Donald Trump choque la France en parlant du Bataclan : mais au fait, est-il si difficile de se procurer des armes chez nous quand on a de mauvaises intentions ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Donald Trump choque la France en parlant du Bataclan : mais au fait, est-il si difficile de se procurer des armes chez nous quand on a de mauvaises intentions ?
©Loren ELLIOTT / AFP

Encadrement

La législation sur les armes est régie par de nombreux articles et de décrets de lois, dont le L311-2 est la clef de voûte.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

Voir la bio »

Atlantico : Le Président américain Donald Trump a provoqué de très importantes réactions de contestation en France après avoir déclaré à propos de l'attentat du Bataclan que "si un employé, ou juste un client avait eu une arme [...] les terroristes auraient fui ou se seraient fait tirer dessus". Au-delà de cette polémique, reste que, les agresseurs du Bataclan avaient réussi à se procurer des armes. Qu'en est-il véritablement aujourd'hui du contrôle de la vente des armes en France ? Peut-on le juger efficace ?

Alain Rodier : Ce ne sont pas exactement des réactions de "contestation" qui ont eu lieu mais d’"indignation" des familles des victimes. Ces dernières ont fort justement demandé au gouvernement français d’émettre une protestation ce qui a été fait il y a trois jours. Il y a peu de chances que cela impressionne le maître de la Maison Blanche qui agît comme bon lui semble sans se soucier de son image à l’extérieur des États-Unis. A sa décharge, ce n'est pas le premier président américain qui se comporte de la sorte mais cela se faisait auparavant plus discrètement.

Sur le fond de l’affaire, une fois de plus les déclarations du président Trump visaient son propre électorat, en l’occurrence celui qui est très présent au sein de la National Rifle Association (NRA) qui défend le droit des citoyens à porter une arme (selon le deuxième amendement de la Constitution US). Il ne faut pas se faire d’illusions. Les opposants à la diffusion libre des armes à feu qui ont participé aux manifestations (composées de beaucoup de jeunes) qui ont suivi les dernières tueries dans les universités américaines restent très minoritaires dans le pays. Pour les Américains, le droit de porter des armes est dans leur Histoire, leur légende et quasi dans leurs gênes. C'est l'héritage d'un passé aventureux lié à une méfiance permanente (pour ne pas dire plus) vis-à-vis du pouvoir fédéral. Tout au plus certains États parviennent à faire adopter des restrictions mineures comme la limitation de la capacité des chargeurs à dix coups. Mais globalement, la législation aux États-Unis est de plus en plus laxiste. Ainsi, la majorité des États accordent le port d’arme dissimulé (undercover) ce qui n’était pas le cas il y a vingt ans ! L’Europe aura beau dire, elle n’a pas voix au chapitre pour changer la mentalité des citoyens américains. En gros, c’est leur affaire et nous n’y pouvons rien.

Pour revenir à la France, la législation sur les armes est régie par de nombreux articles et de décrets de lois dont le L311-2 est la clef de voûte. En simplifiant au maximum, depuis 2013 seuls les chasseurs, les tireurs sportifs et des sociétés de sécurité privées (comme les transports de fonds, quelques gardes du corps et les polices municipales qui peuvent être assimilées à des "sociétés privées" au service des municipalités qui en ont fait la demande) sont autorisés à détenir des armes. Mais elles ne doivent pas entrer dans la catégorie dite "de guerre" ; par exemple toute arme pouvant tirer par rafales est totalement prohibée.

Ensuite le "port d’armes" dont il est souvent fait état abusivement dans la presse, est strictement réservé aux chasseurs "en action de chasse" (et avec beaucoup de restrictions, pour les détails, se reporter aux textes en vigueur) et aux membres des sociétés privées sous le contrôle étroit des préfectures.

Lorsqu’elles sont stockées, les armes (de chasse, de tir sportif ou de défense) doivent être entreposées dans des coffres forts et les munitions rangées à part (également sous clefs).

A la différence des policiers et des gendarmes, les membres des sociétés privées et les policiers municipaux ne sont pas autorisés à porter leur arme en dehors des heures de service. Il est vrai que cela pourrait se discuter pour les policiers municipaux dans la mesure où ils recevraient une formation complémentaire (particulièrement, sur les règles d'emploi de l'arme et ses limites).

En résumé, le citoyen français n’a le droit d’acquérir librement qu'un pistolet à bouchons. Cette législation très restrictive est partie d’un décret daté du 18 avril 1939, période de troubles précédant la Seconde Guerre mondiale. Auparavant, tout Français pouvait acquérir librement des armes de poing et des fusils ou carabines chez Gastinne Renette ou directement les commander sur catalogue ! Et pourtant le terrorisme d’obédience anarchiste existait bien depuis le début du siècle (Ravachol, la bande à Bonnot, etc.). Toutes les gazettes en parlaient mais avec un tel temps de retard que le "bourgeois" n’avait pas le temps d’avoir peur.

Cela dit, selon une étude portant sur l'année 2014, le rapport population/nombre de tués par armes à feu est quatre fois plus important aux États-Unis (en moyenne, 35 000 tués/an pour 320 millions d’habitants) qu’en France (environ 1 800 tués/an pour 65 millions d’habitants).

Si la presse couvre les tueries de masse qui ont lieu dans les universités américaines, il faut savoir que les 2/3 des décès par armes à feu sont d’abord dus à des suicides.

Comment expliquer que les contrôles soient beaucoup plus importants en France qu'aux États-Unis et que pourtant les terroristes et les voyous parviennent malgré tout assez facilement à se procurer des armes ?

Là aussi il y a une légende. Des reportages ont été faits montrant qu’il était extrêmement facile de se procurer des armes dans les banlieues sensibles. Si c’était aussi évident, tous les terroristes qui ont agi ces derniers mois auraient utilisé des armes à feu, or, ce sont des couteaux de cuisine (dont il est difficile d’interdire la vente) qui ont le plus été employés. De plus, les armes du marché noir coûtent cher et sont souvent de mauvaise qualité. Les terroristes du 23 mars 2018 à Trèbes et du 14 juillet 2016 à Nice avaient bien chacun un pistolet semi-automatique de 7,65 mm mais ce calibre est considéré comme trop peu puissant par tous les truands qui se respectent. Par contre, il est vrai que le meurtrier de l’attentat du 20 avril 2017 sur les Champs-Elysées était bien armé d’une arme de type kalachnikov. L’enquête suit son cours pour savoir comment il se l’est procuré.

Les Organisations Criminelles Transnationales (OCT) en ont fait un de leurs trafics les plus juteux qui sert surtout à approvisionner le grand banditisme qui en a besoin pour mener à bien des casses violents ou pour régler ses problèmes internes à coups de kalachnikovs. Jusqu’à maintenant, les armes étaient surtout importées d’Europe centrale où, suite aux guerres civiles, elles circulaient en abondance. Pour les mêmes raisons, il est vraisemblable que d’autres armes proviennent aujourd’hui du Proche-Orient et de Libye.

Pour conclure, le président Trump a d’abord tenté de rassurer ses partisans avant les élections à mi-mandat qui se profilent en prenant en exemple ce qui s’était passé en France mais aussi en Grande Bretagne où les crimes sont en constante augmentation malgré une législation sur les armes la plus restrictive d’Europe.

Sur un plan purement tactique, ses affirmations sont totalement faussescar, même si des citoyens armés avaient été présents le jour de l’attaque du Bataclan, au mieux ils n’auraient rien pu faire, au pire il y aurait eu des victimes supplémentaires dues à des balles perdues. En effet, il faut un entraînement de très haut niveau pour être à même de gérer une telle situation tactique (au milieu d’une foule compacte) et surtout, un sang-froid exceptionnel qui n’existe que chez les héros de films du genre. Les assaillants, eux, étaient de toute façon décidés à finir en « martyrs » ce qui leur donnait un avantage psychologique important qui venait s’ajouter au fait qu’ils avaient l’initiative.

Pour parer au mieux la menace, il convient de poursuivre les efforts de modernisation des services de renseignement et de sécurité tout en ne lâchant pas le pied sur les mesures passives de protection et sur l’entraînement des fonctionnaires au prétexte  que cela coûte cher et qu’ils n’ont que peu de temps à y consacrer. De plus, il faut les soutenir et condamner les campagnes anti-flics qui sont menées par des activistes qui ne rêvent que du "grand soir" ou des "petits matins qui chantent"…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !