Dédiabolisation : pourquoi l’élection de Marion Maréchal-Le Pen en PACA ne produirait pas les mêmes lendemains que celle de Marine Le Pen en Nord-Pas-de-Calais-Picardie<!-- --> | Atlantico.fr
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Marine Le Pen et sa nièce Marion Maréchal-Le Pen.
Marine Le Pen et sa nièce Marion Maréchal-Le Pen.
©Reuters

"Diable ça veut dire double"

Si l'on en croit les derniers sondages, Marine et Marion Maréchal Le Pen, les deux têtes d'affiche actuelles du Front National, ont toutes les deux de grandes chances d'être élues aux prochaines élections régionales. Mais la ressemblance s'arrête là. En cas d'élection, la stratégie de diabolisation pourrait être très efficace pour l'une, et très peu pour l'autre.

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet

Jean-Philippe Moinet, ancien Président de l’Observatoire de l’extrémisme, est chroniqueur, directeur de la Revue Civique et initiateur de l’Observatoire de la démocratie (avec l’institut Viavoice) et, depuis début 2020, président de l’institut Marc Sangnier (think tank sur les enjeux de la démocratie). Son compte Twitter : @JP_Moinet.

 

 

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Atlantico : La diabolisation actuelle du FN, accentuée par le contexte électorale, n'est-elle pas un risque à l'avenir si Marion Maréchal et Marine Le Pen étaient élues ?

Jean-Philippe Moinet :Le mot « diabolisation », est d’abord né dans les discours du FN, il y a plus de 20 ans. Le but était de tenter de disqualifier les opposants farouches – plus ou moins efficaces ou non, c’est une autre question et qui méritent d’être évoquées aussi - pour tenter de réduire au silence tous ceux qui évoquent les réalités historiques, sémantiques, comportementales et idéologiques du FN, qui est le premier mouvement d’extrême-droite d’Europe. Même si certains, au sein de la droite républicaine notamment, apprécieraient qu’on gomme toute aspérité, qu’on nomme autrement le parti lépéniste.

Mais on voit bien la tentative de manipulation: faire croire que le parti lépéniste est finalement « un parti comme les autres », c’est un objectif stratégique de banalisation qui convient trés bien, je peux vous le certifier, à Marine Le Pen et Marion Maréchal-Le Pen, qui cherchent toutes les deux à emporter « leur » région grâce à cette banalisation avancée, régions Nord et Sud, où elles ont d’ailleurs toutes les deux été parachutées il y a quelques années, précisément pour apporter une vitrine féminine, et présentable, au parti de Jean-Marie Le Pen qui lui n’a changé ni d’étiquette, ni de fonds de commerce électoral. Je pense, et ne suis pas seul, que c’est cette banalisation qui est aujourd’hui un risque pour l’avenir, de ces régions d’abord, mais aussi pour les familles politiques de droite et du centre, qui peuvent se faire totalement dépasser par les événements (électoraux et politiques) si elles ne prennent pas très grande garde à établir et même à renforcer une distinction fondamentale, idéologique et comportementale notamment, avec le parti lepéniste. C’est même l’enjeu des batailles du second tour de ces régionales, qui sont déjà engagées.

Ne peut-on pas affirmer que l'élection de Marine Le Pen dans le Nord Pas de Calais ferait plus de mal à la stratégie de dédiabolisation que celle de Marion Maréchal Le Pen en PACA ? Pourquoi ? 

Je ne sais pas s’il s’agit de « dérapage », mais Marion Maréchal-LePen a une stratégie en PACA du « ratisser trés large », y compris à l’extrême droite de l’extrême droite : elle a enrôlé par exemple, sur ses listes, un représentant du « bloc identitaire » et racialiste qui, il n’y a pas si longtemps, a été condamné par le Tribunal de Grande Instance de Nice pour incitation à la haine raciale et 10 000 euros d’amende. Cet homme, qui a aujourd’hui 35 ans, est pour la nièce de Marine Le Pen un militant examplaire, elle a osé l’affirmé sans problème sur une chaîne nationale télévisée. Cet homme considère que les « dérapages » antérieurs de Jean-Marie Le Pen, sur le modèle Pétain et « le point de détail de la Seconde Guarre mondiale » - l’extermination des juifs par les nazis – oui, lui qui a aussi parlé sur son site de « la reconquête identitaire amorcée aux 4 coins de l’Europe », cet homme adoubé par Marion Maréchal-Le Pen estime que les dérapages lépénistes sont dans la culture politique de cette mouvance et que c’est une manière de « prendre cette région ».

Quant à Marine Le Pen au Nord, elle fait en effet plus attention mais elle est prise dans une contradiction forte, même si elle surfe, comme tous les candidats FN, sur les peurs (légitimes) liées aux menaces terroristes qui ont frappé Paris le 13 novembre. Cette contradiction est celle de prétendre à une « normalisation » du programme et des intentions du FN, et de continuer à racoler les peurs – ce qui passe comme un problème trés secondaire, pour beaucoup d’électeurs – et à faire de la démagogie clairement xénophobe en amplifiant son propos sur « l’immigration invasion », alors que toutes les réalités migratoires montrent, y compris récemment, qu’il y a un nombre limité de réfugiés et de migrants qui viennent en France. Marine Le Pen a aussi parlé, récemment dans le Nord, du problème de « l’immigration bactérienne » ! Sous prétexte de maladies contractés par des migrants, elle cherche manifestement à exploiter les peurs de toutes sortes, plutôt qu’à les relativiser, comme le ferait, sur ce sujet sanitaire en particulier, tout responsable public digne de ce nom. Mais Marine Le Pen doit faire entendre sa différence FN, et elle n’est pas loin, en éructant sur « l’immigration bactérienne », des dérapages de son père.

L'entourage de Marion Maréchal Le Pen est-il plus a même de rendre gagnante la stratégie de diabolisation du fait d'une plus grande susceptibilité de "dérapage" ?

C’est une illustration très représentative, en tout cas, des intentions provocatrices, assumées comme telles par la jeune Marion Maréchal-Le Pen, qui est entrain, dans le Sud, de dépasser sa tante au Nord : précisément sur le terrain d’une radicalité de moins en moins cachée. Marine Le Pen s’est d’ailleurs très clairement démarquée de sa nièce sur ce sujet de la suppression par le FN de toutes les aides (subventions) à cette structure du Planning familial, qui accompagne et soutient les femmes, sur les questions de contraception et d’IVG. La petite fille de Jean-Marie Le Pen, qui n’a pas voulu rompre avec le fondateur du FN et qui est très soutenue par les intégristes catholiques, s’est différenciée sur ce sujet. La Présidente du FN a tenu à « recadrer » ensuite. Mais le mal a été fait par sa nièce, et sans doute volontairement fait.

Dans l’entourage de Marion Maréchal-Le Pen, on susurre que l’étape des régionales est un véritable tremplin pour « la petite » : si elle prend la présidence de la région PACA bien sûr, ce serait un énorme coup d’éclat ; mais même si elle ne la prend pas, même si en face d’elle un bloc républicain s’avère plus puissant, électoralement, au second tour des régionales le 12 décembre, on lui dit en PACA que sa trajectoire est tracée.  Les stratèges de la députée du Vaucluse, la seule des deux de la famille à avoir déjà un pied à l’Assemblée Nationale, estiment qu’elle est bien plus claire et performante que la Présidente du FN elle-même. Et que la stratégie « mariniste », influencée par l’ex-chevénementiste Florian Philippot, du « lissage » systématique des propos et des postures, n’est pas forcément la meilleure. D’où ces prises de positions, les plus radicales, de Marion Maréchal-Le Pen. En matière d’extrémisme de droite, il y a d’ailleurs toujours une tendance, et c’est le danger actuel, à radicaliser toujours plus. Car en matière d’irrationnel, il n’a jamais de limites. Les derniers propos de la parachutée de Provence sur les musulmans, que Marion Maréchal-Le Pen s’attache avec délectation à prendre pour «un bloc» - comme les identitaires du même nom le font – propos qui oppose systématiquement les musulmans à la culture et à la posture de la « chrétienté », tout cela participe d’une stratégie très élaborée qui fonctionne, pour une partie de l’opinion en tout cas, surtout en ce moment. Cette partie de l’opinion trouve très « lisible » les clivages les plus grossiers, particulièrement bien sûr en cette période post-attentats, où les raccourcis les plus caricaturaux sont aussi les plus rapides !

Le dérapage de Marion Maréchal Le Pen sur le planning familial n'est-il pas symptomatique de ce plus grand risque de "dérapage" ?

Si Marine Le Pen est élus dans le Nord, bien sûr ce sera un tremplin pour sa carrière nationale, qui est bien plus importante à ses yeux que les dossiers de la région Nord-Picardie, dont elle se préoccupe peu, finalement. Jouera-t-elle pour autant la retenue en perspective de la présidentielle ? Sans doute continuera-t-elle à prétendre que la vitrine FN est présentable, et qu’il faut arrêter de la « diaboliser ». Ce sera une continuité. Sans doute trouvera-t-elle des alliés en ce domaine, du côté d’une partie de la droite libérale et républicaine, qui pense parfois sincèrement qu’il faut simplement s’en tenir à un débat projet contre projet, voire gestion contre gestion, ramenant la confrontation à des enjeux pratiques ou pragmatiques.

Qu'en est-il de la stratégie de diabolisation vis-à-vis de Marine Le Pen ? Si elle est élue ne "risque"-t-elle pas de jouer la retenue dans la perspective de 2017 et donc de faire échouer la stratégie de diabolisation et même de renforcer un certain engouement ?

Je pense, pour ma part, que la bataille engagée va être beaucoup plus rude que prévue, du fait de cette actualité «écrasante» des attentats et de la réelle menace terroriste qui pèse sur la France mais aussi sur d’autres cibles potentielles en Europe. L’extrême droite doit être désormais dénoncée aussi, non seulement sur son projet pour les régions – dont se contrefiche une partie de son électorat – mais à la fois pour le cynisme de son racolage des peurs, par l’amplification des réflexes primaires que ce parti recherche à l’évidence, et par l’idéologie que ce parti, quoiqu’on en ait dit ces dernières années, continue de colporter avec cynisme absolu: avec de moins en moins de retenue, d’ailleurs, sur certains sujets. En cela, on voit à la fois que le FN a de beaux jours électoraux devant lui mais aussi que les Français, dans leur attachement profond à la République, à ses principes – ou l’Egalité et Fraternité sont piliers – attachement lui-même renforcé par les attentats du 13 novembre, n’ont certainement pas dit, au Sud comme au Nord, leur dernier mot. La campagne de l’entre-deux-tours sera particulièrement mouvementée, et intéressante, de ce point de vue et sur ce thème.

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