Délit d’entrave à l’euthanasie : l’indignité démocratique et morale faite loi<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Santé
Le délit d'entrave consiste à pénaliser les gens qui s'opposeraient à la réalisation de l'aide active à mourir et qui empêcheraient les patients d'y accéder.
Le délit d'entrave consiste à pénaliser les gens qui s'opposeraient à la réalisation de l'aide active à mourir et qui empêcheraient les patients d'y accéder.
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Alerte

Le délit d'entrave consiste à pénaliser les gens qui s'opposeraient à la réalisation de l'aide active à mourir et qui empêcheraient les patients d'y accéder.

Ségolène Perruchio

Ségolène Perruchio

Ségolène Perruchio est responsable d'une équipe de soins palliatifs, vice-présidente de la SFAP et co-responsable du collège de la SFAP.

Voir la bio »
Marc-Elie Huon

Marc-Elie Huon

Marc-Elie Huon est psychologue clinicien en Unité d’accompagnement et de soins palliatifs et  co-responsable de la cellule de prévention des conduites suicidaires à l’unité d’accueil médico-psychologique Anjela Duval au CHRU de Brest.

Voir la bio »
Aline Cheynet de Beaupré

Aline Cheynet de Beaupré

Aline Cheynet de Beaupré est professeur de droit privé à l'Université d'Orléans et membre du CERCRID depuis 2020 (rattachement principal).

Voir la bio »

Atlantico : Pourriez-vous expliquer en quoi consiste le délit d’entrave à l’aide à mourir et pourquoi est-il problématique ?

Ségolène Perruchio : Le délit d'entrave consiste à pénaliser les gens qui s'opposeraient à la réalisation de l'aide active à mourir et qui empêcheraient les patients d'y accéder. En fait, c’est un amendement qui a été calqué sur ce qui a été voté pour l'interruption volontaire de grossesse, alors qu'on est dans une situation qui n'a absolument rien à voir.

L'idée, c'est de pénaliser les gens qui souhaitent dissuader les autres ou empêcher les gens d'accéder à l'aide active à mourir. Naturellement, s’il y a un droit à bénéficier d'une mort provoquée qui est instauré en France, il n'y a pas lieu d'empêcher les gens d'y accéder, que ce soit en leur masquant les informations ou en les empêchant physiquement d'aller dans ces lieux.

Ça paraît tout à fait logique et peut-être qu'il n'y a pas besoin de le spécifier, qu'à partir du moment où il y a un droit qui est ouvert, il n'y a pas de raison d'empêcher les gens d'y accéder. 

Mais cela pose des questions majeures. Aujourd'hui, un patient qui exprime le souhait de mourir, qu'il soit en fin de vie ou non, le monde du soin va essayer de l'aider, essayer de comprendre pourquoi.

Et oui, aujourd'hui, il va essayer de le dissuader de mettre fin à ses jours. C'est la question d'essayer d'empêcher les gens de se suicider. L'immense inquiétude, l'inquiétude des psychiatres aussi, est donc : aura-t-on encore le droit de dire à quelqu'un qui veut mettre fin à ses jours de manière assistée ou non, en fin de vie ou non, qu'il y a peut-être une autre solution, et qu'on est là pour l'aider à faire autrement ?

Et ça, c'est extrêmement inquiétant vis à vis des politiques de prise en charge et de prévention du suicide. Et puis c'est aussi extrêmement inquiétant pour nous, acteurs de soins palliatifs, parce que malgré tout, même en fin de vie, la vie peut valoir la peine d'être vécue. Et ça, en tout cas, ça vaut la peine que la société dise à la personne : « Comment je peux vous aider ? Vous avez envie de mettre fin à vos jours, vous avez envie qu'on vous aide à mettre fin à vos jours pour plein de raisons qu'on respecte parfaitement, mais peut-on vous aider à ce que ces raisons s'améliorent ? » Et on sait que dans l'immense majorité des cas, les demandes de mort cèdent avec une bonne prise en charge.

Et donc, pourra-t-on encore le faire ? Moi, c'est ma grande inquiétude.

Marc-Elie Huon : Ce délit d’entrave à l’aide à mourir fait partie des 21 articles du projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, élaboré en commission spéciale du 13 au 17 mai  dernier et qui sera examiné à partir du 27 mai 2024 à l’Assemblée nationale.

En référence au délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse,  ce délit d’entrave à l’aide à mourir prévoit une peine de prison d’un an et d’une amende de 15 000 euros à toute personne qui a l’intention "d’empêcher ou de tenter d’empêcher de pratiquer  ou de s’informer sur l’aide à mourir par tout moyen"... Le délit, absent des législations étrangères ayant légalisé le suicide assisté ou l’euthanasie,  consiste à punir toute personne qui chercherait à empêcher une personne malade et incurable de se donner la mort avec l’assistance d’un tiers (suicide assisté) ou à ce que quelqu’un ( un médecin, un infirmier ou une personne volontaire ) le fasse mourir. Ce délit sanctionne la prévention du suicide.

La clarification du vocabulaire est indispensable à la compréhension des enjeux  et nécessite une éthique du lexique car comme l’a écrit Camus "mal nommer les choses ajoute au malheur du monde".

L’aide à mourir consiste à permettre à une personne malade  atteinte d’une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale  (cette expression remplace le critère de pronostic vital engagé  à court ou moyen terme, présent dans le texte intial ) de se donner la mort  ou de la recevoir à sa demande  par un tiers. Cela correspond exactement à la définition du suicide assisté et de l’euthanasie. En effet, l’euthanasie est selon le CCNE (Comité consultatif national d’éthique) «  l’acte d’un tiers qui met délibérément fin à la vie d’une personne dans l’intention de mettre un terme à une situation jugée insupportable ». Le suicide assisté désigne, quant à lui,  l’assistance et la participation active d’un tiers à la mort d’une personne malade qui se donne la mort elle-même. L’aide à mourir  est en réalité  une aide à faire mourir.

Les termes « suicide assisté «  et «  euthanasie » caviardés dans le texte du  projet de loi sont  substitués par l’expression «  aide à mourir » .Cette figure rhétorique constitue une périphrase et une euphémisation qui cherche à feindre la réalité et matérialité  des gestes. Ces deux actes sont des morts provoquées et programmées.

La perspective annoncée d’un nouveau droit autorisant, sous certaines conditions, une aide active à faire mourir  pose, selon moi, une question essentielle : est-ce un si grand malheur de faire mourir un humain à sa demande ou de l’assister dans son suicide ? Racine, dans le Phèdre, s’interrogeait déjà, à travers une formulation voisine «  est-ce un malheur si grand de cesser de vivre ? » et concluait «  la mort aux malheureux ne cause point d’effroi ».La réponse de Racine interpelle en niant toute conséquences sociales et psychiques En effet, la mort donnée  aux souffrants ne provoque-t-elle aucun effroi aux proches, à une société ?

La promulgation d’une loi autorisant  un droit à  donner la mort à une personne malade   ou de l’aider à se la donner  est problématique à plusieurs titres . Elle produirait  une série de ruptures et de conséquences ( je remercie Mr Jean Léonetti d’avoir si brillamment identifié certaines de ces ruptures , lors d’une interview radiophonique en avril 2021) :

-        Une rupture anthropologique majeure : pour une minorité de malades, on supprimerait un interdit fondamental, celui de donner la mort à un humain. Autoriser une exception d’euthanasie c’est porter atteinte à cet interdit fondamental qui, par définition, ne souffre d’aucune exception sinon ce n’est plus un interdit fondamental mais une simple règle transgressable. Ce qui me  questionne, c’est qu’au nom de quelques demandes persistantes de mort, il faudrait, puisque l’autonomie de la volonté l’impose, supprimer un interdit fondamental, celui de l’interdiction de causer la mort d’une personne et de créer une exception dans le champ de la prévention du suicide.

Le progrès dans la civilisation a consisté en ce renoncement à l’action meurtrière d’un homme sur un autre. Que ce soit à sa demande ne change rien à la nature de l’acte .En effet, le meurtre est « l’action de tuer volontairement un être humain »  et le verbe tuer signifie «  cause la mort de quelqu’un, ôter la vie », ces définitions du dictionnaire Le Robert n’incluent pas les notions de demande comme il est parfois objecté par les partisans d’une mort provoquée.

Une société ne doit-elle pas fondamentalement créer de la sollicitude, de la solidarité, de la confiance et de la protection des plus vulnérables plutôt que de confirmer certains dans leur dépréciation d’eux-mêmes ? L’interdit a plusieurs fonctions, il  protège à la fois le sujet en souffrance contre sa propre destructivité et son désespoir mais aussi à l’égard de l’ambivalence des proches ayant parfois des vœux de mort et il oblige  les soignants à un surcroit de créativité dans les soins. C’est bien parce que nous savons que nous avons cette capacité humaine  à donner la mort que l’interdit existe.

Qu’est-ce qu’un interdit ? Sinon ce qu’on se dit entre nous pour vivre ensemble.

Dans une période d’attaques du symbolique tout azimut, ne doit-on pas maintenir ce pacte symbolique fondamental dans les démocraties les moins malades, celui de ne pas donner la mort aux plus fragiles, vulnérables et souffrants ? C’est ma position et celles de nombreux professionnels et citoyens qui sont concernés au quotidien dans leur exercice professionnel ou bénévole, contrairement à la plupart qui se prononcent en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté,  en étant  à la fois en bonne santé  ou sans distance affective vis-à-vis de la fin de vie de leurs proches.

Cette figure à deux faces de la mort provoquée, de l’aide à faire mourir  pose une autre question: «  est-ce que si je me tue avec le concours d’un médecin ou infirmier ou une personne volontaire  (suicide assisté) ou si je suis tué (l’euthanasie) , je tue une autre personne que moi ? ».

 Est-ce que le « se » donner la mort ne désigne que le «  moi » ou désigne-t-il aussi le monde, le social, l’entourage familial, amical, les générations futures ?

-        Une rupture législative : une loi en faveur de l’aide à faire mourir s’inscrirait en totale rupture avec les lois précédentes en matière de droits des malades , d’accompagnement et de fin de vie. Les lois actuelles sont des lois d’accompagnement des personnes à la fin de leur existence et non des lois de mise à mort organisées de certaines personnes et  de suppression d’un temps du mourir. Jusqu’à présent, à travers les lois interdisant l’incitation au suicide, sa propagande et sa publicité et les lois interdisant l’euthanasie, la société adresse un message collectif «  vous comptez pour nous, on ne vous confirme pas dans votre sentiment d’indignité, d’inexistence ; en tant que professionnels ça a du sens pour nous, pour la société d’être là à vos côtés » comme l’énonce madame Claire Fourcade, présidente de la société française de soins palliatifs ( SFAP).

        La société doit-elle confirmer les sujets souffrants dans leur sentiment d’inexistence ? Leur  répondre par la positive, dans certaines circonstances et situations comme le propose ce projet de loi, c’est les faire mourir deux fois, une première fois symboliquement et la seconde, réellement. Symboliquement, en leur confirmant leur mort symbolique.  En tant que médecin, Etat et société, je te conforte dans l’idée que tu es un poids et inestimable y compris dans le regard des autres. Réellement, on réalise ou l’assiste pour réaliser sa mise à mort.

La hantise, c’est que la mort devienne « la guérison ultime » du mal face à des personnes en mal d’exister , aux prises avec une peine de vie , avec cette nouvelle offre de la mort.

Une loi qui correspondrait  sur le plan métaphorique à une « gomme législative » (selon l’expression du professeur Bernard Debré )   permettant d’effacer ceux qui se sentent encombrants et/ou qui encombrent.

La liberté de se suicider deviendrait un droit – créance garanti par l’Etat dans son application.

-        Rupture médicale : l’immense  majorité des professionnels de soins palliatifs sont opposés à l’acte de provoquer la mort d’un malade car contraire aux fondements de soins palliatifs.

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a établi la définition des soins palliatifs, intégrant notamment la phrase suivante :

« Les soins palliatifs procurent le soulagement de la douleur et des autres symptômes gênants, soutiennent la vie et considèrent la mort comme un processus normal, n’entendent ni accélérer ni repousser la mort ». Les soins palliatifs sont une pratique du soin qui accepte la finitude et prend soin  du patient dans sa globalité, considèrent que la mort est un processus naturel ou consécutif à une maladie et s’opposent à causer la mort d’une personne malade.

  Cela constituerait une rupture avec le texte fondateur déontologique de la pratique médicale , le Serment d’Hippocrate qui précise : «   Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément ».

 L’ordre national des médecins français s’est positionné contre l’aide active à mourir ainsi que l’ordre national des infirmiers et le groupement d’étude et de prévention du suicide  ainsi que la société française de psychiatrie.

Si une loi venait à autoriser l’euthanasie ou le suicide assisté, c’est que le malade serait installé dans une position consumériste, dans une logique de clientèle : je demande et  j’obtiens ce que je veux ; je veux mourir, le médecin doit répondre à ma demande. La médecine fonctionnerait alors selon une logique exclusive de l’offre et de la demande .

D’aucuns soutiennent que l’aide active à mourir (l’euthanasie et  le suicide assisté) sont complémentaires des soins palliatifs. Ces deux actes sont diamétralement opposés de la pratique palliative  car ils visent la mort immédiate et provoquée du sujet malade et mettent en acte l’auto- appréciation de non-valeur de la personne. Rappelons qu’historiquement, les Soins palliatifs sont nés en réaction à une médecine trop technicienne mais aussi en réponse aux pratiques euthanasiques et au délaissement des personnes mourantes livrées à leur solitude et détresse.

Faire mourir (c’est la proposition de loi actuelle)  et laisser mourir en étant accompagné (refus de l’obstination déraisonnable, reconnaitre les limites de la médecine la non sacralisation de la vie portées par l’approche palliative) ne sont pas équivalents et même fondamentalement antagonistes.

-        Rupture temporelle : cette loi créerait la possibilité d’une disparition socialement consentie d’un temps de l’existence. Supprimer un temps de l’existence et pourquoi pas un autre car il faudrait être atteint d’une grave et  incurable et d’une douleur ou souffrance réfractaire ou insupportable.

La création d’une loi autorisant à quitter prématurément le monde des vivants affirmerait qu’il  existe un temps du mourir dont on pourrait faire l’économie, un temps dont on pourrait prévoir le caractère définitivement insupportable, sans perspective évolutive.

     Un temps difficile n’est pas un temps inutile à moins d’opter pour une conception purement utilitariste de l’existence.

-        Rupture politique  : « c’est le problème éthique et politique de la réponse apportée qui doit être tenue pour essentiel et non la vérification obsessionnelle de la qualité de la demande. «  écrit  Jacques Ricot dans son ouvrage « Penser la fin de vie ». Axel Kahn et Luc Ferry ont la même analyse dans leur ouvrage (Faut-il légaliser l’euthanasie ?).

L’attitude face à la mort donnée et provoquée ne relève pas seulement d’un choix individuel, c’est aussi un positionnement  collectif en réponse à notre organisation sociale.

La création d’un « droit au suicide », a fortiori, lorsqu’il est médicalisé, entre en contradiction profonde avec les fondamentaux de la prévention du suicide et lui portera préjudice. Il y aurait, comme disait le juriste et psychanalyste Pierre Legendre «  des privilégiés du malheur » qui auraient droit au suicide et pas d’autres, ouvrant une discrimination majeure  que ne manquerait pas de dénoncer au nom de l’égalité d’autres catégories de citoyens initialement privés de ce droit et qui finissent par en jouir  comme nous l’observons dans les pays qui ont légalisé l’euthanasie et le suicide assisté.

Ce droit au suicide ou à l’euthanasie qui n’est autre qu’un scénario suicidaire accompli par un tiers enverrait un message paradoxal dans le champ de la santé publique.

En effet, depuis 30 ans, en France, l’Etat encourage  et déploie les politiques de prévention du suicide sans relâche ,à tous les âges de la vie et  ces dernières ont permis une diminution  significative des suicides . Une légalisation autorisant le suicide assisté  serait en contradiction totale avec le travail accompli et le sens collectif de la prévention des conduites suicidaires. La prescription  médicale du produit létal dans le cadre du « suicide médicalement assisté » s’opposerait à l’un des axes de la prévention du suicide qui est de limiter l’accès aux moyens létaux.

Dans les années 1980, un livre intitulé «  suicide, mode d’emploi » avait été retiré de la vente car il faisait l’apologie du suicide et il fut à l’origine de la loi condamnant l’incitation au suicide, sa propagande et sa publicité. Ce projet de loi réintroduit dans une certaine mesure la promotion du suicide , sa légitimation et  décrit le mode d’emploi pour se suicider.

-        Rupture psychologique : Le cri de souffrance d’un patient qui demande à le faire mourir ou de l’aider à se donner la mort est légitime. Mais, je souhaite rappeler que  le fondement des soins psychiques est de ne pas répondre en miroir à une détresse ni à prendre au pied de la lettre la parole d’un sujet , à ne pas le confirmer  dans son diagnostic de non-valeur sinon on ne pourrait pas soigner les personnes dépressives, suicidaires ou en souffrance . Il est indispensable , dans une relation de soin, de ne pas prendre au premier degré les paroles d’une personne en souffrance en raison  de la complexité psychique  ( on peut vouloir quelque chose consciemment et désirer autre chose inconsciemment ), de l’ambivalence humaine et d’une éthique de l’incertitude quant à l’ évolution psychique de la personne.

Notre expérience nous apprend que plus un patient avance dans la maladie, plus il  a tendance à changer de pensées. Le psychisme s’adapte, il existe des remaniements psychiques. Une loi autorisant l’euthanasie ou le suicide assisté affaiblirait considérablement le travail d’écoute et d’élaboration psychique de l’ambivalence d’une personne malade , ses possibilités de remaniements psychiques , en raison de la «  possibilité de réduire ou supprimer le délai «  donné au patient de confirmer sa demande ( amendement  absent dans le texte initial et introduit dans le projet examiné à l’assemblée).

 La pratique d’accompagnement psychologique des personnes en souffrance nous révèle que vouloir et désirer ne sont pas synonymes. En effet, décider de prendre au pied de la lettre la volonté exprimée par une personne, c’est confondre le psychisme avec le conscient et évacuer la complexité de chaque être humain, sa part inconsciente et mystérieuse y compris pour lui-même. Personnellement dans le cadre de ma pratique en  unité de  soins palliatifs , je n’ai rencontré en plus de vingt ans d’exercice que très peu de malades qui demandent dans la durée à mourir et encore moins à les faire mourir  sans doute grâce à une bonne prise en charge de la douleur mais surtout parce que nous avons, en équipe,  un souci constant  de faire qu’un malade reste une personne.

Une loi autorisant l’euthanasie ou le suicide assisté symboliserait l’échec de l’accompagnement et le renoncement définitif  à soulager la souffrance d’une personne. Abdiquer face à la lutte contre la souffrance de l’autre serait un fléau dans le domaine de la santé publique et de la vie en société.

Le délit d’entrave à l’aide à mourir non seulement  porterait fortement préjudice au  délit de   non-assistance à une personne en danger mais annulerait aussi  celui de l’incitation , la propagande , publicité et provocation au suicide d’autrui.

La loi du 31/12/1987 condamne la provocation au suicide tenté ou consommé par autrui, de même que la propagande ou la publicité en faveur de produits, objets ou méthodes préconisés comme moyens de se donner la mort (article 223-1 à 5 du C.P.)

On passerait donc d’un délit d’incitation au suicide et de non-assistance à personne en danger à un délit d’entrave au suicide . Ce serait non seulement une inversion totale des valeurs , des paradigmes de soins mais aussi un paradoxe absolu et une promulgation d’une culture de la mort et de la destructivité. Les politiques de santé publique nécessitent d’être cohérentes les unes avec les autres.  

Aline Cheynet de Beaupré : Le délit d’entrave a été proposé et inséré dans le texte du projet de loi tout récemment. Cela ne date que de quelques jours, en vérité, et c’est le fait de la commission spéciale de l’Assemblée nationale qui cherche à poser un interdit. Il s’agit ici d’interdire toute tentative de dissuasion vis-à-vis d’une personne ayant demandé le recours à l’aide à mourir. Autrement dit, inviter quelqu’un envisageant l’euthanasie ou le suicide assisté à prendre le temps de la réflexion, tenter de l’en dissuader serait interdit. 

Naturellement, quand on pense au délit d’entrave, on pense de suite au délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse. C’est normal : ce nouveau délit d’entrave potentiel s’en veut le copier-coller. 

Précisions cependant que le délit d’entrave à l’IVG a connu deux temps. La loi sur l’IVG date de 1975, mais le délit d'entrave est apparu en 1993 et a connu une extension  en 2017 pour viser, notamment, certains médias en ligne. Il est difficile de nier son évolution progressive.

En outre, le délit d’entrave à l’aide à mourir ne peut pas tout à fait être pensé comme un parallèle, ou une simple superposition de la procédure du délit d’entrave à l’IVG. C’est assez simple à expliquer en droit : dans le cadre de l’IVG, on fait face à une femme enceinte, qui attend un enfant. Or, ce "bébé" (foetus ou embryon) qu’elle attend n’est pas juridiquement considéré comme une personne. On n'accède à la personnalité juridique qu’une fois né. Le délit d’entrave à l’IVG, en droit, ne porte donc atteinte à la vie de personne, il porte atteinte à une grossesse qui n’a pas été menée à terme, à une période de gestation. Ce n’est plus vrai dans le cadre du délit d’entrave à l’aide à mourir, où ce délit d’entrave vise une personne qui, disons-le ainsi, réfléchit à mourir. 

Le délit d’entrave à l’aide à mourir vise à sanctionner quiconque essaierait de dissuader un individu d’accomplir un acte létal sur lui-même. Le problème étant, si on se limite encore une fois à la question du droit, que le suicide fait l’objet d’une réelle prévention en France. L’Etat français met en place des moyens importants pour lutter contre le suicide ; en témoignent les premiers résultats que l’on retrouve en cas de recherche correspondant à “fin de vie”, “aide à mourir” ou “mourir dans la dignité”. Tout moteur de recherche vous proposera, en premier lieu, le numéro de SOS Suicide. Dès lors, lle délit d’entrave à l’aide à mourir entraîne une aberration juridique puisqu’il viendrait contredire d’autres textes de loi visant à encourager et permettre la prévention du suicide. Cela relève presque de la "schizophrénie juridique". Actuellement, il est possible d’être condamné pour non-assistance à personne en danger (art. 223-6 C. pénal) si l'on ne vient pas en aide à quelqu’un qui cherche à se suicider ; si on ne stoppe pas son geste. Le délit d’entrave engendre donc une situation qui, sur le plan juridique, est hautement incohérente.

En quoi cette loi peut-elle être perçue comme une atteinte aux libertés individuelles ?

Marc-Elie Huon : Il me semble que la question est pleinement politique au sens de ce qui gouvernent les affaires publiques, la vie en société et que le politique doit pouvoir répondre  à la question suivante : quelles garanties ce projet de loi offriraient –elles contre une fragilisation du vivre ensemble ? Ce projet de loi accentuerait, me semble-t-il , la disparition du monde commun, en organisant socialement le droit de cesser d’être parmi les humains. Il prioriserait voire consacrerait le principe d’autodétermination au détriment des   principe de solidarité et de fraternité, Ce projet législatif porterait atteinte avant tout aux principes de solidarité et de fraternité humaine. « Notre vivre-ensemble est fait de liberté entendue comme responsabilité, d’égalité devant la considération, de fraternité à l’égard des plus faibles et de solidarité dans l’épreuve « écrivait Philippe Pozzo di Borgo. On travestit le sens des mots solidarité et fraternité lorsqu’on considère que donner la mort à quelqu’un ou l’assistance au meurtre de soi-même  est un signe de solidarité fraternelle.

La mort ne fait pas consensus mais n’est-ce pas aux hommes politiques de soutenir une vision pour l’avenir et d’oser affirmer que le bien commun l’emporte sur les intérêts particuliers et valoriser sur le plan symbolique, dans la loi, des principes de vivre ensemble plutôt que de vivre et mourir chacun pour soi par l’autodestruction librement consentie ? La mort est un phénomène tout autant collectif qu’individuel, non seulement parce qu’elle nous concerne tous mais parce que paradoxalement, elle affecte aussi notre manière  de vivre ensemble..

Nous sommes à un moment déterminant, soit nous  optons pour une société régie principalement par la succession de droits subjectifs soit nous choisissons la voie d’une société qui priorise l’intérêt collectif dépassant les désirs et les histoires personnelles et surtout qui vise à remettre de la pulsion de vie face à la pulsion de mort toujours agissante comme en témoignent les  évènements quotidiens (guerre, violences sur les personnes, homicides et suicides).

Aline Cheynet de Beaupré : Le délit d’entrave à l’aide à mourir peut être perçu comme une atteinte aux libertés individuelles pour plusieurs raisons. Commençons par rappeler que le droit considère que l’on peut changer d’avis. Ainsi, tout individu s’apprêtant à commettre une contravention ne saurait être sanctionné avant de l’avoir fait ! Prenons l’exemple d’une personne qui se gare à un endroit où ce n’est pas autorisé mais qui, pris de remords, finit par repartir. Il s’apprêtait à commettre une infraction, mais il a changé d’avis et ne sera donc pas sanctionné. De la même façon, toute personne envisageant de se marier peut changer d’avis jusqu’au dernier moment et finalement décider de ne pas se marier. Le droit intègre, c’est indéniable, la liberté de l’individu dans tous les actes importants de sa vie. C’est même l’une de ses dimensions fondamentales.

Le délit d’entrave à l’aide à mourir, néanmoins, change la donne.  Il expose au risque de bloquer une personne dans sa réflexion. Nul ne peut être sûr, quand quelqu’un dit qu’il souhaite mourir, que c’est effectivement ce qu’il souhaitera plus tard, qu’il voudrait effectivement aller au bout de la démarche. C’est peut-être le cas, ça ne l’est peut-être pas les soignants insistent, à juste titre, sur ce que l'on pense quand on est bien portant et ce que l'on ressent quand on est malade. Toujours est-il que si le délit d’entrave à l’aide à mourir est effectivement instauré, cela signifie que toute personne se mettant en travers de la route de celle-ci et l’invitant à penser à autre chose pourrait juridiquement être poursuivie. 

C’est un problème conséquent, d’autant plus quand l’on sait que ce sont notamment les soignants qui pourraient être ciblés. Que faire, quand on est médecin et que l’on traite une personne placée en soins palliatifs ? Sa mission est de lutter contre la douleur de son patient, de l’accompagner dans sa fin de vie et il est probable que celui-ci aura parfois des passages à vide ou de souffrance pendant lesquels il pourrait lui arriver de souhaiter que tout cela s’arrête. Est-ce à dire qu’il faut tout arrêter ? Cela peut n'être qu’une idée d'un moment. La plupart du temps, les personnes prises en charge et placées en soins palliatifs finissent par abandonner leurs idées mortifères. Mais avec la mise en place d’un délit d’entrave à l’aide  mourir, on risque de se retrouver dans une situation dans laquelle un médecin rassurant son patient pourrait faire l’objet d’une procédure judiciaire. Les psychiatres suivant des personnes dépressives (pathologie consistant à une lassitude de la vi) seraient concernés de la même façon alors que c'est l'objet même de leurs soins...

Ségolène Perruchio : Une atteinte à la démocratie, je ne sais pas, ce ne sont pas mes termes. Après, ce qu'il faut absolument préserver est la liberté de parole et d'opinion.

On a tous des opinions. Il y a en France des opinions extrêmement différentes, respectables et intéressantes sur cette question de la mort provoquée. Il faut que toutes ces opinions puissent se parler, puissent s'échanger, puissent être débattues pour que les enjeux soient débattus. Et là, il y a une liberté de parole et de pensée fondamentale

Si on ne peut plus dire les choses, c’est là qu’il commence à avoir un vrai souci. 

Quels sont les risques pour les professionnels de santé et les citoyens ?

Ségolène Perruchio : Les risques sont surtout pour les patients, pour les citoyens, c'est-à-dire, pour nous tous. Le risque, c'est de ne plus pouvoir être pris en charge correctement, de peur d'être accusé d'entrave à l'accès à l'aide active à mourir.

Si cette partie-là, cet amendement passe, on verra comment il sera mis en œuvre et comment il sera compris et interprété. Mais le risque est là. Et avant tout pour les patients, pour nous tous, en tant que patients et citoyens.

Les professionnels de santé ne se battent pas pour la défense de leurs prérogatives. Les professionnels de santé prennent position pour défendre leurs patients, leur prise en charge, et ce qu'ils peuvent amener aux patients. Donc le risque va être sur le soin et ce qu'on peut apporter aux patients.

Les professionnels de santé, si on leur dit « vous n'avez plus le droit de dire ça », ils ne le diront plus. Mais est-ce que c'est vraiment ça qu'on veut dans notre société, de museler d'abord la parole publique et d'altérer le soin ?

Aline Cheynet de Beaupré : Les risques pour les professionnels de santé correspondent peu ou prou à ce que l’on vient d’évoquer. Un médecin décidant de venir en aide à un patient envisageant le suicide assisté ou l’euthanasie, ce qui peut n’être qu’un appel au secours, pourrait faire l’objet d’une procédure juridique. Il y a matière à penser que, dans ce cas de figure, le personnel soignant se mobilise moins pour rappeler à ses patients qu’il existe de potentielles alternatives.

Ce qui me gêne dans cet état de fait, c’est que la non-assistance à personne en danger constitue, rappelons-le, un délit. Cela veut dire que, face à une personne souhaitant être euthanasiée, un médecin se retrouverait forcément en train de violer la loi : il commet un délit s’il entrave la volonté du patient et il en commet un autre s’il ne lui prête pas assistance pour éviter que celui-ci ne se blesse.

Marc-Elie Huon : Ils sont multiples. L’immense majorité des professionnels ( médecins, infirmiers, aides soignants, psychologues , assistants sociaux.. ) exerçant en soins palliatifs, en gériatrie , en psychiatrie, en médecine générale, en EHPAD etc  sont farouchement opposés à l’euthanasie et au suicide assisté.

Bon nombre  de professionnels de soins palliatifs envisagent de démissionner, de changer de lieu d’exercice si ce projet de loi est voté. Tous les jours, les professionnels et bénévoles  qui travaillent dans le champ de la fin de vie et des soins psychiques avec lesquels j’échange sont terrifiés par une possible application de ce projet de loi.

C’est un fantasme de penser que cette loi n’aurait pas d’incidences négatives sur les soins palliatifs, sur la psychiatrie car des soignants sollicités en amont nous adresseront des patients en souffrance suicidaire que notre vocation et approche de la souffrance nous amèneront à refuser de leur donner la mort ou de les aider à le faire, avec la menace pour les soignants de tomber sous le coup désormais d’un délit d’entrave à l’aide à mourir. . Ce délit,  d’une violence extrême à l’égard des soignants risque de faire fuir certains pourtant appliqués à  cette noble et antique mission de soulager un être humain mais pas de le tuer. Au niveau de la prévention du suicide. Cela signifiera que tout soignant qui recevra une demande de mourir  devra prendre au pied de la lettre la parole du patient sinon il courra le risque d’être poursuivi s’il prend le temps d’examiner les causes profondes de cette demande, identifier les possibilités de traitement de sa douleur et souffrance et de changements chez le patient. Ce délit va cadenasser  toutes les conditions nécessaires pour exercer les métiers des soins psychiques et somatiques, à commencer par l’absence de peur et de menace de sanctions pour le professionnel ;

Les professionnels qui pratiquent l’euthanasie ou accompagnent les personnes à se suicider  n’en sont pas indemnes psychiquement de telles expériences. Plusieurs collègues psychothérapeutes en Belgique et en Suisse m’ont témoigné des ravages psychiques engendrés par de telles pratiques chez des professionnels reçus en psychothérapie.

Pour les citoyens, un tel dispositif qui légitime le suicide et l’euthanasie aura un effet incitatif et risque d’entrainer une augmentation des suicides, assistés ou non. Il est urgent de rappeler que  les taux de suicide augmentent dans plusieurs pays qui ont légalisé une forme ou l'autre de mort provoquée ( Bénélux, Oregon ) . Aux Pays - Bas, le nombre de suicides non- assistés est passé de 8,3 /100 000 habitants à 10,6 /100 000 habitants en 2021  soit une augmentation très inquiétante de 28%  alors que dans le même temps  les pays européens qui n'ont pas légalisé la mort provoquée voient le nombre de suicides baisser.  En France, nous sommes passés de 12 000 suicides recensés en 1990 à moins de 9000 par an ces dernières années. Aussi, ce projet de loi ne relève pas exclusivement d'une position individuelle, c'est aussi  une question de santé publique majeure .

Toute loi a un impact, devient une norme qui s’intériorise chez chacun, celle-ci risque de devenir une nouvelle norme du mourir et adresse un double message alarmiste et pessimiste aux malades et bien portants : il y a des vies qui ne méritent pas d’être vécues, il y a une solution au sentiment d’encombrement et il y aurait des situations où la souffrance ou douleur sont irréversibles et sans aucune possibilité d’amélioration et il faut s’y résoudre . C’est un message mélancolique, du triomphe de la pulsion de mort. C’est une loi au service de la pulsion de mort qui gît en chacun d’entre nous.

Ne négligeons pas non plus les conséquences psychiques néfastes sur les endeuillés suite à une euthanasie et un suicide, aux prises avec des sentiments de culpabilité intenses d’avoir consenti à ce que l’autre meure ou de ne pas avoir pu l’en dissuader.

Quels sont les principaux arguments des opposants à ce délit d’entrave ?

Marc-Elie Huon : Ce délit constitue une grave entrave à la prévention du suicide, ainsi qu’à la non-assistance à une personne en danger. Il verrouille toute tentative de réactivation de la pulsion de vie qui sommeille chez le sujet concerné et fait triompher la  prétendue fatalité d’aucun apaisement  possible de ses souffrances. Il nie la particularité des soins psychiques et somatiques qui réclament du temps, de la distance et une connaissance de la complexité de la vie psychique. Il empêcherait les soignants de travailler.

En tant que clinicien, j'ai rencontré des personnes dont la détermination à mourir semblait absolue sur plusieurs jours voire semaines et qui ont changé d'avis ensuite grâce à un lent et patient accompagnement. Ce projet de loi n’en tient pas compte en annulant le délai de réflexion et en introduisant ce délit d’entrave . On ne peut pas faire l’économie de l’analyse des raisons inconscientes qui amènent  un patient à formuler un scénario suicidaire, qu’il soit celui d’un suicide assisté ou d’une euthanasie .  Dans le lien à l’autre, les idées de suicide ont une fonction, celle de nous interpeller, de capter notre attention , d’ appeler à l’aide , d’alerter inconsciemment notre capacité à protéger la personne d’elle-même, à nous inquiéter ou encore de vérifier auprès de nous de sa valeur .Elles ne se réduisent certainement pas à la recherche de sa propre mort.

Avec ce délit, cela signifie que les personnes déterminés à mourir ne pourront plus changer d’avis, c’est une privation de chance et d’espoir et une négation de l’ambivalence psychique . Il procède d’une grave confusion entre désirer et vouloir et demander et désirer. Si on prenait, dans notre pratique quotidienne, aux mots  toutes les personnes gravement malades qui formulent des velléités suicidaires,  en accédant à leur demande sans délai comme le propose le projet de loi et ce délit  , ce serait chaque année plusieurs centaines de milliers de personnes  qui mourraient  par suicide.

Notre engagement soignant est d’abord et surtout pour  les patients. C’est parce qu’il y a eu trop de rendez-vous manqués avec les vivants que certains n’envisagent plus qu’un rendez-vous avec la mort , disait Michel debout. Ce délit réduira les possibilités de rendez-vous avec un vivant. C’est une chose de considérer le suicide comme une possibilité personnelle, c’en est une autre de le considérer comme une prérogative positive, inscrite dans une loi. C’est une chose de considérer que pour certains, le suicide puisse être perçu comme leurs solutions subjectives, c’en est une autre de considérer qu’une société puisse et doive participer activement à mettre un terme à la vie d’un citoyen et d’en faire une solution avec l’approbation de l’Etat. Le suicide est un drame individuel et familial à ne jamais ignorer. Il n’y a qu’à écouter les familles endeuillées par suicide pour en attester.   

Ségolène Perruchio : Aujourd'hui, c'est difficile de vous répondre, ça date d'il y a quelques jours. Ça a été voté dans la nuit du vendredi 17 au samedi 18 mai.  Les professionnels de santé sont au chevet des patients et pas dans l'hémicycle ou au sein de la condition spéciale.

Pour les quelques confrères avec qui j'en ai parlé, c'est cette inquiétude : les mêmes inquiétudes qui remontent sont celles que je vous ai transmises. C'est une inquiétude sur la liberté de parole. C'est une inquiétude sur les prises en charge des patients, pouvoir continuer à dire à un patient, qu'est-ce qui est difficile dans votre vie pour que vous vouliez mourir et comment est-ce que je peux vous aider, voir à vous faire changer d'avis ? 

Pourra-t-on continuer à parler des enjeux que la mort provoquée, des transformations que la mort provoquée, la légalisation de la mort provoquée, opérera dans notre société ?

Il a été évoqué dans les médias le délit d’entrave à l’IVG pour le comparer à celui de l’aide à mourir. Pour moi, on ne peut pas comparer l’IVG et l’aide à mourir. L'IVG a été légalisée dans les années 70 pour sauver la vie de femmes qui mouraient en faisant des IVG. Et aujourd'hui, la loi qu'on nous propose est destinée à accélérer la mort des gens, là où l'IVG a pour objectif de sauver des femmes. Il n'y a pas lieu de comparer.

Aline Cheynet de Beaupré : Certains ont pointé du doigt, sur les réseaux sociaux notamment, le risque que le délit d’entrave à l’aide à mourir soit apprécié par des militants anti-soins palliatifs. Ce ne sont pas ces personnes qui seront amenées à trancher, à juger de la qualité de ce dernier. C’est un magistrat qui sera appelé à le faire, pas des militants pro-euthanasie. Pour autant, le raisonnement ici évoqué est compréhensible : il s’appuie sur les dispositions aujourd’hui posées dans le cadre du projet de loi. On sait que ceux qui militent en sa faveur sont pro-euthanasie puisqu’il s’agit de l’ADMD qui n’a jamais caché sa position à ce sujet. Et en effet, l'amendement sur le délit d'entrave insiste sur le fait que "Toute association régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, dont l’objet statutaire comporte la défense des droits des personnes à accéder à l’aide à mourir, peut exercer les droits reconnus à la partie civile". Il s'agit de permettre à l'ADMD (notamment) d'agir contre ceux qui feraient obstacle à l'aide à mourir.  

L’ADMD, rappelons-le, affirme que la fin de vie, c’est l’aide à mourir. Or, il s’agit très clairement d’un détournement sémantique : la fin de vie, ce n’est pas l’aide à mourir, c’est la "fin de la vie". Cela inclut en premier lieu de passer par les soins palliatifs. Le projet de loi évite délibérément la réalité des mots : euthanasie et suicide assisté - objets mêmes du projet - ne sont pas cités, remplacés une formule vague (qui se veut positive et altruiste)  : “l’aide à mourir”. La terminologie est détournée et introduit des confusions graves sur un sujet de mort d'un individu. Ce genre de détournement est évidemment inquiétant. 

Si je puis me permettre, la problématique est aujourd’hui beaucoup plus globale comme a pu en témoigner le choix des mots du président de la République. Emmanuel Macron a en effet affirmé que la France était “prête” pour accueillir la fin de vie, l’aide à mourir, (sans nommer l’euthanasie et le suicide assisté). Il nous a assuré qu’il y aurait des verrous, des conditions strictes… Ce n'est pas possible, les exemples étrangers en témoignent et le simple fait d’envisager déjà ce délit d’entrave illustre bien qu’aucun verrou ne pourra tenir.  

Envisager la fin de vie ainsi qu’on le fait, cela relève de la rupture anthropologique majeure, quoique certains contestent évidemment ce terme. La loi repose, dans toute société, sur l’interdit de tuer. Ici, on parle de franchir le Rubicon, de s'affranchir de l’interdit en cas de mort provoquée, mort administrée à autrui. Chacun des exemples dont nous disposons illustre qu’il ne s’agit pas seulement d’une pente glissante mais bien d’un engrenage extrêmement fort, d’une logique qui devient juridiquement imparable. Nous irons plus loin, parce que nous ne pourrons pas faire autrement. Ce n'est pas en retirant l'amendement aujourd'hui qu'il ne reviendra pas l'année prochaine. Le projet est problématique car il mélange : soins palliatifs, accompagnement et "aide à mourir". La confusion est globale. Or, ce qui est clair, c'est que Conseil d'Etat et CCNE (avis 139) ont clairement posé que le développement des soins palliatifs constituait le préalable nécessaire à une éventuelle "évolution" vers une mort provoquée. Commençons par le commencement promis par une loi... de 1999 : l'accès de tous aux soins palliatifs. Or 25 ans plus tard, 500 personnes meurent chaque jour sans y avoir accès. On le voit, le délit d'entrave s'attaque notamment aux soins palliatifs alors que l projet de loi est supposé les développer...

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !