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Des rixes ont éclaté entre bandes rivales en Essonne ces dernières semaines. Des jeunes ont perdu la vie lors de ces tensions et des affrontements.
Des rixes ont éclaté entre bandes rivales en Essonne ces dernières semaines. Des jeunes ont perdu la vie lors de ces tensions et des affrontements.
©Sameer Al-DOUMY / AFP

Rixes

La semaine dernière, en période de vacances scolaires, les affrontements entre bandes de jeunes se sont multipliés en région parisienne et notamment dans l'Essonne. Trois jeunes ont été tués lors de ces rixes. Michel Fize décrypte le phénomène des bandes rivales et son évolution récente.

Michel Fize

Michel Fize

Michel Fize est un sociologue, ancien chercheur au CNRS, écrivain, ancien conseiller régional d'Ile de France, ardent défenseur de la cause animale.

Il est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages dont La Démocratie familiale (Presses de la Renaissance, 1990), Le Livre noir de la jeunesse (Presses de la Renaissance, 2007), L'Individualisme démocratique (L'Oeuvre, 2010), Jeunesses à l'abandon (Mimésis, 2016), La Crise morale de la France et des Français (Mimésis, 2017). Son dernier livre : De l'abîme à l'espoir (Mimésis, 2021)

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Deux adolescents : une jeune fille de 14 ans et un garçon du même âge, tués en quelques jours lors de rixes entre bandes dans le département de l’Essonne, et la question des bandes fait son grand retour médiatique, suscitant aussitôt indignation et condamnation de tous côtés.

Le phénomène des bandes est un grand classique de l’histoire des violences juvéniles. Des bandes, il y en a toujours eu, et partout. De la plus haute Antiquité à nos jours, elles marquent la vie des sociétés de jeunes. Pour s’affirmer, montrer ce dont ils sont capables (qui est le propre de l’âge adolescent), les jeunes ont toujours fait des « bêtises », en saccageant les biens d’autrui par exemple. L’historien Thucydide raconte ainsi qu’au Vème siècle av. J.C., les jeunes athéniens, souvent enivrés, prenaient plaisir à saccager des statues, commettant ainsi un sacrilège aux yeux de la loi. Les jeunes agressent aussi, ou s’agressent entre eux, pour toutes sortes de raisons sur lesquelles bien sûr nous reviendrons, et ce n’est pas nouveau non plus. Le film La Guerre des Boutons (1961) nous offre un parfait exemple de querelles de bandes d’enfants, « querelles de clochers ».

Depuis des décennies, l’actualité nous propose des rixes de bandes. Des Apaches aux Blousons noirs, les différends entre jeunes font la une de l’info. Il faut rappeler que le groupe est naturel à l’adolescence, qu’être ensemble fait partie du « passage » vers l’âge adulte. Dans la plupart des cas, les groupes d’adolescents sont plutôt pacifiques et conviviaux. Mais tout rassemblement peut dégénérer et croiser la violence à un moment ou un autre de son existence. Selon un adage bien connu, « l’occasion fait le larron ». Il est vrai que certains groupes sont structurés autour de la violence, ont une activité délinquante, comme le trafic de drogue (on parlera alors plutôt de « gangs »), ou n’hésitent pas à recourir à la violence, en cas de besoin, pour venger un affront, exécuter une vengeance, etc.

Nous avons enquêté sur ce phénomène des bandes au début des années 1990, puis répliqué ce travail quinze ans plus tard (cf. Les bandes, de l’entre soi à l’autre ennemi, DDB, 2ème éd. 2008).

Trois changements ont été observés durant cette période : un rajeunissement des participants aux bandes, une féminisation et une radicalisation de la violence exprimée.

Les trois changements sont, douze ans après, amplement confirmés. D’abord le rajeunissement - encore qu’il faille atténuer ce fait, car des très jeunes dans des bandes, il y en a toujours eu. Faut-il rappeler que les Blousons noirs de la fin des années 1950 étaient âgés de 14 à 16 ans ? Mais, pour la société, être un mineur (moins de 18 ans), c’est encore être « un enfant » (mot employé depuis une semaine par nombre de commentateurs, qu’ils soient spécialistes ou élus locaux, voire journalistes, ces derniers voyant là l’occasion de renforcer l’émotion publique). Or, à 13 ou 14 ans, on n’est plus un enfant, on a des capacités de raisonnement accrus, on sait globalement ce que l’on fait. Mais, pour revenir au rajeunissement, il est vrai que, dans certaines activités délictueuses actuelles comme les trafics de drogue, l’on trouve de nos jours dans des fonctions « de petite main » (guet, transmission d’infos) des garçons de 10-13 ans. Il y a donc bien ici un rajeunissement indéniable. S’agissant de la féminisation, le constat est aussi confirmé, même si les bandes, dans leur très grande majorité, demeurent masculines.

Mais c’est au niveau de la radicalisation de ces groupes juvéniles que l’évolution est la plus spectaculaire. En une décennie, la violence collective et individuelle s’est considérablement accentuée. L’usage des armes, par nature (couteaux) ou par destination (béquilles, barres de fer, battes de baseball) est devenu plus fréquent, et même banal. La volonté de tuer ou de blesser gravement l’adversaire est aujourd’hui très claire pour les membres des bandes, ce qui tranche avec les pratiques antérieures. Les Blousons noirs par exemple n’étaient pas mus par une « pulsion de mort », seulement par le désir de vaincre leur adversaire, de le mettre à terre comme fait un judoka sur le tatami. Les coups portés l’étaient avec des chaînes de vélo, et si les armes blanches pouvaient être utilisées elles ne l’étaient pas pour tuer. Le temps de l’« ensauvagement de la vie », pour reprendre l’expression de Serge Moscovici, n’était pas encore venu. Dans les bandes de l’époque, comme ailleurs dans la société, existait un « code l’honneur », excluant donc la mort de l’adversaire : ce n’est plus vrai aujourd’hui où l’on a pris l’habitude de tuer pour un oui pour un non.

Par contre les motifs des affrontements entre bandes n’ont pas évolué au fil du temps. Il y a toujours quelque « embrouille » au départ de la querelle. Un mauvais regard (ou jugé tel), une « dépouille » d’un objet quelconque – de préférence numérique aujourd’hui -, une intrusion sur le territoire de la bande adverse, une « histoire de filles », demeurent des prétextes à rixes, amplifiés désormais par les réseaux sociaux qui vont propager les rumeurs à la vitesse de l’éclair. Ainsi y a-t-il des bagarres tous les jours. Pour 74 bandes répertoriées par le ministère de l’Intérieur et 357 affrontements recensés, combien en effet de bandes non-identifiées (il est vrai qu’elles sont pour la plupart non-structurées donc peu repérables) et de bagarres oubliées ? Il y a aujourd’hui une banalisation des conduites violentes, qu’elles soient le fait des jeunes ou des autres, les adultes. La montée de la violence est un « fait social total », pour parler comme le sociologue Durkheim. Elle est partout, dans chaque institution, dans les relations sociales en général. Notre société, qui est une société d’« individus-rois », ne connaît que les rapports de force, la menace, l’intimidation, la satisfaction immédiate des désirs. En somme, les jeunes ne sont qu’à l’image du monde dans lequel ils vivent ; leur âge leur fait seulement exacerber la violence dont on parle aujourd’hui. Par leurs actes, ces jeunes qui sont parfois adolescents (8-14 ans), expriment un sentiment de puissance, voire de toute-puissance. Si l’on ajoute que nous vivons désormais sans freins moraux (cf. La Crise morale de la France et des Français, Mimésis, 2017), nous pouvons comprendre les excès observés de plus en plus dans les conduites individuelles juvéniles.

Les familles sont mises sur la sellette ; on parle beaucoup des défaillances des familles monoparentales (généralement des femmes élevant seules leurs enfants). On leur reproche « un défaut d’éducation », de ne pas surveiller suffisamment leurs enfants. L’éducation familiale est difficile en effet pour ces familles, mais elle l’est pour toutes les familles. D’une manière générale, on peut faire état d’une mauvaise connexion entre parents et enfants, conséquence de cet individualisme évoqué plus haut, un individualisme qui distend les liens sociaux, et donc les liens familiaux. Et puis, fait aggravant, la connaissance de la vie sociale des enfants est défaillante. Les parents savent rarement ce que font leurs enfants à l’extérieur de la maison. Pour nous résumer, les familles sont moins démissionnaires, comme il se dit encore quelquefois, qu’impuissantes : elles se disent fréquemment dépassées, ne plus avoir les outils pour mener leur mission, et bientôt plus la volonté d’agir.

Mal « arrimés » à leur famille, des jeunes peuvent aussi se retrouver mal intégrés à l’institution scolaire. L’école française est une école élitiste qui ne reconnaît que les meilleurs et a pris l’habitude de laisser au bord du chemin une masse grandissante d’élèves. Une grande majorité de jeunes que l’on retrouve dans les bandes sont en difficultés scolaires ou en échec ou orientés vers des classes spéciales comme des classes-relais.

Famille et école (sans avoir toujours le sentiment de « mal faire ») portent donc une responsabilité dans le désarroi de certains jeunes, livrés à eux-mêmes, sans perspectives, sans espoir, confrontés à l’ennui au quotidien. Le confinement sanitaire, avec notamment la fermeture des clubs sportifs et des associations culturelles, contribue naturellement à renforcer l’isolement social.

Comment répondre à la violence des jeunes telle qu’elle s’exprime notamment dans les bandes ? Observons tout d’abord que beaucoup de temps a sans doute été perdu dans la querelle entre la prévention et la répression ? Querelle idéologique entre les « préventifs », classés politiquement plutôt à gauche, et les « répressifs » classés plutôt à droite. Or, les réponses idéologiques manquent de pertinence. Seule l’efficacité sociale, dans un esprit de justice, doit guider les politiques dans le traitement des problèmes sociaux. Les « bonnes » réponses sont des réponses adéquates. Arguer par exemple du défaut d’éducation des familles pour avancer une mesure comme la privation des allocations familiales, est-ce aller dans une direction adéquate ? Oui si elle conduit à une amélioration du comportement des jeunes en bandes, non dans le cas contraire. Or les études montrent que cette mesure, d’une part accroît les difficultés monétaires des familles ainsi pénalisées, d’autre part génère un sentiment de honte, tant chez les enfants que chez les parents. Elle n’est donc pas adéquate car socialement inefficace. Personne bien sûr ne conteste le fait que les parents doivent éduquer leurs enfants ; ils n’ont pas le choix. Mais il appartient aux pouvoirs publics de les aider à remplir leur tâche. On sait combien les réseaux de parentalité, les écoles de parents, jouent un rôle essentiel à cet égard. Il faut aussi trouver des réponses adéquates dans le domaine scolaire. Et rappeler que l’école a le devoir d’instruire et d’éduquer TOUS les élèves. La réussite doit être pour tous, et non pour quelques-uns. Ceci suppose, comme nous l’avons montré récemment (cf. L’école à la ramasse, L’Archipel, 2019), d’inventer les méthodes appropriées pour atteindre cet objectif. Famille et école doivent en outre, conjointement, réenseigner aux jeunes les valeurs morales, civiques et sociales qui assurent le « bien vivre ensemble ». Enfin, pour ces jeunes qui se comportent si mal au point de devenir des meurtriers parfois, il faut tracer des perspectives, rétablir la confiance, redonner l’envie. Ceci suppose de pratiquer plus d’empathie à leur égard.

Pour l’heure, des mesures d’urgence s’imposent. Au niveau de l’ordre social, la réintroduction dans les quartiers d’une « police de proximité » avec de fortes capacités de dialogue avec des jeunes souvent « à l’abandon » est une piste. Une présence renforcée des éducateurs de rue, une réimplantation des mouvements de jeunesse et d’éducation populaire pourraient être deux autres pistes.

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