Crise énergétique : l’Europe exporte les effets catastrophiques de sa transition énergétique ratée partout sur la planète<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Europe
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a appelé à la sobriété énergétique lors d’une conférence de presse, à Bruxelles, en juillet dernier.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a appelé à la sobriété énergétique lors d’une conférence de presse, à Bruxelles, en juillet dernier.
©AFP

Pots cassés

Saad al-Kaabi, le PDG de QatarEnergy et ministre d'Etat à l'Énergie, a récemment dénoncé les politiques européennes en matière d'énergie verte, les rendant responsables d'une grande partie des prix élevés de l'énergie à l'échelle mondiale.

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

Voir la bio »

Atlantico : Le ministre de l'énergie du Qatar, Saad Al-Kaabi, s’en est pris aux politiques européennes en matière d'énergie propre, les rendant responsables d'une grande partie des prix élevés de l'énergie que le monde paie aujourd'hui. "Ils n'ont pas de plan". A quel point a-t-il raison ? 

Damien Ernst : Il  a tout à fait raison, puisque l’Union Européenne a exporté sa crise du gaz dans de nombreux pays du monde.  

Plusieurs erreurs expliquent la situation que nous connaissons aujourd’hui :  

La première est liée à une sortie trop hâtive du nucléaire et une volonté de ne pas suffisamment le développer. La seconde a été de ne pas exploiter nos gisements de gaz, et donc de dépendre de plus en plus des importations étrangères. La troisième erreur est d’avoir voulu passer du charbon au gaz trop rapidement, dans le but de réduire les émissions de gaz à effet de serre.  

On peut également dire que la Russie n’aurait peut-être pas attaqué l’Ukraine si l’Europe n’était pas dépendante de son gaz. Il y a une certaine causalité entre cette ultime erreur et les trois autres citées précédemment.  

Toutes ces erreurs ont été amplifiées par la guerre en Ukraine et les difficultés d’approvisionnement en gaz russe. Suite à cela, l’Europe a été obligée de se fournir massivement et rapidement en gaz LNG sur les marchés internationaux, ce qui les a complètement déstabilisés. 

Surtout, à quel point sommes-nous en train d’exporter les conséquences de nos choix sur des pays étrangers ?

Les choix européens ont été désastreux pour de nombreux pays en voie de développement. Encore une fois, notre dépendance énergétique a complètement déstabilisé l’Europe, en accentuant l’attitude belligérante de Poutine. Nord Stream 1 et 2 a permis à la Russie de passer outre l’Europe de l’Est pour approvisionner l’Ouest, ce qui a contribué à la situation que nous connaissons en Ukraine. Les choix politiques européens ont apporté beaucoup de misère économique dans le monde mais ont aussi favorisé l’émergence de conflits armés.  

À Lire Aussi

Économies d’énergie : et pour son premier test de l’hiver, l’Europe vient de…

Face à des prix du gaz élevés, l’Europe peut se permettre de payer, contrairement à d’autres pays. Sommes-nous en train d’organiser la pénurie et les black-out ailleurs ?

En déstabilisant les marchés au niveau international, de nombreux pays ont eu des difficultés à s’approvisionner en LNG. Pour ces pays, acheter du gaz à plus de 100 euros le MWh sur les marchés de gros n’est pas possible. Ils doivent trouver un nouveau moyen de fabriquer de l’électricité.  

Le Bangladesh est un des pays qui a le plus souffert de cette situation, et il n’arrive plus à se procurer du gaz, ce qui cause des black-out, des coupures et une électricité très chère. Surtout, comme d’autres pays, le Bangladesh de nouveau recours au charbon, ce qui a de réelles conséquences pour l’environnement. Il en est de même pour de nombreux pays d’Asie du Sud-Est, comme l’Inde ou encore la Thaïlande. L’intensité carbone du mix électrique de ces pays a considérablement augmenté : ils passent à des émissions de 400 kg de CO2 par MWh avec le gaz à 900 kg par MWh avec du charbon. 

De plus, la crise du gaz que nous vivons actuellement risque d’enclencher une autre crise, celle du pétrole. Le gaz se raréfiant, de nombreux pays importent plus de pétrole. On estime que cela provoque une augmentation de 2 à 3 millions de barils supplémentaires par jour, ce qui risque de provoquer une augmentation du prix du baril du pétrole, aggravant encore davantage la situation économique de ces pays pauvres. En somme, notre dépendance énergétique, qui s’est accentuée à cause de politiques écologiques intégristes et naïves, a déstabilisé de nombreux pays en voie de développement.  

À Lire Aussi

Le plan sobriété énergétique est tellement prudent qu'il en frôle le ridicule

Les Européens ont-ils conscience des conséquences de leurs actions passées sur le reste du monde ? Font-ils ce qu’il faut pour éviter que cela se reproduise ?

Il ne faut pas être très intelligent pour en avoir conscience. En revanche, il est beaucoup plus compliqué de reconnaître ses erreurs, et Bruxelles n’est clairement pas sur la bonne voie à l’heure actuelle. Les personnes à l’origine de nos politiques énergétiques n’arrivent pas à reconnaître ouvertement que la sortie du nucléaire était une erreur et que les plans de décarbonisation effectués étaient beaucoup trop ambitieux et irréalistes. Tant que la commission ne revient pas sur les trois points cités précédemment, je pense qu’elle va demeurer dans l’erreur.  

Selon moi, les gens qui ont contribué à cette situation doivent sortir des chaînes de décision européennes. La Commission européenne ne nous montre pas qu’elle a appris de ses erreurs, ni même qu’elle en a les capacités. Nos problèmes actuels ne s’arrangeront pas tout de suite et on ne voit pas de bonnes choses se mettre en place au niveau des gouvernements nationaux. Pour l’instant, je redoute fortement l’avenir et suis très circonspect quant à la capacité de l’Europe à sortir de cette crise énergétique.

À Lire Aussi

François Asselin : "Le gouvernement tend à sous-estimer un peu le risque systémique qui pèse sur les PME"

Le sujet vous intéresse ?

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !