Défense : les ballons chinois inquiètent les Occidentaux mais la botte secrète des Chinois est ailleurs (et elle appuie méchamment sur notre talon d’Achille)<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue du ballon chinois repéré au-dessus des Etats-Unis.
Une vue du ballon chinois repéré au-dessus des Etats-Unis.
©Chase DOAK / CHASE DOAK / AFP - AFP

OTAN

Si le PIB était le seul indicateur permettant de se faire une idée de la puissance militaire alors la Russie aurait écrasé l'Ukraine depuis longtemps. A innovation technologique similaire, la clé en cas de conflit réside dans la capacité à mobiliser un appareil de production industriel.

Vincent Bru

Vincent Bru

Vincent Bru, Député MoDem des Pyrénées-Atlantiques

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Atlantico : Votre mission flash sur les munitions en France souligne un état critique de la situation. En quoi est-ce si critique ?

Vincent Bru : Nous payons aujourd’hui les dividendes de la fin de la guerre froide. La politique de la France était alors de faire des stocks importants, mais la chute du mur de Berlin et le passage à une armée de métier en 1996 ont changé la donne. Ensuite la RGPP puis la crise de 2008 ont entraîné une réduction drastique du budget de l’armée et donc des stocks de munitions. Cela a été la variable d’ajustement du budget des armées depuis cette période. Il faut néanmoins dire que la loi de programmation militaire actuelle a commencé à redresser la situation, comme on l’a vu dans les budgets 2022 et 2023. Cela a inversé la tendance, et augmenté les stocks, mais de manière insuffisante. La guerre en Ukraine et la nécessité de fournir des armes ainsi que le retour de la guerre en Europe ont enclenché une réflexion sur les stocks en Europe et dans les pays de l’OTAN.

Il est important de clarifier que l’idée qui veut que, au vu des munitions consommées par l’Ukraine et la Russie par jour depuis un an, la France serait démunie rapidement en cas de situation similaire, est une idée fausse. La comparaison quantitative n’a pas beaucoup de sens. Si la France intervenait, elle ne procéderait pas aux tirs de la même façon. Et la France est une puissance nucléaire, membre de l’OTAN et de l’Union européenne. Donc comparaison n’est pas raison. Cela étant, nos stocks de munitions sont effectivement insuffisants et nous devons les reconstruire.

Comment s'atteler à cette tâche ?

Il faut d’une part agir sur le panorama complet de munitions, ce qu’on appelle le panachage. Il faut faire autant nos stocks de munitions simples et peu coûteuses que nos stocks de munitions complexes, de haute technologie et onéreuses. Le choix ne doit pas avoir lieu. Il faut une complémentarité entre le haut et le bas du spectre. Cela ne veut pas dire qu’il faut reconstituer nos stocks comme au temps de la guerre froide. Il faut faire des stocks pour parer aux menaces urgentes en cas de conflit, assurer les premiers temps d’une guerre. Ça n’aurait pas de sens de faire des stocks pour une guerre de cinq ans. C’est pour cela qu’à côté des stocks, il faut continuer notre politique de flux. Cela signifie que la base industrielle technologique de défense (BITD) fabrique les munitions et puissent en fabriquer davantage en période de conflit de haute intensité ou de risque accru.

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Notre production industrielle et notre tissu industriel au sens large sont suffisants pour assumer la production requise par un conflit de haute intensité quand on voit, par exemple, la force de la Chine en la matière ?

Ce qu’il faut, c’est la mise en place d’une économie de guerre. Le président de la République en a d’ailleurs parlé. Cela nécessite que les industriels puissent augmenter la quantité de production et surtout les cadences. Pour cela, il faut des pré-stocks de matériaux nécessaires. Se posent actuellement des problèmes de composants électriques. Nous sommes trop dépendants de l’Asie et notamment de Taïwan et la Chine sur ces questions. Il faut donc une production européenne. Les Etats-Unis ont mis en place une stratégie afin de concurrencer l’Asie, nous devons faire de même. Pour les munitions, l’acier, le plomb et les sels de plombs sont primordiaux. Ces matériaux sont soumis aux normes Reach de 2007 qui sont assez contraignantes et augmentent les délais de production ainsi que les coûts. Nous pensons qu’il faut aussi assouplir les normes appliquées par la Direction générale de l’Armement, qui sont souvent plus complexes que celles de l’OTAN (ce qui ne nous empêche pas de demander des missiles aux Américains). Nous pensons qu’en cas de guerre, il faut pouvoir abaisser le niveau des normes y compris écologique, car nécessité fait loi. Enfin, il y a le problème du personnel. Les entreprises ont souvent une activité civile et une activité militaire. Les industriels nous ont indiqué qu’il était possible que les personnels affectés au civil pourraient être réorientés vers la production militaire. Ils nous ont aussi assuré pouvoir augmenter les cadences si besoin. Et certains ont proposé de mobiliser une réserve industrielle : rappeler des jeunes retraités qui pourraient utilement revenir pour encadrer les plus jeunes et faire profiter de leur savoir-faire. Je pense aussi qu’il faut que la réserve opérationnelle puisse venir renforcer non seulement les troupes armées mais aussi la production industrielle. Les industriels ont fait valoir qu’ils étaient prêts mais regrettaient le manque de régularité des commandes de l’Etat. Nous proposons donc en effet de veiller à des commandes régulières permettant une visibilité pour les industriels. Nous pensons aussi qu’il faut utiliser des munitions réelles dans l'entraînement de nos armées. C’est très peu fait dans la Marine car cela coûte cher, mais les simulations ont des limites. Nous pourrions utiliser les munitions en fin de parcours plutôt que de les démanteler. Des exercices comme l’opération Polaris, interarmées, sont aussi à développer. Elles sont très instructives et permettent, pour reprendre les mots du Général Burkhard, de « gagner la guerre avant la guerre ». ll faut aussi assurer le maintien opérationnel de nos missiles.

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 L’augmentation de cadence que pourraient offrir les industriels est-elle suffisante ?

Je pense que oui. La Base industrielle et technologie de défense française est constituée de sociétés énormes : Nexter, MBDA, Naval group, Aresia, Eureka, Lacroix, etc. Et si aujourd’hui ces grands groupes exportent beaucoup, en cas de nécessité, ils réorienteraient vers la France. Nous n’avons pas senti, lors de nos auditions, une crainte sur l’accélération de la cadence. Les craintes se concentrent sur les normes, la préservation des filières et l’accès aux composants avec la constitution de pré-stocks.

Notre industrie est-elle suffisamment diversifiée pour produire tout ce dont nous avons besoin ?

Oui, pour l’essentiel. Et nous pouvons aussi compter sur le soutien de l’OTAN. Mais nous avons de grands groupes industriels, ainsi qu’une flopée de PME dotées d’un vrai savoir-faire. Notre BITD peut répondre aux besoins de montée en puissance si on lui en donne les moyens.

L’exception à cela, ce sont les munitions de petit calibre. Nous n’avons plus de souveraineté en la matière depuis 2018 (avec la vente de Manurhin). Jusqu’à présent nous n’avions pas de mal à nous approvisionner ailleurs mais avec la guerre en Ukraine, la République Tchèque, un fournisseur important, a commencé à privilégier le stockage plutôt que l’export. La proposition de mon co-rapporteur est de recréer une filière française qui pourrait approvisionner autant les armées que les forces de l’ordre ou les sociétés de sécurité privées. Mais le projet est loin d’être abouti et risquerait de coûter cher. Une option alternative serait de s’allier avec la Belgique qui souhaite aussi produire des munitions de petit calibre.

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Par ailleurs, nous avons manqué le virage des drones, mais nous pouvons compenser avec les munitions téléopérées. Elles sont moins chères, discrètes et opérationnelles. Il faut que nous produisions ces munitions à échelle française ou européenne.

Le secrétaire général de l’OTAN a alerté sur le risque de tomber à court de munitions pour soutenir l’Ukraine. Le problème est-il donc profondément européen, voire Occidental ?

Nous sommes tous dans la même situation, à des degrés moindre. Les Etats-Unis ont évidemment un budget considérable et produisent beaucoup. En Europe, il y a des situations contrastées. L’Allemagne réarme, la Pologne produit beaucoup d’armes et de munitions, mais l’expression d’inquiétude du secrétaire général de l’OTAN est fondée. Nous devons rentrer dans une période de réarmement et de reprise de production. 

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