Début de la fin pour les Abenomics? Ce qu’il faut comprendre de la chute des marchés japonais <!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier ministre japonais Shinzo Abe a adopté un tournant dans sa politique monétaire, qui consiste à injecter un maximum de monnaie dans l'économie pour abaisser le yen par rapport aux autres monnaies.
Le Premier ministre japonais Shinzo Abe a adopté un tournant dans sa politique monétaire, qui consiste à injecter un maximum de monnaie dans l'économie pour abaisser le yen par rapport aux autres monnaies.
©Reuters

Hara-kiri

La place boursière japonaise a perdu 7,3% en une seule journée la semaine dernière et a de nouveau connu une baisse brutale de 5,15% ce jeudi. Et pourtant, il n'y a rien d'étonnant dans tout cela.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Depuis l'arrivée de Shinzo Abe au pouvoir en décembre 2012, le Japon a adopté un tournant dans sa politique monétaire. Celle-ci, devenue accommodante, consiste à injecter un maximum de monnaie dans l'économie pour abaisser le yen par rapport aux autres monnaies, et ainsi relancer l'économie japonaise et lutter contre la déflation (la baisse des prix, ndlr). Cette politique surnommée "Abenomics" a dans le même temps provoqué une véritable envolée du Nikkei, la place boursière japonaise en six mois. Mais après une chute de 7,3% en une seule journée la semaine dernière, elle a de nouveau connu une baisse brutale de 5,15% ce jeudi.

Atlantico : Pourquoi cette double "chute" des marchés japonais n’a rien d’étonnant ?

Mathieu Mucherie : Quand on gagne 72% en moins de 8 mois, un repli de 10% n’est pas un repli : c’est une prise de bénéfices. Si vous gagnez une Ferrari et qu’on vous retire le GPS, ça reste sympa. En l’occurrence, les Japonais étaient partis d’une Ferrari (Nikkei à 39 000 points fin 1989) pour arriver en octobre 2012 à une Twingo sans options avec des pneus crevés, du fait de la terreur monétaire. Il fallait bien un peu de détente monétaire pour ne pas finir en vélib’ (ils sont shintoïstes, pas delanoïstes).

Cette focalisation sur le marché (minuscule) des actions est bien entendu infondée. Ce qui compte, c’est l’obligataire et le FX (marchés des changes), les vrais marchés. Comme au Japon, les taux remontent (en gros, ils passent de 0,5% à 0,9% sur le 10 ans) et comme le Yen baisse fortement (face au dollar on passe de 81 à 102), on peut parler de chute des marchés, sauf que cette baisse est très voulue : l’objectif d’une détente monétaire consiste à faire remonter les anticipations d’inflation pour briser la spirale de déflation (ça commence à prendre, mais il faudra faire plus que le doublement de la base monétaire), ce qui revient à accepter des taux plus hauts contrebalancés par une plus forte croissance du PIB nominal, et à dévaluer (et il reste beaucoup de terrain à reprendre : on est à 102 mais j’ai connu du 140 il n’y a pas si longtemps, et on moyennait à 250 il y a 30 ans, même s'il s'agit d'une parité nominale alors qu'il faudrait raisonner en termes réels…), là aussi pour sortir de l’ornière.

A ce jour, des pas ont été faits dans la bonne direction (briser l’indépendance des gens de la BoJ, leur fixer un objectif à atteindre) mais désormais il va falloir de la constance (ce qui, comme le suggère en creux le graphique plus haut, n’est pas vraiment la caractéristique principale des politiques publiques menées au Japon depuis 30 ans). 

Une politique monétaire expansionniste, comme "Abenomics", peut-elle être exhaustivement productive (c'est à dire pour redresser durablement une économie) sans réformes structurelles ?

Je ne connais pas un seul pays et une seule période où la formule chamanique « il faut faire des réformes structurelles » ne s’appliquerait pas. Quelque chose qui est vrai tout le temps et partout sans discrimination ne présente aucun intérêt. Ce n’est pas parce que les gens qui en parlent le font avec gravité et un faux air d’orthodoxie que la formule devient pertinente. Bien entendu il faudrait un marché plus concurrentiel, plus ouvert et plus libre sur les marchés des biens et du travail au Japon : moins de protectionnisme agricole, moins de dualisme PME / grands groupes, plus de travail des femmes (au Japon elles se la coulent douce : pas d’enfants, pas d’activité). Oui tout cela est vrai, mais on peut dire ça d’à peu près tous les pays, et oui, mais on pouvait dire ça du Japon d’il y a 5 ou 25 ans.

Ce n’est pas l’urgence, et ce n’est pas le fond du sujet. La croissance nippone n’est pas passée subitement de 4% par an à 1% par an au début des années 1990 parce que la démographie aurait commencé à impacter négativement ou parce que soudainement il aurait été plus difficile d’ouvrir un business. En réalité, la politique monétaire n’a pas compensé une grave chute de l’immobilier puis elle a saboté toutes les tentatives de relance (taux plus hauts que la croissance nominale, Yen trop cher). Cela me rappel d'ailleurs le discours de la Bundesbank (la banque centrale allemande, ndlr) qui étouffe monétairement les PIGS (le Portugal, l'Italie, la Grèce et l'Espagne, ndlr) après une bulle immobilière (taux plus hauts que la croissance nominale, euro trop cher) tout en se donnant bonne conscience (et une image usurpée d’orthodoxie) via le discours sur la nécessité des réformes structurelles, vous comprenez ma bonne dame. Aller expliquer la libéralisation du marché du travail aux Irlandais, il faut le faire mais passons.

Au Japon, il fallait une détente monétaire, condition nécessaire et quasiment suffisante pour une reprise (je dis « quasiment », car un peu d’aide budgétaire est rarement de refus : s’ils font passer la TVA de 5% à 10% en deux ans comme prévu, une bonne partie de l’impulsion monétaire sera annulée). Les réformes structurelles c’est la cerise sur le gâteau, ce serait très bien (pour attirer à nouveau les investisseurs non résidents, pour mettre les femmes au boulot, pour supprimer des rentes de monopole qui sont autant de foyers d’injustices) mais ce n’est pas le sujet. Les Japonais savent très bien produire, inutile de stimuler leurs capacités d’offre : le problème vient de la demande macro, pas des réformes microéconomiques.

Abenomics, sans être couplée à une politique de réforme structurelle, a-t-elle surtout créé de la volatilité et de la nervosité sur les marchés ? Quelle conséquences pour l'économie réelle ?

La volatilité est logique dans ce contexte, nous l’avons déjà dit. La volatilité est un sous-produit des anticipations de l’inflation, quand on change leur régime (dans les deux sens) on bouleverse les classes d’actifs, il faut tout recalculer tout en se demandant si c’est durable, si c’est crédible, si c’est auto-réalisateur, etc. Ce n’est pas très grave un surcroît de volatilité : pas de rendement sans volatilité, c’est la base. Et puis il faut bien que les intermédiaires nourrissent leurs bambins. Ce qui est grave c’est de tirer des conclusions macroéconomiques d’ensemble à partir de deux séances à la bourse de Tokyo, après des mois de rally haussier, ça c’est grave intellectuellement. Il y a toujours de l’overshooting sur les marchés dans de tels contextes, avec des conséquences très faibles sur ce que l’on appelle improprement l’économie réelle (vouloir dissocier économie réelle et économie financière est un effort réactionnaire au sens premier du terme, mais passons) du moins tant que le banquier central est là pour donner une réassurance aux marchés, comme la Fed en octobre 1987.

Pour ma part, je vais me mouiller : je pense que la hausse du Nikkei est durable, si la BoJ ne fait pas machine arrière, c'est-à-dire si Abe n’est pas viré, si son parti ne monte pas trop vite la TVA, etc. Je crois toutefois (toujours sous ses hypothèses) plus à la baisse du Yen qu’à la hausse du Nikkei, mais on peut très bien jouer les deux en mixant. Ce double mouvement haussier ne fera que du bien à l’économie japonaise et à l’économie mondiale, et il ferait même un bien particulièrement appréciable en zone euro si nous tirions de cette expérience la principale leçon (qui est la même que celle de Roosevelt ou de De Gaulle en leur temps) : mettre à la retraite les banquiers centraux déflationnistes, et dévaluer, ce qui facilite ensuite bien des choses comme par exemple le financement et l’acceptation des réformes structurelles.

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