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Cuba des frères Castro : entre réformes, ouverture et effet d'annonce...
Cuba des frères Castro : entre réformes, ouverture et effet d'annonce...
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Vent de réformes sur l'île

Pour la première fois depuis plus de 50 ans, les Cubains vont être autorisés à voyager à l'étranger. Une mesure révolutionnaire parmi les 313 réformes économiques et sociales révélées ce lundi et adoptées par le congrès du Parti communiste cubain, le mois dernier. Pierre Rigoulot, historien et spécialiste du communisme, décrypte pour Atlantico, la réelle portée de ce nouveau geste d'ouverture.

Pierre Rigoulot

Pierre Rigoulot

Pierre Rigoulot est historien et directeur de l'Institut d'histoire sociale

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Atlantico : Où en est-on de l’ouverture à Cuba, après l'annonce faite ce lundi par le pouvoir cubain de nouvelles réformes économiques et sociales ? 

Pierre Rigoulot : Une grande partie des réformes rendues publiques ce lundi, dont la suppression de quelque 500 000 fonctionnaires, avait déjà été annoncée depuis de nombreux mois. On peut toujours le répéter. Cela ne dément pas les efforts éventuels engagés pour libéraliser l’économie. Mais cela n’est pas une nouveauté factuelle. C’est une répétition verbale.

Selon des chiffres parus dans la presse, il y avait avant les mesures annoncées en septembre dernier, 150 000 personnes qui travaillaient dans le secteur privé, et depuis le chiffre a doublé. Ce n’est pas rien mais on reste loin des objectifs annoncés. Je ne dis pas que cela ne va pas se faire, mais je remarque qu’il y a une part de réalité et une part d’annonce. J’ai été également très surpris que les ventes de voitures allaient être autorisées alors que le gouvernement admet que les entreprises nationales ne sont plus en mesure de fournir des voitures neuves au peuple cubain. Les voitures dans Cuba castriste n’ont pourtant jamais été neuves : je n’ai rien vu d’autre, lorsque je suis allé à Cuba, que de vieilles voitures américaines ou russes.

S’agit-il également d’un coup de com’, d’un message de propagande ?

Oui, mais ces décisions portent également une signification politique interne au parti communiste cubain. Si Raul Castro a été élu avec cette vision, cette conception d’une économie plus libéralisée, c’est une façon de rechercher le soutien de la population en lui disant que son niveau de vie est sa préoccupation majeure. C’est aussi une façon de s’adresser aux adversaires les plus idéologiques au sein du parti pour qui le niveau de vie de la population compte moins que les objectifs de la révolution socialiste. Il s’agit en réalité d’une véritable passe d’armes entre Raul Castro et certains éléments qui ne souhaitent pas voir évoluer les choses. Mais je ne crois pas que la situation évoluera fondamentalement tant que Fidel Castro sera là parce qu’il est le garant d’une certaine orthodoxie. Lui même a au fond donné l’exemple dans les années 90 après la chute de l’URSS : il y a eu une ouverture lors de cette “période spéciale” en temps de paix qui correspondait à une adaptation pour la survie. Mais cela ne signifiait en rien la renonciation au marxisme-léninisme et au pouvoir sans partage du parti communiste. Raul Castro peut dire, lui aussi, qu’il s’agit de s’adapter à une situation extrêmement mauvaise sans pour autant oublier naturellement les objectifs de la Révolution qui demeurent la collectivisation complète, le communisme, etc.

Existe-t-il certains secteurs que le pouvoir cubain refuse encore de réformer ?

Oui, mais même dans le domaine économique, les entreprises fonctionnent encore de manière orthodoxe. Dans quelle mesure le parti a-t-il abandonné son pouvoir de contrôle, et au fond quelles sont les véritables marges de manoeuvres de chaque entreprise ? Jusqu’ici aucune. Dans les années 60, des économistes – Otta Sik, Liebermann - proposaient pour certains pays d’Europe centrale comme la Tchécoslovaquie, un début de réforme libérale pour améliorer la production. Il ne s’agissait pas pour autant de lâcher prise sur le plan politique. Sur la question des droits de l’homme et de la démocratie, c’est à dire finalement sur la question du multiipartisme, le pouvoir cubain ne lâche rien. Même un certain nombre de mesures destinées à la population plus qu’à la réforme du système, comme l’annonce des autorisations de voyage laissent sceptiques - le gouvernement ne fait qu’ "étudier la question" ! Et puis, qui va financer les voyages : dans un pays où l’on gagne en moyenne 20 dollars par mois, il n’est pas question de faire des économie pour s’acheter un billet pour aller en Europe ou aux Etats-Unis. Cela ne sera possible que si des Européens ou des Américains leur paient le voyage.

Ces mesures ne sont-elles donc que des réformes théoriques sans application pratique possible ?

Une minorité d’Américains sera très contente de voir leur famille ; ils paieront de la même façon qu’ils envoient depuis des années des chèques et des mandats à leurs familles, ce qui d’ailleurs n’est pas sans susciter des problèmes sociaux. Vous avez des familles qui ont des proches aux Etats-Unis qui vivent relativement bien : parce que qu’est ce que 20 dollars pour les Américains et les Européens ? C’est une somme importante en revanche pour les Cubains.

Ces mesures reflètent-elles une réelle demande populaire ou s’agit-il simplement d’une stratégie politique ?

Il existe une véritable demande de la population parce que les conditions économiques se sont progressivement dégradées, notamment dans 3 domaines : les transports, l’alimentaire et le logement. Les conditions de vie sont vraiment très difficiles, il y a donc une demande d’autre chose. Cela, Raul Castro et la direction du parti l’ont bien compris, c’est pourquoi ils envisagent un certain nombre de mesures, mais le fait de les envisager, c’est probablement autant une façon de se démarquer d’autres dirigeants politiques qui n’ont pas ce souci là que de réellement réaliser ce qui ne me semble malheureusement pour eux pas être à leur portée. Je ne vois pas très bien comment le régime cubain peut espérer mettre en place les mesures qu’il annonce et comment la population pourra en bénéficier. Effectivement, aujourd’hui, tout le monde a le droit d’acheter un ordinateur ou aura le droit d’acheter une voiture, mais qui pourra réellement le faire ? C’est une autre question !

N'est-il pas surprenant de voir Raul Castro, réputé pour son rigorisme et sa brutalité, initier cette ouverture ?

Nous avons à faire à un régime communiste et l’histoire montre que les hommes politiques de ce type de régime sont assez intelligents pour faire ce qu’il faut pour conserver le pouvoir, à l’image de Khrouchtchev qui a dirigé la répression contre Budapest en1956 et qui a pourtant fait avancer les réformes. De la même façon, Raul Castro, que l’on dit avoir été brutal lors de la Révolution et de la prise de pouvoir il y a plus de 50 ans et toujours inflexible depuis, semble se rendre compte aujourd’hui que des changements économiques ne seraient pas inutiles. Il fait de la realpolitik en somme.

Encore une fois, nous assistons à une situation un peu différente que lorsqu’il était le second de son frère Fidel, car Raul Castro doit désormais se battre pour se maintenir en place et conserver son pouvoir. Il a décidé seulement récemment de tenir le 6ème Congrès du Parti communiste cubain. L’événement - une sorte de grand messe apparemment unanime où tout le monde exprime des accord préalables  - a été annoncé, puis finalement repoussé, ce qui montre qu’il ne détient pas encore l’autorité suffisante pour imposer ses décisions et que pouvoir cubain n’est pas sans partage.

Aujourd’hui, Fidel Castro a-t-il encore la main sur les affaires cubaines et est-il à l’origine de cette ouverture ?

Même s’il suit de loin la politique de son frère, il donne certainement son aval mais pas plus. Fidel Castro sert de référent : c’est à qui sera le plus “fideliste” parmi les uns et les autres. Il garde le pouvoir symbolique. Tant qu’il sera là, il n’y aura pas de possibilités de profonds changements.

Quel est le rôle des Etats-Unis dans ce processus d'ouverture ? Et l’embargo américain en vigueur depuis 1962 est-il toujours aussi efficace ?

Je crois que l’embargo ne joue plus grand rôle : par exemple 80 %  de la nourriture consommée à Cuba vient des Etats-Unis, même s’il est vrai que les crédits, qui pourraient être utiles à l’économie cubaine, restent largement interdits. Mais j’imagine mal – même si tout est possible - les Américains revenir sur un embargo qui dure depuis des dizaines d’années et je ne suis pas sûr que sa suppression changerait d'ailleurs quelque chose à la situation. Si l’embargo était levé, les Américains se rendraient davantage sur l’île. Un touriste américain est pour l’instant obligé de passer par le Canada et le Mexique pour communiquer et commercer avec son voisin. Les Américains chercheront également à négocier et à investir dans l’île. On en revient au conflit interne qui agite le pouvoir communiste : les dirigeants cubains peuvent avoir légitimement la crainte de voir leur pays sous influence occidentale, ce qui pourrait finalement nuire au projet politique du parti. Si le pouvoir politique devait changer, les Etats-Unis mais aussi l’Europe occidentale et en particulier l’Espagne, se rapprocheraient de Cuba pour y investir à long terme, car le pays reste très abîmé, les infrastructures sont à remettre en route (transports, logements, etc.).

Quel avenir voyez-vous pour Cuba ? Beaucoup évoquent un rapprochement avec l’Amérique latine, dont le Venezuela.

Il y a à Cuba un nationalisme fort. Je ne crois pas que le régime veuille trop dépendre du Venezuela de Hugo Chavez par exemple. Les choses devraient bouger en revanche à la mort de Fidel Castro : une fois que le verrou symbolique sautera. Et cela peut aller très vite, comme en Union soviétique où dans les semaines qui ont suivi la mort de Staline, on commençait déjà à remettre en cause les procès prévus à l’endroit des médecins juifs et un peu plus tard on libérait une partie importante des prisonniers des camps. Les choses peuvent changer assez rapidement et à ce moment là, il y aura une politique habile à mener pour soutenir les réformes engagées dans le pays. Il ne faut pas oublier le fort sentiment national cubain, ne pas avoir l’air de leur donner des ordres et en même temps, mais  pas non plus leur donner complaisamment de l’argent sans retours et sans garanties.

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