Derrière la chute des maths au lycée, un profond mal français<!-- --> | Atlantico.fr
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Des élèves lors d'un cours de mathématiques.
Des élèves lors d'un cours de mathématiques.
©Yann COATSALIOU / AFP

Effondrement du niveau

La question de l’enseignement des mathématiques fait un retour préoccupant dans le débat public français.

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer

Nathalie MP Meyer est née en 1962. Elle est diplômée de l’ESSEC et a travaillé dans le secteur de la banque et l’assurance. Depuis 2015, elle tient Le Blog de Nathalie MP avec l’objectif de faire connaître le libéralisme et d’expliquer en quoi il constituerait une réponse adaptée aux problèmes actuels de la France aussi bien sur le plan des libertés individuelles que sur celui de la prospérité économique générale.
 
https://leblogdenathaliemp.com/

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D’après les sociétés savantes et les enseignants de la discipline, seuls 59 % des élèves de terminale générale suivent actuellement un enseignement de maths contre 90 % avant la réforme du lycée mise en œuvre à la rentrée 2019.

Pas exactement l’orientation à laquelle on s’attendait de la part d’un ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui a beaucoup communiqué en début de quinquennat sur la nécessité de renforcer la culture mathématique dans l’ensemble de la population française :

« On doit être une grande nation mathématique, non seulement par nos génies mathématiques comme ceux qui ont la médaille Fields ou nos grands ingénieurs qui sont encore nombreux, mais aussi une nation mathématique par l’ensemble de la population. Derrière ça, il y a l’enjeu de la culture numérique de notre population, la culture économique de notre population, etc. » JM Blanquer, RTL, 19/10/2017.

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Précisons d’abord brièvement comment fonctionne le lycée depuis la réforme. À partir de la classe de première, les élèves suivent les cours d’un tronc commun, dont un « enseignement scientifique » de deux heures hebdomadaires (uniquement pour les élèves qui ne veulent plus faire de maths après la seconde) dans lequel la part des maths et l’intervention d’enseignants de maths sont jugées faibles voire inexistantes.

À côté de cela, ils choisissent trois enseignements de spécialité dont seulement deux sont conservables en terminale. Les élèves qui abandonnent la spécialité maths entre la première et la terminale peuvent néanmoins prendre l’option « mathématiques complémentaires » pour conserver un certain niveau de maths dans la perspective d’études supérieures l’exigeant (études de médecine, prépa HEC, par exemple). Ceux qui conservent les maths peuvent y ajouter l’option « mathématiques expertes ».

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Voici donc le reproche adressé aux nouveaux programmes du lycée : soit les élèves se spécialisent en maths, soit ils n’en font plus du tout pendant les deux ans qui précèdent leur accès aux études supérieures, avec toutes les lacunes en calcul, logique et statistiques que cela représente. De plus, le renforcement du niveau de la spécialité tend à accroitre la crainte des élèves vis-à-vis de cette matière, la crainte des filles notamment, qui seraient moins nombreuses qu’avant à s’orienter dans cette filière.

Tout en restant la spécialité la plus choisie, les maths n’ont été choisis que par 37,5 % des élèves de terminale générale à la rentrée 2021 contre 41,2 % en 2020. Quant à la part des filles parmi les élèves de la spécialité, elle a baissé de 42 % à 40 %, tandis qu’elle restait très stable pour les autres matières les plus choisies :

Pour Jean-Michel Blanquer cependant, les chiffres avancés aujourd’hui par les sociétés de mathématique « mélangent les choux et les carottes ». Au niveau du lycée, il ne s’agit plus d’enseigner les maths au plus grand nombre d’élèves possible, mais de renforcer le niveau des élèves qui choisissent la spécialité maths après la seconde afin de les voir s’orienter ensuite de façon plus massive vers des études scientifiques. Ce qui, selon lui, serait le cas, tant pour la spécialité maths que pour physique-chimie ou sciences de la vie et de la terre :

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Il n’empêche que le ministre n’a pas mis longtemps à admettre qu’il y avait peut-être un peu de vrai dans les remarques émises par les cercles de mathématique. Interrogé dimanche dernier sur CNews, il a convenu qu’on pourrait envisager d’accroître les mathématiques dans « l’enseignement scientifique » du tronc commun afin de renforcer « la culture mathématique de l’ensemble des élèves » : cliquez ICI

Je doute cependant que ce petit ajustement à la marge suffise à redynamiser les enseignements scientifiques à l’heure où, d’une part, l’on parle beaucoup de réindustrialisation de la France, de transition énergétique, de retour en grâce du nucléaire et de recherche médicale face à une population vieillissante et où, d’autre part, l’on constate (ou du moins le Medef constate) un déficit béant de formation scientifique sur le marché du travail. La demande des patrons est simple dans sa brutalité :

« Réintroduire massivement l’enseignement mathématique, scientifique et technologique, augmenter de 30 % en 5 ans le nombre d’ingénieurs diplômés. »

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Je doute également qu’un diplôme du Bac systématiquement accordé à 94 ou 96 % des élèves (cas de 2021 et 2020) soit de nature à transformer profondément l’attitude des enseignants et des élèves face au parcours scolaire. Quoi de moins incitatif au travail, à l’effort, à la curiosité intellectuelle personnelle pour les élèves que cette certitude absolue de réussir ? Quoi de moins motivant pour les professeurs que de recevoir perpétuellement des consignes de notation « bienveillante » ?

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De plus, peut-on ignorer plus longtemps la dégringolade constante du niveau des élèves français depuis plus de 30 ans, chaque nouvelle évaluation internationale, PISA, PIRLS ou TIMSS, venant confirmer la chute aussi bien du côté des matières scientifiques que du côté des matières plus littéraires ? En 2019, les résultats du classement TIMSS qui nous plaçaient au dernier ou à l’avant-dernier rang des pays européens pour les compétences en maths et en sciences des élèves de CM1 et de 4ème ne furent qu’une gifle de plus pour l’Éducation nationale.

Tout doit commencer à l’école et se diffuser petit à petit jusque dans l’enseignement supérieur, sans oublier la formation des professeurs des écoles, qui sont rarement issus des filières scientifiques mais plutôt des sciences humaines, et qui ont subi eux-mêmes pendant leur scolarité le déclin général observé.

C’est précisément ce que M. Blanquer a cherché à faire, je l’admets volontiers.

Dès la rentrée de 2017, le ministre disait vouloir renouer avec une pédagogie éprouvée, il disait vouloir remettre les savoirs fondamentaux lire-écrire-compter au cœur des enseignements. Notre médaillé Fields Cédric Villani, anciennement député LREM puis non inscrit et maintenant soutien de Yannick Jadot, ainsi que l’inspecteur général Charles Torossian furent chargés de trouver comment donner le goût des maths aux enfants. Côté littéraire, ce fut le retour à la méthode syllabique pour la lecture – alors que la méthode globale a déstructuré tant d’enfants – la dictée quotidienne pour l’attention et l’orthographe et la lecture à voix haute. 

Réforme trop récente pour qu’on puisse en voir les effets ? Passage malencontreux du Coronavirus qui a éloigné les enfants de l’école pendant de nombreuses semaines en 2020 ? Poids insupportable de mesures sanitaires changeantes et tatillonnes qui compliquent tout ? Tout ceci joue contre la remise sur pied de l’instruction publique française, c’est certain. Aujourd’hui, M. Blanquer n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent en fait de résultats, si ce n’est que les élèves de CP, CE1 et 6ème évalués à l’automne 2021 ont rattrapé leur niveau de 2019 après la baisse enregistrée en 2020.

Ci-dessous, graphiques correspondant au CP, maths et français :

Le problème, comme on l’a vu, c’est que le niveau de 2019 n’était pas franchement fameux, comparé aux performances des élèves dans d’autres pays.

Il existe bien une piste de redressement de notre niveau éducatif, une piste qui n’a jamais été explorée en France. Personne ou presque n’en parle et c’est à peine si l’on ose y penser tellement l’idée est révoltante aux yeux des personnels enseignants de l’Éducation nationale. Même ceux qui dénoncent les baisses de niveau qui accablent leur matière se refusent à envisager autre chose qu’une augmentation radicale des moyens dévolus à l’Éducation nationale.

Il est vrai que les enseignants français sont moins bien payés que leurs homologues d’Allemagne ou des Pays-Bas par exemple, comme le confirme le graphique de l’OCDE ci-dessous (année 2019) :

Concernant les maths, c’est tellement vrai que le métier d’enseignant est devenu peu attractif par rapport à ce qu’offre le secteur marchand à des étudiants de valeur, à tel point que le niveau des candidats au Capes s’effondre dangereusement et que les postes offerts ne sont pas entièrement pourvus. 

Mais il en va de notre monopole de l’Éducation exactement comme de notre monopole de la Santé. Alors que les salaires français sont inférieurs à ce qui se pratique dans d’autres pays comparables, les dépenses consacrées à l’Enseignement primaire et secondaire rapportées au PIB y sont identiques voire supérieures : 3,7 % du PIB en France contre 3,5 % aux Pays-Bas et 3 % en Allemagne.

Comme à l’hôpital, c’est l’allocation des ressources qui ne va pas, c’est l’organisation, c’est la bureaucratie administrative. Et c’est le refus absolu, idéologique, syndical, d’entrer, ne serait-ce qu’un tout petit peu, dans un système d’émulation des acteurs de l’éducation.

Mais chut. 

Qu’un directeur d’école, de collège ou de lycée, assumant entièrement son rôle de directeur, pas seulement son rôle de relais de l’administration idéologico-lourdissime du ministère, puisse vouloir réunir autour de lui une équipe motivée, soudée et pédagogiquement innovante pour répondre au mieux aux défis éducatifs posés par ses élèves – cette idée toute simple d’autonomie et de créativité, déjà expérimentée avec succès par des établissements privés en France et à l’étranger, est profondément rejetée par les milieux enseignants.

Y compris s’agissant de l’expérimenter au sein du monopole de l’Éducation nationale comme Emanuel Macron l’a proposé cet automne dans son plan pour Marseille.

Alors vous pensez, en dehors du mammouth ! C’est pourtant ce qu’il faudrait commencer à faire. D’urgence.

Cet article a été publié initialement sur le site de Nathalie MP : cliquez ICI

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