi que la strauss-kahnienne Michèle Sabban a qualifié ce qu'il est convenu d'appeler "l'affaire DSK". Du 11 septembre à la mort de Ben Laden, les théories du complot reviennent de plus en plus au cœur de l'actualité. Pour l'historien Frédéric Monier, auteur notamment du "Complot dans la République", parler de conspiration permet de tenter de donner de cette actualité inattendue une explication rationnelle.

Frédéric  Monier

Frédéric Monier

Frédéric Monier est historien et professeur à l'université d'Avignon.

Spécialiste de l'histoire politique contemporaine française et européenne et de l'histoire du secret, il est l'auteur de nombreux ouvrages dont Le complot dans la République. Stratégies du secret de Boulanger à la Cagoule (La Découverte, 1998) ou Corruption et politique : rien de nouveau ? (A. Colin, 2011).

Il participe par ailleurs à un site web consacré à l'histoire de la corruption politique en France et en Allemagne à l'époque contemporaine.

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Atlantico : Michèle Sabban, vice-présidente du Conseil régional d'Ile-de-France, a évoqué dimanche "un complot international" à propos de ce qu'il est convenu d'appeler "l’affaire DSK". Comment analysez-vous l’emploi du terme « complot » dans un tel contexte ?

Frédéric Monier : Il pourrait y avoir complot, comme il pourrait très bien ne rien y avoir du tout ! Nous n’avons pas encore assez d’éléments pour nous prononcer, mais, selon moi, c’est bien compréhensible que certains parlent de « complot ».

L’usage à chaud de l’idée de complot traduit la surprise, le désarroi et l’incompréhension. C’est une réaction humaine devant une actualité inattendue. Les expressions de « coup de tonnerre » ou de « tsunami » ont également été employées, pour traduire les mêmes réactions.  Le terme « complot » permet d’exprimer ce désarroi. De plus, il prétend donner de cette actualité une explication rationnelle, quoique obscure ou dissimulée. L’événement choquant est le fruit d’une volonté de nuire, d’une intrigue.

Si la langue anglaise ne dispose que de deux termes pour en parler, le français, lui, en a trois : on parle de « complot », « conspiration » ou « conjuration ». Généralement, les trois termes sont employés dans un sens identique – pour renvoyer à des manœuvres ou des ententes concertées secrètement entre plusieurs personnes et qui ont une finalité politique, le plus souvent violente. Dans des études parues il y a une dizaine d’années, j’ai proposé de distinguer la conspiration politique – les méthodes de subversion -, le complot au sens légal et pénal – l’atteinte à la sûreté de l’état par exemple-, et enfin la conjuration imaginaire – le mythe politique. La distinction, entre les techniques de conspiration et le complot au sens judiciaire, est faite depuis les années 1820 : elle signe l’entrée dans l’ère politique contemporaine. La scène publique est emplie de coups politiques qui sont en dehors des règles du jeu, de rumeurs et enfin de dénonciations de menaces – vraies ou fausses.

Aujourd’hui, beaucoup d’acteurs politiques préfèrent ne pas employer le terme « complot ». Ils craignent probablement de se voir imputer une vision « conspirationniste/conspiratoire » de la politique : dès qu’on parle de complot, on est regardé comme si l’on était paranoïaque, avec une vision délirante ou affabulatrice des événements.

Ainsi, lors de « l’affaire Woerth-Bettencourt », il y a eu des efforts sémantiques pour ne pas utiliser le terme « complot ». Éric Woerth, par exemple, a ainsi parlé de « cabale » contre lui et le chef de l’État. Cette façon un peu inhibée d’aborder les choses s’explique par la vogue des dénonciations de conjurations, ou de complots imaginaires. Ceux-ci sont mis en scène comme des fictions dans la culture de masse, via des romans et des films.

Or cette association a priori entre complot et « style paranoïaque » est elle-même simpliste, voire naïve. Il y a une part du secret en politique, et les complots réels existent. L’histoire l’a montré, ne serait-ce que récemment : avant la mort de Ben Laden, des membres d’Al-Qaïda ont été condamnés pour conspiration, notamment en Amérique du Nord. Faut-il rappeler que, dans la pensée politique contemporaine en Occident, un attentat est nécessairement le fruit d’une conspiration politique ?

Finalement, les complots correspondent bien à une catégorie essentielle de la vie politique. Pour autant, il ne s’agit pas d’une « forme » fixe, pour le dire comme Umberto Eco. En effet, on ne conspire plus contre un membre d’un gouvernement dans une démocratie libérale comme on conspirait dans une société d’ordres avant la monarchie absolue. Les pratiques de subversion changent, les règles pénales évoluent, et nos craintes collectives ne sont plus, au début du XXIe siècle, ce qu’elles étaient en 1832.  

Comment expliquez-vous ce recours à la théorie du complot ?

Cette lecture des événements est d’abord une lecture à chaud, qui traduit le sentiment d’une perte de rationalité et de moralité.

Nous sommes dans un monde où l’on prête aux acteurs de la scène publique des comportements rationnels. Or, l’idée d’une agression sexuelle d’une femme de chambre dans un hôtel par le Directeur général du FMI, candidat aux primaires socialistes pour l’élection présidentielle de 2012, semble a priori irrationnelle. On a tendance naturellement à considérer que Dominique Strauss-Kahn n’a rien à gagner et tout à perdre à faire ce dont on l’accuse. Il doit donc y avoir une autre raison : une obscure volonté de nuire.

Par ailleurs, les gouvernants ont acquis ce que John B. Thompson nomme une incroyable visibilité médiatisée : ils nous sont présentés comme des êtres sensibles et moraux. On a ainsi vu à la télévision Dominique Strauss-Kahn dans l’intimité avec Anne Sinclair. On suppose que c’est un être moral. Cela rend donc l’affaire d’autant plus incompréhensible. Cette visibilité médiatisée des gouvernants est une arme symbolique à double tranchant : elle est source de légitimité, mais aussi d’une grande fragilité. La notion de complot permet de soulager cette tension et ces contradictions.

Enfin, il ne faut pas oublier que nous n’avons jamais su autant de choses aussi rapidement dans toute l’histoire. Par conséquent, nous sommes toujours en quête de ce qui n’est pas dit : nous attendons le témoignage de la femme de chambre du Sofitel de New-York, nous voudrions voir son visage, nous sommes donc en permanence dans l’impatience devant ce qui n’est pas communiqué. C’est comme si nous avions 28 cartes dans un jeu de 32 et qu’on s’impatientait devant les quatre qui nous manquent. C’est une réaction compréhensible car ces quatre cartes là sont peut-être celles qui vont décider de toute la partie… Mais en tant qu’historien, j’ai envie de vous dire qu’on n’a jamais disposé d’autant de cartes que les 28 disponibles !

Quel rôle joue Internet dans ce « complotisme » ?

Internet est beaucoup plus qu’un simple lieu de rumeurs. Depuis deux ou trois ans, ce média a été dénoncé, quelquefois, comme un lieu de formations et de propagation de rumeurs, et d’informations incontrôlées. Selon moi, c’est beaucoup plus que cela, Internet est aussi un lieu d’expression politique et culturelle.

Ce qui est étonnant ce sont les modes de circulation de l’information et les formes d’expression que cela produit : au fur et à mesure que les internautes s’expriment sur la rumeur, ils font plus que la relayer, ils la questionnent. Internet est donc aussi ce territoire où les traces de nos doutes sont rapportées.

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