Des Français déboussolés et désemparés<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron président de la République
Emmanuel Macron président de la République
©GONZALO FUENTES / POOL / AFP

Impact sur l'opinion

Dans la lignée de la séquence POP2017, Bruno Cautrès accompagne BVA pour suivre le quinquennat. Nous vous proposons de découvrir le billet de cette semaine. Les signaux sont inquiétants pour l'exécutif.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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La dernière vague du Baromètre de l’Observatoire de la politique nationale réalisé en septembre par BVA pour Orange et RTL apporte une série de signaux inquiétants pour l’exécutif : après avoir progressé de 5 points fin août pour atteindre son meilleur niveau depuis janvier 2018, la popularité d’Emmanuel Macron se détériore (38% de « bonne opinion », 6 points de moins qu’il y a un mois), retrouvant son niveau de juin. De son côté, si Jean Castex reste nettement plus populaire qu’Emmanuel Macron (48% de « bonne opinion »), il enregistre une chute de 7 points de popularité.

Au-delà des indicateurs de popularité, d’autres signaux sont clairement en train de passer au rouge pour l’exécutif. Il y a un an, en octobre 2019, l’enquête BVA avait demandé aux Français interrogés leur opinion sur la manière dont Emmanuel Macron abordait la seconde partie de son quinquennat : 58% déclaraient avoir le sentiment qu’Emmanuel Macron agissait « au jour le jour » et 42% qu’il savait « où il va ». Un an après, le pourcentage de ceux qui déclarent qu’Emmanuel Macron « sait où il va » chute lourdement : seuls 30% (-12 points) le déclarent aujourd’hui tandis qu’une forte majorité des Français (70%) a le sentiment qu’Emmanuel Macron « agit au jour le jour ». Si la sociologie de cette opinion reste stable (c’est toujours parmi les catégories populaires ou celles les plus socialement fragiles et parmi les sympathisants de la gauche ou du RN que le sentiment d’une navigation « au jour le jour » d’Emmanuel Macron est le plus fort), le pourcentage de ceux qui déclarent qu’Emmanuel Macron « sait où il va » atteint des niveaux faibles parmi des catégories pivots du socle présidentiel : 36% des « CSP + », 31% des diplômés ayant au moins le Bac, 30% des habitants de l’agglomération parisienne, 29% de ceux d’Ile de France.

Au plan politique ce sont aujourd’hui 75% des sympathisants de LaREM (contre 86% en 2019) qui déclarent qu’Emmanuel Macron « sait où il va », 50% des sympathisants Modem (48% il y a un an) et 48% des sympathisants UDI (54% auparavant). Plus inquiétant pour le chef de l’Etat, ce ne sont plus que 26% des sympathisants LR (contre 38% en octobre 2019) ou des sympathisants PS (40% auparavant) qui déclarent qu’il « sait où il va ». Encore plus inquiétant pour Emmanuel Macron : alors qu’il y a un an 70% de ses électeurs de premier tour soutenaient cette opinion, ce n’est plus le cas que de 58% aujourd’hui ; même tendance parmi l’électorat de François Fillon dont 49% soutenaient en 2019 qu’Emmanuel Macron « sait où il va » et qui ne sont plus que 30% à le dire aujourd’hui. 

Parallèlement à ce sentiment d’une absence de cap clairement défini, on constate une montée en puissance de la critique de la gestion de la crise sanitaire. L’enquête BVA a demandé aux Français ce qu’ils pensaient de la manière dont le gouvernement gère en ce moment la situation de l’épidémie : 58 % déclarent que « Emmanuel Macron et le gouvernement ne s'adaptent pas suffisamment au contexte sanitaire et prennent des décisions incohérentes ou inadaptées » tandis que 42% déclarent qu’ils s’adaptent « comme ils peuvent au contexte sanitaire et prennent globalement les décisions qui s'imposent ». Le sentiment d’incohérence dans les décisions est particulièrement prononcé parmi les catégories populaires mais aussi parmi les travailleurs indépendants et chefs d’entreprise. Au plan politique, 70% des sympathisants de la FI, 74% de ceux du PCF et 86% de ceux du RN ont ce sentiment. Ce jugement est nettement moins sévère chez les sympathisants socialistes (41%) ou écologistes (53%) tandis que les sympathisants LR confirment leur rapport assez critique à l’exécutif (55%). Les sympathisants du « bloc présidentiel » (LaREM et le Modem) se distinguent nettement des autres catégories en soutenant largement l’idée que l’exécutif fait « ce qu’il peut » et prend « les décisions qui s’imposent ».

Au-delà de toutes leurs nuances, les données de l’enquête BVA attestent d’un climat sombre de l’opinion : beaucoup se sentent perdus, le sentiment d’impréparation et d’improvisation face à la seconde vague de l’épidémie domine. La dissonance entre les impératifs économiques et sanitaires met le pouvoir dans une situation profondément contradictoire et structurellement confuse. Pour de nombreux Français, les projets ont été mis en attente, les incertitudes sociales dominent, les craintes pour leur santé ou celle de leurs ainés sont fortes. Face à cette situation anxiogène, la parole politique semble empêtrée et celle de l’exécutif chaotique. Au milieu de cet épais brouillard, les Français cherchent des points de repère mais même la parole médicale semble incohérente, confuse et (trop) bavarde. Les Français cherchent à comprendre, à savoir, à s’informer, ils respectent très largement les consignes données qui leur imposent de lourdes contraintes mais le désarroi et le sentiment d’un chaos mal expliqué et mal géré sont bien là.

Tout ceci se répercute au plan de leurs jugements politiques. Comme le montre l’analyse des verbatim recueillis par une question ouverte, sa gestion de la crise sanitaire fait surgir une nouvelle ligne de fracture à propos d’Emmanuel Macron. Cette nouvelle ligne de fracture vient s’entremêler à celle que nous observons habituellement à propos du chef de l’Etat : d’un côté le réformateur qui « essaie de transformer la France » fait à présent « du mieux possible dans un contexte difficile » comme l’indique une femme retraitée, proche d’EELV, qui classe Emmanuel Macron à droite mais se classe à gauche et a voté aux deux tours pour le chef de l’Etat ; d’un autre côté, « le Président qui divise le pays », le « Président des riches », « arrogant », qui « ne peut pas comprendre le pays » et dont la gestion de crise est « scandaleuse » avec « ses mensonges d’Etat sur les masques », comme s’insurge un homme retraité, sympathisant LR, qui a voté François Fillon puis Marine Le Pen en 2017, se classe à droite mais classe Emmanuel Macron à gauche. Les opinions négatives ou positives à propos de sa gestion de la crise sanitaire viennent en fait amplifier (mais parfois aussi modérer) les opinions générales sur Emmanuel Macron.

En vérité, on ne peut comprendre le climat « plombé » de l’opinion publique en cette rentrée, sans prendre en compte la chaine de crises dans laquelle les Français vivent depuis deux ans. La spécificité de l’opinion publique en France par rapport à nos voisins européens, également durement touchés par la Covid-19, réside dans cet embouteillage de crises qui se succèdent sans que la précédente n’ait été réglée. Ce long « bouchon de crises » a fatigué le pays, introduit une forme de désarroi, de perte de sens, de sentiment d’impuissance et de chaos. Dans son dernier numéro, la Revue Politique et Parlementaire évoque d’ailleurs une « crise sans fin » à propos de la France du Covid. On ne peut mieux dire ! Jean Castex, qui était l'invité de l'émission « Vous avez la parole » sur France 2 jeudi dernier, a d’ailleurs non seulement reconnu qu’il n’avait pas téléchargé l’appli Stop-Covid mais aussi que les Français étaient « déboussolés ». Et si les Français, qui également ne téléchargent pas beaucoup cette appli, avaient en fait davantage besoin d’une boussole et d’un balisage clair, qui trace les perspectives de sortie de la « crise sans fin » et leur redonne de l’apaisement ?

Cet article a été initialement publié sur le site de BVA, cliquez ICI

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