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Comment la crise des subprimes 
a mis l'Europe 
à la merci de Wall Street
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40 ans pour en arriver là

Les rapports d’enquête diligentés aux États-Unis ont montré que la crise des subprimes ne relevait pas que l'aveuglement mais aussi de nombreuses fraudes dont un certain nombre d'opérateurs américains avaient parfaitement conscience... 4ème numéro de notre série en 5 volets sur les 40 ans qui ont permis à l'industrie de la finance de prendre le contrôle du monde réel.

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser

Jean-Luc Schaffhauser est ancien député européen apparenté RN.

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Pour lire la 1ère, la 2nde et 3ème partie de notre série sur les 40 ans qui ont permis à l'industrie de la finance de prendre le contrôle du monde réel, voir ces articles :

Derrière l'enjeu du triple A, la question lancinante de l'indépendance de la BCE !

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Comment l'industrie financière a réussi son OPA idéologique sur le reste de l'économie

La crise des subprimes est-elle vraiment un accident dû à la cécité des financiers américains ? Les rapports d’enquête diligentés aux États-Unis sur cette crise des subprimes laissent entrevoir une autre réalité. Selon ceux-ci, elle résulte aussi de fraudes massives, de mensonges et de tromperies sur les produits vendus.

Le FBI avait diligenté plusieurs milliers d’enquêtes sur ces prêts risqués avant la crise de 2007-2008. Des régulateurs s’étaient opposés à ces pratiques : ils ont été renvoyés et réduits au silence [1]Pour l’économiste américain James Galbraith, proche de l'aile gauche du parti démocrate, la crise des subprimes est la conséquence d’une entreprise de malfaçons financières, minutieusement conçue et organisée par les plus prestigieuses institutions financières dans ses diverses étapes de réalisation : fausses déclarations de revenus des emprunteurs par des rabatteurs de prêts formés à cette fin ; recel et blanchiment dans la fabrication scientifique du paquet d’emballage ou d’habillage, le CDO ; certification de qualité de la marchandise par les agences de notation ; et, enfin, diffusion mondiale sous les marques les plus prestigieuses, au-dessus de tout soupçon.

Dès septembre 2004, Chris Swecker, chef de la division criminelle du FBI, signalait : « une épidémie de fraudes sur le marché des prêts immobiliers qui, si elle n’était pas combattue, pourrait faire autant de dégâts que la crise des Caisses d’épargne, pendant les années 1980, qui avait coûté plus de 130 milliards aux contribuables américains ». Ce marché « attire des groupes criminels et des professionnels peu scrupuleux ». En 2006, un autre service d’enquêtes, le FINCEN (Office de répression des crimes financiers) du département du Trésor dénombrait 37 313 escroqueries. Pour 20 %, il s’agit de fausses déclarations (faux certificats, faux revenus) mais pour 80% de véritables circuits mafieux avec des officines de blanchiment d’argent. Mai 2004, plus courageux que d’autres, le chef de la gestion de Freddie Mac envoie un e-mail au PDG, Richard Syron, pour arrêter sur-le-champ le financement de prêts à des personnes sans revenus et aucune exigence d’actifs... le PDG ordonne qu’il soit licencié immédiatement (Tiré de Jean Montaldo, Lettre ouverte aux bandits de la finance).

Les comptes de Freddie Mac et ceux de Fannie Mae, les deux géants américains du refinancement de prêts immobiliers étaient pour leur part falsifiés. Poursuivis par l’organisme du contrôle du logement dès 2004, ils ont été condamnés mais d'une sanction relativement clémente au regard des enjeux.

Et bien entendu, il n’y avait aucune responsabilité dans l’après-vente : on s’en débarrassait, on touchait sa « com », et le risque était pour l’acheteur final ! Nos pauvres banques et assurances européennes ont fait les frais de ce système américain pensé par les plus renommées des institutions financières anglo-saxonnes… Et les vertueuses banques allemandes n'ont pas été les dernières à acheter ces produits toxiques maquillés en produits "sûrs" notés AAA grâce à la complaisances des agences de notation payées par ceux qu'elles notent. Dans l'esprit des banquiers allemands imprégnés de rigueur germanique, il n'était pas concevable que des jeunes loups de la finance installés au sein des firmes les plus prestigieuses de Wall Street créent délibérément des produits dont ils connaissaient la toxicité, voire, pire, dont ils misaient sur l'effondrement. Dans son livre Boomerang, le journaliste vedette américain Michael Lewis montrait il y a quelques mois comment les banquiers allemands furent jusqu'à la toute veille du déclenchement de la crise financière de 2008 les derniers à acheter ces produits inventés par les banques d'affaires ou les hedge funds américains.

Les institutions financières américaines n’en étaient pourtant pas à leur coup d’essai même si elles jouissent d’une remarquable impunité en raison de leur pouvoir de pénétration au cœur même des institutions de l’État fédéral américain[2]. Leurs responsables deviennent ministres, et passent de la finance à l’État, et de l’État à la finance. Ils font ainsi fortune dans la confusion des genres depuis les années 1980. Malgré ses discours sur la nécessité de changer la société américaine, Barack Obama s'est lui aussi entouré de conseillers issus de Wall Street, comme vient de le montrer le recrutement de son dernier directeur de cabinet il y a 10 jours. Chez nous, pareillement, grâce à la crise de 2008, les employés européens de ces prestigieuses institutions à l’origine pourtant de la propagation de la crise par la dérégulation ou la falsification de bilan, accèdent désormais aux plus hautes fonctions. Goldman Sachs s'est ainsi révélé un excellent pourvoyeur de hauts responsables politiques depuis un an, même s'il est important de souligner qu'aucune des personnalités concernées -qu'il s'agisse des premiers ministres grecs ou italiens ou de l'actuel président de la BCE- n'a été mise en cause à titre individuel dans les fraudes liées à la création de produits toxiques. 

Au-delà de l'intention politique généreuse affichée -permettre aux plus pauvres d'accéder à la propriété, les subprimes avaient été développées au sein des grandes banques américaines de manière consciente et délibérée afin de réaliser des profits à court terme. Avec le recul, il apparaît clairement que les profits de long terme étaient également au rendez-vous...

En effet, confrontées à la crise des subprimes, les banques centrales ont été obligées d’intervenir en premier ressort pour fournir directement aux banques des liquidités. Or, lorsque l’on prête, il faut un actif en collatéral ou en garantie. Les banques ont donné en garantie… les actifs subprimes. Ceux-ci se sont donc retrouvés dans le bilan des banques centrales. Belle opération : tandis que les profits et les bonus sont privatisés, les pertes sont, elles, « nationalisées » ! Voilà pour les profits à court terme.

Ce n’est pas tout. La crise de 2008 a aussi eu d’autres conséquences à moyen et long terme. En effet, les banques centrales ont alimenté le système financier privé à des taux directeurs de plus en bas pour chercher à soutenir l’économie et l’emploi. Mais en période de crise, le risque de chômage croît, la demande diminue... si bien que le marché se réduit pour l’offre industrielle qui subsiste et n’est pas encore délocalisée. Dès lors, soutenir l’économie devient impossible sans une vision et une stratégie à long terme, que n’ont pas les marchés ! La conséquence de la crise des subprimes a donc été d’alimenter abondamment le système financier en argent gratuit ou quasi gratuit, mais pour la spéculation qui prit, dès lors, une nouvelle ampleur, notamment sur les matières premières. Conséquence : les vannes de la création monétaire ont également été ouvertes, mais pour le système financier et uniquement pour lui. De façon massive : 750 milliards d’euros issus de la Banque centrale européenne, 2 000 milliards de dollars issus de la Fed (réserve fédérale américaine) !

Première conséquence de cette situation : les prestigieuses institutions financières américaines croulent désormais sous la liquidité gratuite, au moment où nos banques et nos assurances européennes doivent, à cause de la régulation sur les fonds propres -  avec la crise de la dette publique et les nouveaux ratio d’investissement - se débarrasser d’actifs. Si bien que cette liquidité américaine permet aux institutions financières américaines d’avoir les moyens d'acheter les bons actifs en Europe !

Seconde conséquence : les États européens, déjà bien piégés dans l’endettement par les mécanismes décrits précédemment, vont désormais l’être totalement avec l’engrenage infernal résultant de la crise des subprimes. En effet, avec celle-ci, la récession diminue les recettes publiques au moment même où les dépenses ne peuvent se réduire que lentement. L’endettement public devient dès lors difficilement maîtrisable. La crainte de la banqueroute s’accroît au sein des marchés, qui l’accentuent encore par des intérêts élevés faisant payer le risque. Si les marchés refusent d’acheter la dette publique, sauf à des taux totalement usuriers - la Banque Centrale refusant de monétiser pour la dette des États - la seule issue sera, pour les pays de la zone euro, la banqueroute accompagnée de la sortie de l’euro et de la dévaluation. Cette deuxième conséquence, nous ne la vivons pas encore mais elle est techniquement programmée. À moins que le système actuel des institutions européennes - et plus particulièrement la BCE - ne soit réformé pour sortir de ce piège !



[1] Le livre du CAPEC ’’Crise financière, Stop ou encore’’, analyse ce processus qui a conduit à la crise financière mondiale (à télécharger sur www.fondscapec.eu ou à demander au siège du capec 147 avenue de Suffren)

[2] Crise financière : Stop ou encore

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