Des militants écologistes espionnés par la préfecture dans les Deux-Sèvres : ces inquiétantes dérives de l’Etat<!-- --> | Atlantico.fr
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Une photographie prise près de Toulouse, le 16 mars 2022, montre une caméra de vidéosurveillance installée dans une société de transport.
Une photographie prise près de Toulouse, le 16 mars 2022, montre une caméra de vidéosurveillance installée dans une société de transport.
©Valentine CHAPUIS / AFP

Surveillance

Une caméra et du matériel de surveillance ont été découverts près de Niort devant la maison du père du porte-parole du mouvement écologiste anti-bassines, selon Libération. Ces militants s’opposent à la construction de grandes réserves d’eau pour les agriculteurs des Deux-Sèvres. La préfecture a invoqué une mission de « sécurisation » avant une manifestation prévue ce week-end.

John-Christopher Rolland

John-Christopher Rolland

John-Christopher Rolland est Docteur en droit public et enseignant à Sciences Po Lille.

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Atlantico : Libération a révélé que la préfecture des Deux-Sèvres avait mis des caméras à l'extérieur du domicile de militants écologistes pour les espionner. Quelle est la légalité de cet acte ?

John-Christopher Rolland : Le code de la sécurité intérieure (CSI) prévoit en son article L. 853-1 que " peut être autorisée, lorsque les renseignements ne peuvent être recueillis par un autre moyen légalement autorisé, l'utilisation de dispositifs techniques permettant la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement de paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, ou d'images dans un lieu privé".

Toutefois, ces techniques de renseignements, et notamment la pose de caméras pouvant filmer un lieu privé, ne peuvent être mises en place que dans un but de protection des intérêts fondamentaux de la Nation ou de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisée. En effet l'article L. 811-3 réserve l'utilisation de ces techniques à la prévention de faits graves (en particulier la prévention des actes terroristes ou de la prévention d'actes graves pouvant mettre en péril la sécurité publique).

Il y a donc, à première vue, une base légale pour avoir recours à ce type de technique.

Selon le journal, la préfecture a expliqué que les forces de l’ordre «ont mis en place le dispositif qu’elles jugent le plus adapté» pour répondre à la demande de «sécurisation de la population», invoquant les articles L811-3 et L853-1 du code de sécurité intérieure sur les techniques de renseignement autorisées ?

Toute la question ici est de savoir si les faits que les autorités suspectent les associations de vouloir commettre sont susceptibles d'entrer dans la catégorie des actes visés par l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure. Or, dans le cas présent il s'agit d'associations et le domicile du père du porte-parole du collectif "bassines non merci" fait l'objet d'une surveillance vidéo. Cette association, dans l'hypothèse même où elle prévoit de participer à une manifestation dont les autorités indiquent qu'elle pourrait donner lieu à des violences, ne paraît pas de prime abord réputée pour mettre en péril les intérêts fondamentaux de la Nation ni pour des faits criminels ou délictuels graves. Se pose donc la question de la proportionnalité des techniques employées par les autorités. L'atteinte à la vie privée peut faire l'objet d'un recours (le référé liberté) où le juge examine si l'atteinte est proportionnée au but poursuivi. Ici, une manifestation dans le marais poitevin, même accompagnée de violences, ne semble pas relever des actes visés par le code de sécurité intérieure.

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Toutefois, il convient de rappeler que le Conseil d'Etat a donné une lecture assez extensive de l'article L. 811-3. En effet, dans une décision du 21 avril 2021 la Haute juridiction, qui devait se prononcer sur la légalité de techniques similaires (la captation des données de connexion internet), a semble-t-il étendu ces menaces à la "sécurité nationale" aux violences commises lors de manifestations.

Les autorités paraissent donc bénéficier ici d'une base légale suffisamment large pour pouvoir justifier le recours à ces procédés...

Cette affaire, est-elle un cas isolé ou symptomatique d'un problème plus profond de la justice ?

La vidéosurveillance (ou vidéoprotection) "classique", c'est-à-dire, celle qui vise à prévenir les atteintes à la sécurité des personnes fait souvent l'objet de contentieux, relatifs aux atteintes à la vie privée. Le paradoxe est que, s'agissant de cette vidéosurveillance, les individus bénéficient d'un régime juridique très protecteur et la CNIL veille scrupuleusement au respect de nos droits. En revanche dans le cas présent, la base légale n'est pas la même et le but visé réside dans la protection des intérêts de la Nation. C'est donc une zone plus large qui peut très vite donner lieu à des dérives. Les actes terroristes qui ont frappé la France depuis 2015 et le risque de réitération de ces actes justifient le recours à ces techniques de renseignements mais ils ne peuvent pas servir de base à des atteintes disproportionnées aux droits fondamentaux et notamment le respect de la vie privée. Dans le cas présent, la mesure paraît disproportionnée mais rien ne dit que la justice penchera du côté des individus et il est même probable qu'elle donne raison à la préfecture.

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