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Donald Trump, un ami qui nous veut du bien… à nos risques et périls
©AFP

Harry ?

Donald Trump rencontre Emmanuel Macron vendredi 14 juillet. On note de nombreuses divergences entre les deux pays et notamment sur le climat suite à la décision du président des Etats-Unis de sortir de l’accord de Paris.

Jean Sylvestre  Mongrenier

Jean Sylvestre Mongrenier

Jean Sylvestre Mongrenier est chercheur à l’Institut français de géopolitique (Université de Paris VIII) et chercheur associé à l’Institut Thomas More.

Il est notamment l'auteur de La Russie menace-t-elle l'Occident ? (éditions Choiseul, 2009).

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Atlantico : Concrètement, Emmanuel Macron a-t-il des chances de convaincre Donald Trump de revenir dans les accords de Paris sur le climat ? Sous quelles conditions ?

Jean Sylvestre  Mongrenier : N’exagérons rien quant aux divergences de fond, ne confondons pas les pays et les hommes qui les dirigent un temps. Le principal désaccord porte sur l’accord de Paris et la lutte contre le changement climatique. L’approche de Trump est climato-sceptique : il ne nie pas les changements à l’œuvre mais relativise singulièrement le rôle des hommes. Tant en raison de l’accroissement de leur nombre à la surface de la terre et de leur puissance d’action, ce que Heidegger appelle le règne de la technique, ce point de vue est difficilement soutenable. L’anthropisation de nos écosystème est visible à l’œil nu et cela ne peut être sans conséquences sur l’environnement. 

En fait, il faudrait se demander si Trump n’est pas conscient du problème d’ensemble mais fait preuve de mauvaise foi et s’entête dans le déni, pour ne rien céder. D’une part, sa personnalité, sa formation d’homme d’affaires et ses convictions le font certainement douter de l’efficacité du lourd dispositif prévu par l’accord de Paris qu’il voit comme une « usine à gaz ».  D’autre part, comme bien des Américains, fussent-ils philosophiquement conservateurs, il croit au progrès et à la libre entreprise. Probablement pense-t-il que la technique nous sauvera de la technique, pour peu que l’on laisse jouer les mécanismes de marché. 

Emmanuel Macron peut-il le convaincre ? Donald Trump n’est pas un « perdreau de l’année », il est orgueilleux et peut réagir par la provocation. En revanche, ceux qui le connaissent personnellement disent qu’il sait écouter et s’intéresser à des questions concrètes. Il faut comprendre sa psychologie : une grande part de sa vie, nonobstant sa richesse, il aura été méprisé par l’establishment américain, ce qui génère des anticorps et forge un habitus. Si l’on fait preuve de tact, sans excès, et que l’on parvient à lui démontrer le bien-fondé d’une approche pratique et « business » de la question, il y a peut-être une marge de négociation. L’accord sur le climat est une question de « gros sous » et bien des choses sont négociables.

Cela dit, Donald Trump ne décide pas seul : il n’est pas un potentat oriental. Par ailleurs, il lève de vraies questions. Alimenter un fonds communs pour aider les pays les plus dépourvus à faire face est une chose, accorder des délais à des économies émergentes, voire émergées dans le cas de la Chine populaire, au prétexte d’une réparation historique, en est une autre. Les « émergents » ne peuvent simultanément prétendre que les Occidentaux auraient confisqué le développement économique, entamer une course à la croissance qui génère des effets pervers et mettre une nouvelle fois en cause la responsabilité des anciennes puissances industrielles.

Ce passage à Paris semble être l’occasion de faire la publicité de la France dans le monde entier. A quoi peut servir cette publicité et peut-elle être bénéfique ?

Cette approche n’est-elle pas réductrice ? La diplomatie n’est pas une vaste opération publicitaire à des fins mercantiles. Dans le contexte présent, il s’agit de renforcer les relations politiques, diplomatiques et militaires avec les Etats-Unis, un pays initialement constitué de treize colonies en révolte contre l’Angleterre, soutenues par l’ancienne monarchie française lors de la guerre d’Indépendance. Rappelons que le traité de paix qui a abouti à la reconnaissance diplomatique des Etats-Unis a été signé à Versailles, en 1783. 

Par la suite, les relations se sont distendues mais une nouvelle alliance a été nouée au cours de la Première Guerre mondiale. Celle-ci a mis fin à l’ancien « concert des puissances », celui qui régulait plus ou moins les conflits et relations interétatiques, entre 1815 et 1914. L’objectif était d’empêcher le retour de grandes guerres européennes, comme à l’époque de la Révolutions française et de Napoléon Ier. Depuis 1917, l’optique atlantique prévaut et, après le rejet du traité de Versailles par le Congrès des Etats-Unis, la diplomatie française de l’entre-deux-guerres a cherché à les impliquer dans la sécurité collective de l’Europe (voir entre autre le pacte Briand-Kellog, 1928). 

In fine, c’est ce que qui a été obtenu lors de la signature de l’Alliance atlantique (4 avril 1949). La diplomatie française aura joué un rôle important lors des négociations et, au moment de la signature, Paris insistait particulièrement sur l’importance de l’article 9 du traité, celui qui prévoit la mise en place d’une structure politico-militaire (l’OTAN). Depuis, l’exercice consiste à s’assurer que les Etats-Unis ne se retireront pas d’Europe et, vaille que vaille, continueront à tenir le rôle de « stabilisateur hégémonique ». 

Au niveau bilatéral, l’enjeu du point de vue français est de promouvoir une sorte de « relation spéciale », en mettant à profit les difficultés germano-américaines d’une part, le fait que les Britanniques sont absorbés par le « Brexit » et les affaires intérieures d’autre part (voir l’éclipse diplomatique de Londres). Le théâtre géopolitique où cette « relation spéciale » compte est notamment l’Orient arabo-musulman (lutte contre l’« Etat islamique »). Dans la zone sahélo-saharienne, l’appui américain à l’opération « Barkhane » est majeur (ne nous focalisons pas sur le seul G5). Enfin, la diplomatie française soutient le projet de résolution américain sur le nucléaire nord-coréen. Tout cela est à la fois important et concret ; ce n’est pas simplement une opération de séduction. 

Donald Trump semble ne pas considérer la France comme un pays influent à l'international. Cette position peut-elle changer  l'issue de cette visite ?

Au regard de la superpuissance américaine et du fait que Donald Trump est un « magnat » qui considère les choses sous l’angle de la quantité, il est bien possible que le président américain n’ait pas d’emblée une grande considération pour une puissance de la taille de la France. Le caractère concret des questions et des enjeux abordés lors de cette visite, ainsi que les égards intelligemment témoignés par Emmanuel Macron, peuvent modifier son jugement.

Ayons en tête cependant l’esprit pratique du président américain et les idées qu’il martèle sans cesse depuis le début de son mandat. La question du « burden sharing », i.e. du partage du fardeau de la défense entre les Etats-Unis et leurs alliés européens (et autres), est centrale. Aussi sensible soit-il aux honneurs, je doute que Donald Trump perde cela de vue. Il s’inscrit dans une logique transactionnelle : « donnant-donnant ». Les Etats-Unis respecteront leurs engagements au sein de l’OTAN  - le fameux article 5 a été mentionné à Washington devant le président roumain, le 9 juin, puis à Varsovie, le 6 juillet) -, mais les alliés doivent faire plus. 

En ce qui concerne la France, ses diplomates et ses militaires ont gagné le respect de leurs homologues américains, et ce bien avant l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron. La coopération militaire est étroite et les deux pays ont renforcé leur interopérabilité, notamment sur le plan naval. On ne le sait pas suffisamment, mais le porte-avions français a pris, dans un passé récent, le commandement d’une « task force » américaine dans le golfe Arabo-Persique. Le fait était sans précédent et cela suppose un grand climat de confiance. 

Aussi est-il particulièrement maladroit, tant au regard des menaces réelles que des enjeux de la coopération franco-américaine, d’annoncer une baisse des dépenses militaires (une coupe de près d’un milliard d’euros), et ce la veille de la visite de Donald Trump. La vitalité de la France, sa diplomatie active et la force de ses armes peuvent amener Donald Trump à réviser son jugement, pas une « opération de publicité  (…) à l’international ». Au passage, soulignons l’inadéquation de ce jargon propre à l’import-export. Nous parlons ici de diplomatie, de stratégie, d’emploi de la force militaire, bref de l’« essence du politique ». Pour résumer, Emmanuel Macron, en conviant le président américain, a peut-être fait preuve d’une habileté machiavélienne. Pourtant, la ruse n’est qu’un auxiliaire de la force dont seuls les succès sont durables et décisifs. Il lui faut donc renforcer la France, non pas lui prodiguer des paroles agréables.

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