Des scientifiques trouvent un moyen de communiquer avec des gens en train de rêver<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
sommeil rêve repos dormir communication recherche
sommeil rêve repos dormir communication recherche
©JOHN MOORE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Double communication

Des scientifiques ont réussi à communiquer avec des rêveurs lucides. Isabelle Arnulf, chercheuse française qui a participé à l'étude, nous explique en quoi c'est une prouesse.

Isabelle  Arnulf

Isabelle Arnulf

Le Pr Isabelle Arnulf est neurologue, chef de service des pathologies du sommeil à la Pitié-Salpêtrière et chercheuse à l'Institut du cerveau et de la moelle épinière. 

Voir la bio »

Atlantico : Une équipe de chercheurs internationale dont vous faîtes partie est parvenue à communiquer avec des rêveurs lucides. Est-ce la première fois que l’on y parvient ?

Isabelle Arnulf : Le rêve est une boîte noire dont on ne se rappelle qu’une toute petite partie le matin au réveil. C'est une activité cognitive nocturne intéressante et l’une des grandes difficultés est d'accéder au rêve au moment où il se passe.

Il existe une technique qui s'appelle le rêve lucide. C’est une propriété de certaines personnes qui arrivent à savoir qu'elles sont en train de rêver, sans pour autant se réveiller. Elles assistent à leur rêve comme spectateurs et peuvent même dans certains cas en changer quelques éléments comme si elles étaient scénaristes. Tout cela se passe pendant la phase paradoxale du sommeil.

Dans les années 70, avec la découverte du sommeil paradoxal, le chercheur californien Steve LaBerge a eu l'idée de demander à un dormeur d’envoyer un signal s’il sait qu'il est en train de rêver. Le seul signal qui paraissait possible était de bouger les yeux, la seule partie du corps qui bouge spontanément pendant la phase paradoxale. Mais il fallait trouver un signal différent des mouvements spontanés des yeux. Depuis les années 70 est utilisé principalement un code qui consiste à balayer l'horizon deux fois de droite à gauche, de faire une pause puis de recommencer. Ce code peut servir à envoyer des informations sur ce qui est en train de se passer dans le sommeil.

Votre étude fait état d’une « double communication » entre le chercheur et le dormeur. Qu’apporte-t-elle de nouveau ?

Jusqu’à présent, la communication avec le rêveur était à sens unique. Seul le rêveur lucide pouvait envoyer un code. On pouvait par exemple donner des instructions à la personne avant qu'elle s'endorme : « si vous savez que vous êtes en train de rêver, essayez de changer votre respiration ». Une fois endormi, le rêveur donnait le signal qu'il était en train de rêver (double balayage horizontal) et ensuite observait ensuite sa respiration s'arrêter puis reprendre avec un deuxième signal oculaire. En réveillant la personne, on recueillait un récit de rêve qui correspondait à sa modulation de respiration : plonger dans l'eau, être à la gare de Lyon et sentir du gaz sarin... C'est un des exemples d'utilisation du code pour observer si certains éléments du rêve peuvent se traduire dans le corps. Depuis quatre ou cinq ans, on étudie beaucoup plus le rêve lucide. Toutes ces expériences ont donné ses lettres de noblesse au sommeil paradoxal lucide.

Notre apport est que nous avons voulu communiquer avec le dormeur pendant qu'il rêve, ce qu'on appelle la double communication. Nous avons pour cela été beaucoup aidés par la découverte en 2015 que les patients narcoleptiques (qui s'endorment partout et facilement en phase paradoxale) étaient de puissants rêveurs lucides. On a commencé les expériences avec un jeune narcoleptique qui arrive très facilement à diriger ses rêves.  Quand il est endormi en phase paradoxale, il nous envoie le signal qu'il est en train de rêver. On essaye ensuite différents canaux d'entrée. On lui tapotait deux fois sur la main et il devait nous envoyer deux fois le signal, trois fois si on le tapotait trois fois. On a aussi essayé des canaux auditifs, en envoyant des sons, en lui parlant, en lui posant des questions simples ("aimes-tu le foot ?") ou en lui envoyant des flashs lumineux.

On est arrivés à montrer que dans 20% des cas le dormeur intègre la question qu'on lui pose et nous répond relativement correctement.

Comment le dormeur répond-il à vos sollicitations ?

Nous avons utilisé un nouveau canal sortant (mode de réponses) car certains rêveurs lucides nous ont rapporté que le fait d'envoyer le signal oculaire évoqué plus haut avait tendance à les détourner de ce qu'ils étaient en train de faire ou voir dans leur rêve. On a donc mis au point une autre voie de sortie qui consiste à esquisser deux fois un sourire ou froncer les sourcils deux fois. Rien ne bouge sur le visage mais en posant un capteur d'électromyographie, on détecte bien l'intention de mouvement. 

On a un peu plus complexifié la façon de pouvoir répondre. Le double sourire peut signifier oui, le double froncement sourcil non, et l'un puis l'autre signifiant "neutre". 

Nos collègues étrangers ont aussi fait faire des calculs arithmétiques simples avec une réponse donnée en nombre de mouvements oculaires.

Comment le rêveur vit-il l’intrusion du chercheur dans son rêve ?

Notre rêveur lucide nous a un jour rapporté qu'il rêvait qu'il était dans une fête avec plein de gens et qu'il a entendu comme une voix divine qui lui demandait s’il aimait le foot. Le rêveur lucide a à la fois le contenu de son rêve et cette pénétrance de l'extérieur.

C'était connu depuis longtemps que des stimuli extérieurs peuvent influer sur vos rêves. Mais au point de pouvoir répondre à une question, c'est vraiment inouï.

A l’avenir, pourra-t-on complexifier encore le « dialogue » entre le chercheur et le dormeur ?

Un de mes étudiants travaille sur les émotions ressenties pendant le rêve. Le dormeur indique par des signaux s'il vit un moment agréable ou non, intense ou pas, etc. On corrèle ensuite cela à la dégradation d'émotion entre le coucher et le lever qui est une des grandes fonctions du sommeil (la digestion des émotions négatives).  L'augmentation des canaux de sortie est un donc vrai plus.

On pourrait effectivement imaginerdans le futur une sorte de langage codé qui permettrait au dormeur d’échanger plus intensément avec le chercheur. Il pourrait peut-être nous faire la description de son rêve pendant qu’il dort et nous la comparerons avec ce dont il se rappellera au réveil. En effet, ce n’est pas parce que le rêveur a donné une information pendant qu'il dormait qu'il va s'en rappeler au réveil - c’est ça la complexité. Ensuite il faudrait pouvoir corréler ses dires à telle ou telle région du cerveau activée et observée par encéphalographie. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !