Paradoxe : la révolution monétariste comme la révolution keynésienne a accouché de la dette<!-- --> | Atlantico.fr
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Conclusion commune à tirer de la dette européenne comme de la dette américaine : l’euro sans gouvernance débouche sur la dette ; tout comme Wall Street sans régulation.
Conclusion commune à tirer de la dette européenne comme de la dette américaine : l’euro sans gouvernance débouche sur la dette ; tout comme Wall Street sans régulation.
©Bernadett Szabo / Reuters

Déficits budgétaires

La crise bouleverse les idées reçues et modifie les frontières traditionnelles. Ainsi Christian Stoffaës explique que la dette n’est plus un clivage droite-gauche mais le produit bipartisan d’une époque. Extraits de "Droite contre gauche" (2/2).

Christian Stoffaës

Christian Stoffaës

Christian Stoffaës est professeur à l'université Paris II Panthéon- Assas, ingénieur général des mines, chef économiste du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies du ministère de l' Economie, des finances et de l'industrie ; président du Conseil d'analyse économique franco-allemand.

 

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Plus jamais ça : l’indépendance des banques centrales fut conçue par les monétaristes comme le moyen radical pour soustraire l’institut d’émission aux pressions des gouvernements et des politiciens (comme ils disent), qui seraient à leurs yeux nécessairement dépensiers, démagogues et inflationnistes. Un demi-siècle plus tôt, la révolution keynésienne s’exprima comme la mise sous tutelle des instituts d’émission par les gouvernements.

Auparavant, les gouvernements étaient sérieusement contraints dans leurs déficits budgétaires. Ainsi les« remontrances » régulièrement adressées aux gouvernements impécunieux par les régents de la Banque de France : le Mur de l’argent et les « deux cents familles ».

Il fallait donc clairement établir la hiérarchie entre le pouvoir politique et le pouvoir financier, au nom de la démocratie. Ce qui fut fait sous des formes diverses selon les cultures nationales : en France, c’est le Front populaire qui nationalise la Banque de France, pendant qu’aux États-Unis Roosevelt encadre les banques d’un tissu serré de réglementations.

Avec le recul de l’histoire, la révolution keynésienne apparaît comme un argumentaire, d’apparence scientifique, pour justifier la nationalisation des instituts d’émission. De même qu’à l’époque monétariste, la théorie des marchés financiers efficients, qui règne sur la science économique depuis deux décennies, apparaît rétrospectivement comme l’argumentaire d’apparence scientifique qui a justifié la financiarisation générale de l’économie, réduisant tout à des produits financiers sources de cash-flow, au point d’en faire oublier l’économie réelle, celle des usines, des techniques, des infrastructures. Et qui a justifié la dérégulation des banques, l’expansion prodigieuse du commerce des titres et des commissions afférentes, la spéculation sans couverture. C’est-à-dire l’accumulation des dettes et la cause du krach financier.

La monnaie unique européenne, grand oeuvre de toute une génération, vit une crise existentielle dix ans après sa mise en place, menacée par la Grèce impécunieuse et par les banques surendettées, après l’Irlande et le Portugal, avant l’Italie et l’Espagne, voire la France ?

Les pères fondateurs de l’euro, il y a vingt ans, avaient fixé à 60 % le plafond de la dette et à 3 % le niveau de déficit budgétaire admissibles pour l’éligibilité à l’euro. Ces plafonds ont été largement enfoncés, et c’est bien évidemment là que réside la source des difficultés actuelles. La crise de l’euro, c’est l’absence de gouvernance fiscale et budgétaire commune, l’impuissance à sanctionner les manquements à ses propres règles, fussent-ils grossiers tels le franchissement des bornes de Maastricht et la dissimulation comptable grecque.

Ainsi le règne des banquiers centraux indépendants s’achève dans la dette, c’est-à-dire dans le résultat inverse de la consigne que leur avait fixée l’ère monétariste qui les avait installés.

En réalité, on n’est jamais indépendant : Greenspan et Trichet, chacun était le porte-parole de son électorat. C’est la Fed de Greenspan qui fut le plus ardent propagandiste de la dérégulation financière ; c’est l’Eurogroupe et la BCE qui ne rappelèrent pas à l’ordre en temps utile les contrevenants aux critères de Maastricht. Conclusion commune à tirer de la dette européenne comme de la dette américaine : l’euro sans gouvernance débouche sur la dette ; tout comme Wall Street sans régulation.

Le monétarisme a certes vaincu l’inflation, cassé la spirale des prix et des salaires. Mais la dérégulation a engendré la spéculation sans couverture : donc le krach, l’insolvabilité des spéculateurs, le sauvetage des banques, le mistigri de la dette privée transférée sur la dette publique. De même qu’en Europe la démonstration a été faite que l’euro sans gouvernance, c’est la dette.

Demain il faudra reconstruire. Donc choisir entre les deux piliers idéologiques de notre époque, qui se sont révélés contraires alors qu’on les croyait convergents. Gardons nous des amalgames simplificateurs et de condamner en bloc la globalisation et le libéralisme économique. Car la spéculation sans couverture ne doit pas être confondue avec les libertés économiques ; les excès des produits financiers dérivés amalgamés avec la baisse des dépenses et prélèvements publics ; l’échec de la dérégulation bancaire ne vaut pas pour condamner la démonopolisation des télécommunications et la dérégulation des transports aériens.

La révolution monétariste a accouché de la dette, comme hier la révolution keynésienne, pourtant son antithèse, avait accouché de la dette publique. Paradoxal épilogue qui achève de nous convaincre que la dette n’est plus un clivage droite-gauche mais le produit bipartisan d’une époque. Demain il faudra rembourser : le désendettement, lui aussi sera bipartisan.

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Extrait de Droite contre gauche, Fayard (25 janvier 2012)

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