Dégradation de la note de la France : une sérieuse piqûre de rappel au réel pour le gouvernement <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L’agence de notation américaine Standard & Poor’s a finalement abaissé la note qui évalue la qualité de la dette française.
L’agence de notation américaine Standard & Poor’s a finalement abaissé la note qui évalue la qualité de la dette française.
©CHRISTOPHE ENA / POOL / AFP

De AA à AA-

L’agence de notation américaine Standard & Poor’s a ramené de AA à AA − la note de la dette française.

Jean-Yves Archer

Jean-Yves Archer

Jean-Yves ARCHER est économiste, membre de la SEP (Société d’Économie Politique), profession libérale depuis 34 ans et ancien de l’ENA

Voir la bio »

Pour certains observateurs proches des milieux gouvernementaux, l’influence d’une dégradation de la notation de la France par deux Agences majeures n’aurait pratiquement « aucune importance ».

J’aimerais pouvoir partager cet optimisme mais le fruit de mon analyse ne m’autorise pas un tel discours confirmatif.

De manière digne du théâtre de Pirandello (comique de répétition) tant Moody’s que FitchRatings ont décidé – il y a quelques semaines -d’un statu quo que je pose comme illégitime.

Standard & Poor’s vient de siffler la fin du vagabondage intellectuel et a décidé de dégrader la note de la dette française de « AA » à « AA- » C'est un revers.

La dégradation intervenue ce jour est objectivement un cuisant revers qui nous – j’insiste sur le nous en tant que quidam parmi les contribuables et épargnants – coûtera des sommes conséquentes.

Pour recourir à un vocable présidentiel : « Un pognon de dingue ! » 

En effet, se voir dégrader a immédiatement pour conséquence de renchérir le coût de nos emprunts à venir. Or, pour mémoire, l’Agence France Trésor se doit de lever 285 milliards d’€uros en 2024.

Les créanciers échaudés par nos piètres performances économiques et budgétaires vont appliquer une prime de risque et il sera donc plus onéreux de « placer » du papier émis au nom du Trésor. La notation est purement accessoire au regard de cette réalité de marchés.

Un flot d’emprunts à hauteur de 285 milliards :

Bien entendu, le taux moyen va rester au-dessus de 3%( sa valeur moyenne récente pour les OAT à 10 ans ) et ne devrait pas s’envoler comme ce fût le cas du temps de l’éphémère première ministre britannique( Liz Truss ) dont le Royaume-Uni garde un souvenir cuisant.

En revanche, il n’est pas très difficile de concevoir qu’un essor de nos taux d’emprunt aura un impact sur notre capacité à rembourser le principal de la dette et sur notre fluidité face au niveau croissant de la charge de la dette que Bercy «  itself » quantifie à hauteur de 70 Mds pour 2027.

L’affirmation de Vendredi soir du ministre Le Maire qui affirme (itw Le Parisien ) que cette dégradation «  ne changera pas la vie des Français «  est factuellement inexacte. Notre dette va nous coûter plus cher à la souscription de nouvelles tranches d’emprunt et en matière de remboursement d’emprunts.

La France présente un stock de dettes qui a une maturité d’environ 7 années. L’Agence France Trésor fait rouler la dette en remboursant ce qui est légalement échu et en souscrivant de nouvelles tranches d’emprunt. C’est précisément là que la situation va se tendre : ce que nous devons rembourser a été majoritairement souscrit du temps des taux d’intérêt extrêmement bas voire négatifs. Or, désormais nous souscrivons des tranches qui portent une quote-part variable liée à l’inflation mais aussi à la matérialisation de la prime de risque reliée à la qualité reconnue (notamment par les agences de notation mais pas seulement, exemple le FMI qui a récemment déclaré que le retour à un déficit budgétaire de – 3% à horizon 2027 est illusoire) de l’emprunteur.

Comme l’a indiqué virilement Claude Raynal, président de la Commission des Finances du Sénat lors de l’audition de Bruno Le Maire ( il y a quelques jours ) : «  vous utilisez un ton péremptoire «  en contradiction avec les écarts entre vos affirmations et la réalité de nos Finances publiques.

De facto, le 31 Mai le ministre répète que la France verra son déficit se situer à – 3% à horizon 2027 ce qui est contredit par des analyses approfondies et sereines du FMI et de l’OCDE.

Répéter une contre-vérité n’est pas seulement abuser de la crédulité des citoyens mais c’est jouer avec la ligne rouge du mensonge autant prémédité qu’assumé. 

«  Maintenant ça va tanguer ! » 

Clairement, il est donc urgent de goûter certains discours avec prudence. La France est dans une situation critique et le nier revient à véhiculer des fadaises dans un but plus partisan que teinté de rectitude.

Comme l’a dit avec justesse Pierre Mendès-France dans un dîner tenu chez Françoise Giroud le soir du 10 mai 1981 : «  Maintenant ça va tanguer ! » 

Je n’aurais pas l’outrecuidance de reprendre à mon compte le verbatim de cette citation mais j’adhère pleinement à son esprit.

Nous sommes dans un pays où la recherche économique indépendante est parfois malmenée au profit d’une doxa qui masque mal les arrangements entre amis. Nous serons séniles ou ensevelis quand la réalité de la négociation entre les Agences et la France sera enfin dévoilée. Les deux qui sont restées inertes tranchent avec la rigueur de S&P.

Dégradations et opinions des Gouverneurs :

Cette histoire de notations et de dégradations pose une lumière crue sur celles et ceux qui ne veulent pas sortir d’une forme de déni parfaitement préjudiciable à nos descendants. Que le présent lectorat sache que j’ai honte d’avoir voté pour plusieurs dirigeants qui avaient la formation académique pour comprendre et tenter de juguler la croissance infernale de la dette.

Et pourtant, ils ont été mis en garde par des esprits affûtés : je pense notamment aux Gouverneurs honoraires de la Banque de France :Jacques de Larosière et Jean-Claude Trichet ou à l’économiste estimé Philippe Aghion.

En tant qu’économiste indépendant, je vais donc offrir aux lectrices et lecteurs un point massif d’ancrage de ma préoccupation. Tout simplement en rapportant l’analyse récente du HFCP (Haut Conseil des Finances Publiques ) dont la pondération se conjugue avec la remarquable insertion dans le paysage institutionnel de notre pays. Ce dernier pourra remercier, le moment venu, Monsieur Didier Migaud.

HCFP : 15 Avril 2024

En date du 15 Avril 2024, l’Avis n° HCFP-2024-1 « relatif au projet de loi relative aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes 2023 »  indique que le déficit des administrations publiques «  se creuse » de 28,2 Md€ et de 0,7 point de PIB et se trouve éloigné des prévisions des PLF 2023 et 2024.

Rappelons que la Loi du 18 Décembre 2023 de programmation des Finances publiques 2023-2027 estimait le déficit à 4,9 points de PIB contre les 5,5 points constatés !

« Le Haut Conseil constate par le présent avis que les circonstances exceptionnelles identifiées en 2020 ne sont plus réunies et ne doivent pas être prises en compte dans l’examen du présent projet de loi ».

Autrement dit la culture de la justification permanente, de « c’est la faute à ceci ou cela » ne fonctionne plus. La réalité est que la situation budgétaire n’est pas maîtrisée.

Expliquer que le manque de recettes est notre souci premier ( et non la dynamique haussière continue des dépenses publiques ) est une «  carabistouille «  pour utiliser une expression de l’auteur illustre, le président de la République en personne, de cette regrettable inversion de causalité. Cette personnalité a le potentiel cognitif requis pour comprendre mais il feint de jauger l’ampleur des périls.

Comment gommer de son esprit que le déficit public de 173 Mds est le double de la recette issue du produit net de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.

Sur-estimation de la croissance !

La sur-estimation de la croissance au sein des prévisions du Gouvernement pourrait n’être qu’une erreur. En fait c’est une faute comme l’a démontré le rapporteur Husson (Sénat).

J’ai écrit à plusieurs reprises que l’épargne des Français était une sorte de caution pour nos créanciers et je remémore ici les conditions de l’emprunt obligatoire (je dis bien : obligatoire et non obligataire ) de 1983 que l’application du programme audacieux de 1981 avait requis.

Faute d’assumer un choc fiscal habile car point trop contracyclique, nous allons vers une spoliation hautement réaliste des épargnants précisément décidée par des acteurs de la désormais fameuse dérive de 1.000 milliards.

C’est le formidable débat sur la taxation de la rente instillée par le Premier ministre Attal sans toutefois oser – avant le scrutin européen du 9 Juin 2024 – définir les contours de ce vocable. Chacun sent bien, qu’en matière financière et fiscale, il va y avoir un avant et un après 9 Juin.

Le contribuable averti se souvient que les assujettis à l’ISF ont dû payer deux fois sur l’exercice 2012 consécutivement à l’instauration d’une contribution exceptionnelle.

L’État est assez habile en communication. Il peut dire qu’il n’augmente pas les impôts mais jouer à la doublette de 2012 !

Les statu quo des deux Agences ( Moody’s et Fitch ) ont été obtenus par la mise sur le billot de l’épargne française. Pour porter haut le métier, S&P a opté pour une lecture plus rigoureuse de la trop fameuse « trajectoire des Finances publiques ». 

HCFP : 16 Avril 2024

L’Avis n° HCFP-2024-2 « relatif aux prévisions macroéconomiques associées au Programme de stabilité pour les années 2024 à 2027 «  est un texte important qui balaye les discours lénifiants que le citoyen doit parfois subir.

Le HCFP n’est pas bridé par un formalisme excessif mais tient à pouvoir disposer du temps requis afin d’accomplir avec sérieux et sérénité ses travaux.

Le premier paragraphe de l’Avis du 16 Avril est net : «  Le Haut Conseil a été saisi en trois temps, du 9 au 11 Avril 2024, sur les prévisions associées au Programme de stabilité. Il regrette que la saisine du Gouvernement ait été tardive, incomplète et qu’elle ne permette pas d’éclairer précisément les choix faits alors que les Finances publiques de la France présentent une situation préoccupante ».

Un travail bâclé ?

Certains viseraient un désordre administratif et une surcharge de travail des équipes valeureuses qui ont pour mission de tenir les rênes de nos Finances publiques. En fait, il semble régner un parfum de panique au rang ministérel où l’insouciance se conjugue avec une forme d’incompétence que des analystes étrangers sont dans l’obligation de souligner.

Un pacte intellectuel à censurer ?

Quand les agences de notation s’attellent au dossier brûlant de la dette de Paris( 2 Mds du temps de Bertrand Delanoë, 9 Mdsdu temps de l’actuelle mandature de Anne Hidalgo ), elles maintiennent leur notation en posant un considérant essentiel : le fort potentiel fiscal des contribuables parisiens.

En clair, le raisonnement des deux primo-notations consiste à dire que «  tout va bien «  puisque la future pression fiscale autorisera le trop-plein dépensier de notre État.

Ce raisonnement aussi vicié que vicieux a été appliqué à la France de Bruno Le Maire vainqueur d’un jour là où la nation subit une perte de chance de redevenir vertueuse. Ce soir S&P récuse ce pacte intellectuel malsain et reste dans les clous. Autrement dit, sa puissance analytique est établie.

Le déficit et la dette :

« Dans son Avis de Septembre 2023 sur le projet de programmation des Finances publiques 2023-2027, le Haut Conseil estimait que le scénario de croissance du Gouvernement était « optimiste » et que la trajectoire de Finances publiques était peu ambitieuse au regard des engagements européens de la France, alors même qu’elle supposait d’importantes économies structurelles qui resteraient à préciser ». 

« La nouvelle trajectoire de Finances publiques présentée dans ce Programme de stabilité est nettement plus dégradée que dans la LPFP. …/… La France tarde ainsi à réduire son ratio de dette sur PIB et resterait durablement parmi les trois pays les plus endettés de la zone euro ».

« Le Haut Conseil considère que cette prévision manque de crédibilité …/… manque également de cohérence ». 

Les annonces trompeuses de l’Exécutif :

Pour le Gouvernement, tout est clair le déficit public exprimé en pourcentage du PIB sera de -5,1 en 2025, de -4,1 en 2025, de -3,6 en 2026 et de – 2,7 en 2027.

Ces chiffres ne sont pas crédibles.

Renaud Honoré, spécialiste des questions budgétaires aux Échos conclut à l’unisson et souligne la difficulté profonde du redressement de nos finances publiques.

Pire, la Commission de Bruxelles anticipe un déficit de 5% en 2025 et une dette évaluée à 113,8% du PIB.

Cela fait beaucoup d’institutions qui soulignent leurs divergences avec le ministre de l’Économie.

Dans le programme de stabilité examinée avec minutie par le HCFP, la dette ressort à 113,1% du PIB en 2025 et à 112% en 2027 : année où la charge de ladite dette atteindra plus de 70 Mds d’€uros.

Clairement, le locataire de Bercy tient des propos éloignés du Réel et toujours marqués du sceau et du ton péremptoire qui a le don d’exaspérer celles et ceux qui lisent ses résultats.

Phrase du jour de BLM : « nous avons sauvé l’économie française ».

L’affirmer ainsi revient à nous prendre pour des sots.

En conclusion, qui de plus crédible que Jean Cocteau pour achever mes lignes :« Les miroirs feraient mieux de réfléchir avant de nous renvoyer notre image ».  

S&P a réfléchi.C’est manifeste. Nous verrons le spread entre la France et l’Allemagne dès cette semaine. Sujet-clef pour la stabilité de la zone €uro.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !