Des copinages aux conflits d’intérêts : quel bilan pour Henri Proglio ? <!-- --> | Atlantico.fr
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"Henri Proglio n’a été ni un grand industriel, ni un grand stratège, ni un grand gestionnaire."
"Henri Proglio n’a été ni un grand industriel, ni un grand stratège, ni un grand gestionnaire."
©Reuters

Bonnes feuilles

Pascale Tournier et Thierry Gadault révèlent les secrets de la fascinante ascension d'Henri Proglio qui, en rendant petits et grands services aux élus, quelle que soit leur appartenance, a su contrôler les réseaux les plus influents du pays. Extrait de "Henri Proglio, une réussite bien française. Enquête sur le président d'EDF et ses réseaux, les plus puissants de la République" (Extrait 2/2).

Pacale Tournier et Thierry Gadault

Pacale Tournier et Thierry Gadault

Pacale Tournier, journaliste politique indépendante (l'Express, Le Parisien Magazine), a publié Dans les cuisines de la République, enquête sur les tables du pouvoir (2010) et La Reine mère (2011), une biographie de Bernadette Chirac.

Thierry Gadault, journaliste économique indépendant, a travaillé pour La Tribune, l'Expansion et le Nouvel Économiste. Il a publié Arnaud Lagardère : l'insolent (2006), EADS  : la guerre des gangs (2008) et Areva mon amour. Enquête sur pouvoir qui les rend fous (2012).

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Jeudi 14 février 2013. En présentant les résultats 2012 d’EDF, Henri Proglio semble détendu et serein. Sauf accident dans une centrale nucléaire, il sait que plus grand- chose ne peut l’empêcher de terminer son mandat qui court jusqu’en novembre 2014. Sur le plan social, il respecte parfaitement la feuille de route concoctée avec les équipes de François Hollande. Après 6 000 recrutements en France en 2012, EDF va embaucher autant en 2013, en créant au pas- sage 2 000 nouveaux emplois. Malgré la crise économique qui sévit dans le pays, propulsant le taux de chômage à des niveaux historiquement élevés, Henri Proglio fait le job. Bien, même. De plus, il garde sous l’éteignoir la CGT. Si l’annonce de la fermeture de la centrale de Fessenheim a provoqué quelques remous sur place, le principal syndicat d’EDF est demeuré tranquille et n’a pas propagé la poussée de fièvre alsacienne à l’ensemble du groupe. Ne lui reste plus qu’à franchir le dernier obstacle mis sur son parcours par le gouvernement : la loi de transition énergétique prévue pour être présentée devant le Parlement en janvier 2014. « Henri Proglio doit participer à la pédagogie du projet », prévient un député socialiste, bon connaisseur des dossiers énergétiques. En clair : soutenir les propositions du gouvernement. Là encore, on peut déjà s’attendre à ce qu’il remplisse sa mission, quoi qu’il pense dudit projet socialiste.

Ce jeudi 14 février 2013, la conférence de presse se déroule donc parfaitement. Pas une question impertinente ne lui est posée. Ni sur Veolia, ni sur la Chine, ni sur son avenir ou celui de son adjoint, Hervé Machenaud, malgré la rumeur qui circule, depuis quelques jours, de son départ qui serait annoncé au moment de la présentation des comptes annuels. Non, tout cela paraît oublié. Sauf par Henri Proglio lui-même, qui semble éprouver le besoin de se justifier alors que personne ne le met en cause. Répondant à un journaliste étranger sur le redémarrage du nucléaire en Chine, il en profite pour déplorer « les polémiques inutiles. Est-ce que la Chine est un enjeu stratégique ? C’est le cas. L’année prochaine, nous fêterons les trente ans de cette coopération. […] Je ne pense pas avoir trahi les intérêts de la France. » La presse, bonne fille, n’a pas cru bon de relever la diatribe.

Maintenu pour le moment à son poste et nageant dans le bonheur, Henri Proglio sait, d’expérience, que rien n’est jamais acquis. L’imprévu peut survenir à tout moment et le faire trébucher. D’autant qu’il ne peut s’empêcher de faire la leçon et dire son fait à tous ceux qu’ils considèrent comme ses ennemis. Surtout, il doit préparer l’avenir. Même s’il reste jusqu’en novembre 2014 à EDF, Henri Proglio aura alors soixante-cinq ans. Atteint par la limite d’âge fixée pour les présidents d’entreprises publiques, il ne pourra pas demander son renouvellement. Pour autant, personne ne l’imagine prendre sa retraite. À écouter ses différents conseillers, Proglio croulerait déjà sous les offres d’emploi ! « Il pourrait aller chez Gazprom, il a aussi une proposition chez un géant du BTP espagnol », affirme l’un d’entre eux. Ulcéré par la division par quatre de sa rémunération annuelle, Henri Proglio aimerait bien prendre sa revanche, montrer qu’il est encore désiré et capable d’obtenir un gros salaire à la hauteur de ses compétences. Mais d’autres rumeurs circulent aussi. Il n’aurait toujours pas fait son deuil de Veolia Environnement ! Pour y revenir, il peut compter sur le soutien de quelques actionnaires, comme le Qatar, et sur une partie du conseil d’administration. Mais ce qui est vrai aujourd’hui, en mars 2013, le sera- t-il encore en novembre 2014 ?

Un jour, on fera le bilan des années Proglio. Et il le sait. S’il a jusque-là rebondi avec agilité et réussi à détourner les coups de ses adversaires, il ne pourra pas y échapper. Le redoute-t-il ? Comment appréhende-t-il cette épreuve ? Quel regard porte-t-il sur son chemin de « fils de maraîchers qui voulait effacer son complexe » ? La conclusion risque d’être difficile à entendre : il ne restera pas grand-chose de l’aventure Proglio ! Sinon un personnage de roman à la Rastignac, comme en produit régulièrement la société française. L’histoire d’un homme animé par un besoin de revanche sociale, une volonté de fer et une habileté hors pair au combat. Sur le plan strict des affaires, l’inventaire risque d’être plus sévère. Henri Proglio n’a été ni un grand industriel, ni un grand stratège, ni un grand gestionnaire. Son bilan chez Veolia Environnement vaut condamnation : incapacité à prévenir l’essoufflement du modèle français de la délégation de service public qui fit la fortune de la Compagnie générale des eaux, décisions à l’emporte-pièce – les OPA ratées sur Suez puis Vinci –, course à l’endettement qui a plombé le groupe quand la conjoncture s’est retournée… Son parcours à la tête d’EDF n’est guère plus probant. Certes, il doit gérer les erreurs de son prédécesseur, mais la remontée de l’endettement de l’électricien montre qu’il n’a guère appris de ses propres erreurs chez Veolia !

Sur le plan humain, le bilan est tout aussi lourd. « Loyal, bon capitaine d’équipe et fidèle », reconnaissent volontiers ses proches. S’il sait offrir le visage d’un patron humain avec son entourage immédiat, tout son parcours tend à prouver qu’il n’a été ni loyal ni fidèle, tant sur le plan professionnel que politique. Ce ne fut qu’affaires de circonstances. Pragmatisme, diront certains ; cynisme, répondront les plus sévères ; imposture, serait-on tenté d’affirmer. Sa principale qualité fut de comprendre, très rapidement, au contact de ses aînés à la Générale des eaux, qu’il suffisait de déceler les faiblesses de ses interlocuteurs pour faire carrière. Rendre service fut, est encore, sa ligne de conduite pour arriver au sommet et s’y maintenir. Peu importe s’il est alors conduit à soutenir des positions qu’il combattait la veille. Tous les moyens sont bons pour réussir. Et, comme les mœurs de la République encouragent et récompensent ce type de comportement, Henri Proglio a fait carrière, devenant le révélateur d’un système français qui n’a toujours pas fait sa mue. En laissant entrevoir, durant la campagne, la possibilité de limoger Henri Proglio s’il gagnait la présidentielle, François Hollande envoyait aussi un signal sur la fin possible de ce système où l’on s’échange des services pour se maintenir en place et garder le pouvoir. À ce jour, la promesse électorale n’a pas été tenue.

 Extrait de "Henri Proglio, une réussite bien française. Enquête sur le président d'EDF et ses réseaux, les plus puissants de la République" (Editions du Moment), 2013. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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