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Doggy bag : les Français résistent aux tentatives de les convertir
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Pique-Assiette ?

Bien que le phénomène reste marginal en France, le doggy bag fait fureur outre-Atlantique. Partir d'une bonne table en emportant les restes semble étranger aux "gène français"...

Jean-Pierre Corbeau

Jean-Pierre Corbeau

Jean-Pierre Corbeau est Professeur de Sociologie de la consommation et de l’alimentation à l’Université de Tours où il est responsable de la licence professionnelle de « Commercialisation des vins ».

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Atlantico : Le doggy bag est une pratique qui consiste à emporter avec soi les restes d'un plat commencé au restaurant. L'idée ne prend manifestement pas en France. Pourquoi ? Qu'y a-t-il de fondamentalement différent entre le doggy bag, et le service à emporter de certaines tables ?

Jean-Pierre Corbeau : D'un point de vue sociologique, il y a deux types de comportements. L'un, plus aristocratique, l'autre plus populaire, et sans faire dans la subtilité (tout en évitant néanmoins la caricature grossière), nous sommes tous relativement issus de ces modèles-ci. L'un comme l'autre ont un rapport à la nourriture très différent : si, dans les milieux aristocratiques et bourgeois, il est important de ne pas terminer son plat, de façon à montrer d'une part que l'on est distingué et d'autre part que l'on est loin d'être tributaire d'un aliment ; il est en revanche particulièrement important de tout manger dans les milieux plus populaires. Si les premiers ne sont pas dépendants d'un aliment quelconque, les seconds doivent, au contraire, lutter contre la famine et la disette qui restent encore ancrées dans les esprits, même si l'épée de Damoclès n'est plus aussi consciente qu'auparavant. Il est donc logique, dans le premier cas, qu'on ne reparte pas avec les reste qu'on s'est efforcé de ne pas manger, tandis qu'on s'efforce de ne rien laisser (et donc n'avoir rien à remporter) dans la deuxième situation. La tradition française veut néanmoins qu'on partage, à table. Et si, à la maison, conserver les restes parait normal (on peut les cuisiner de nouveau ensuite), il n'en va pas de même au restaurant.

Le service à emporter de fast-food de Mac Donald's (par exemple) reste dans cette logique : soit, il s'agit de manger seul dans sa voiture et auquel cas c'est l'élément purement pratique qui entre en jeu, soit il s'agit de partager un repas avec des amis, notamment chez les adolescents.

Plusieurs tentatives non fructueuses auraient échaudé les Français. Ce désamour entre les Français et le doggy bag vient-il d'un certain mépris ? Notre peuple est maintes fois reconnu pour son sens de la gastronomie. Peut-on parler d'une forme de dédain ?

Quelle que soit la catégorie sociale, le repas gastronomique à la française est régie par une idée maîtresse : le bon goût, et ce dans tous les sens du terme. Quand on parle de quantité, ce qui se distingue, c'est la notion de juste milieu. S'il ne faut pas qu'il n'y en ai pas assez et que l'on reste sur notre faim, il ne faut néanmoins pas qu'il y en ai trop. C'est dévalorisant pour l'aliment. En fait, le principe de doggy bag s'attire une forme de mépris de la part des Français puisque le simple concept de préparer plus de nourriture que nécessaire leur parait aberrant. C'est, selon eux, une forme de non-respect de l'aliment cuisiné (dès lors que la volonté d'en préparer trop est présente, la situation n'est pas la même quand il s'agit d'une erreur) puisque que la quantité semble se substituer à la qualité. Alors, oui, on peut parler de dédain. Encore une fois, il n'est pas nécessairement conscient, mais il est dû à la programmation d'un grammage bien trop lourd, qui provoquerait un lourd excèdent. C'est néanmoins dans une logique de restaurant qu'il se manifeste, et non une logique à domicile, ou cet excèdent peut avoir un côté affectif, ou tout simplement être cuisiné de nouveau.

Pourtant, le doggy bag présente bien des avantages, ne serait-ce qu'en termes d'économie. Si les Français se laissaient séduire, la baisse des aliments gâchés serait-elle significative ? Ou s'agit-il d'un mirage ?

En France, la tendance empêcherait en quelque sorte cette baisse qu'on a pu constater ailleurs. Et pour cause : si, aux États-Unis, en Grande-Bretagne ou dans les pays Anglo-Saxons, les gens peuvent gâcher à ce niveau-ci de la consommation, nous tâchons d'avantage de réguler ce gâchis en amont. Il s'agit de mieux contrôler les grammages pour que les portions correspondent aux désidératas des convives. L'idée d'augmenter les parts, ou fournir des grands contenants, dont on sait fort bien qu'il est inimaginable qu'un individu mange ça dans l'instant. Prenons l'exemple de Mac Donald's, à nouveau. Quand un jeune prend un énorme paquet de frites, c'est toujours pour les partager. Emporter des frites chez soi, pour un Français, ne fait aucun sens. Et ce, que ce soit des frites, des pattes ou de la salade. L'anti-gaspillage, c'est de prévoir en amont et de n'avoir que ce qui convient. Sauf à vouloir une hyperproduction en amont, cet avantage est balayé.

Enfin, sociologiquement, quelle est la traduction de ce phénomène ? Quelle évolution de la société représente-t-il ?

Le doggy bag est souvent cité avec humour, mais ne marche que dans le cadre d'invitations, préparé ou acheté par les hôtes. Il est donc associé à un certain lien affectif : car ce que tu n'as pas pu manger avec moi, tu peux l'emporter chez toi et tu le mangeras en pensant à moi. C'est ce qu'on appelle, en Suisse, un pochon. Loin d'être une contrainte, il traduit encore une fois ce partage, et le lien affectif qui y est indéniablement lié. A l'inverse des Etats-Unis, ou on se rend dans un restaurant en sachant qu'on remportera quelque chose, le phénomène ne prend pas en France. Même en ce qui concerne le vin… Les tables qui pratiquent cet us anglo-saxon sont très marginales. Il y a bien sûr quelques personnes qui demandent à repartir avec la bouteille, ou même la fin du plat, elles n'en sont pas moins très minoritaires : les gens ne souhaitent pas paraître thénardier. 

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