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La crise économique peut-elle provoquer la résurgence d'un terrorisme européen ?
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"Davos de la Sécurité"

Lors de la Conférence sur la sécurité de Munich réunie ce week-end, certains dirigeants européens ont pointé le risque que la crise de l’euro rallume des foyers de terrorisme. Existe-t-il des raisons d'être inquiet ?

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : Josef Ackermann, le patron de la Deutch Bank, s’est dit inquiet qu' « avec le ralentissement de la croissance dans les années à venir, les gens aient le sentiment d’une inégalité croissante des opportunités et cela crée de l’instabilité et le potentiel pour des actions terroristes ». Il ajoute avoir « déjà reçu une lettre piégée… ». Partagez-vous cette crainte de voir des foyers de terrorisme naître du terreau de la crise ?

François-Bernard Huyghes : Très franchement non. Mais je nuancerais en disant qu’il n’y a pas de lien entre le degré d’injustice et le terrorisme. Elle est évidement un terreau… Mais nous ne sommes plus à l’époque de Ravachol, où dans les années 1890, on avait « de bonnes raisons de se révolter ».

Ce n’est pas parce qu’on a de bonnes raisons de se révolter que l’on passe pour autant à l’action violente. Le terrorisme nécessite d’une part des motivations idéologiques plus précises : c’est-à-dire une doctrine qui vous explique en quoi la violence s’impose contre certaines cibles symboliques -comme les banquiers, par exemple- et va réveiller les peuples ou faire avancer la cause. Il nécessite d'autre part un terreau sociologique : avoir faim ou être furieux contre la société ne suffit pas pour qu’on décide un jour de prendre les armes. Il existe en Grèce – et en Italie dans une moindre mesure –  des groupes comme les arm-locks (avec un discours qui rappelle un peu celui des autonomes des années 1970) sont déjà à ce stade de limite violente (jets de cocktails sur la police).

Sans avoir besoin de sortir ma boule de cristal, je crois qu’on devrait en voir de plus en plus, avec des groupes qui se durcissent de plus en plus dans les manifestations pour aller vers la guérilla urbaine. Certains groupes pourraient passer sur des cibles symboliques comme on le voit en Grèce - où l'on déplore invariablement un mort du terrorisme invariablement par an depuis trente ans. Le passage à la guérilla a sa part de hasard : il faut qu’un groupe tombe sur la police par exemple et que cela dégénère…

On risque un processus un peu à l’italienne dans les années 1970 où les premiers attentats des Brigades rouges visaient des contremaîtres ou des patrons dans l’usine. On ne peut pas exclure que l’on passe du stade du caillou ou du cassage de gueule au pistolet… C’est une hypothèse. Mais je dois quand même rappeler que certains terroristes italiens des Années 1970 semblent reprendre du service. A l’instar d’un vieux de la vieille, Alfredo Bonanno, l’auteur de « La Joie armée », que l’on a retrouvé dans des braquages récents en Grèce, probablement entouré de jeunes, etc.

Pensez-vous qu’internet ait pris le relais de la contestation et qu’Anonymous ait pris la tête d’un terrorisme soft par écrans interposés ?

Pendant longtemps, les terroristes étaient de grands lecteurs, sans être forcément des intellectuels. Les gens, en effet, doivent théoriser un peu pour se « chauffer » un minimum et faire un groupe ! Certes on voit sur internet des djihadistes qui tentent de se faire recruter… mais 99% restent du fantasme.

Les Anonymous représentent autre chose. Les Américains les classent dans le slackactivism (le "terrorisme paresseux", trad.) Ils ne risquent pas des coups de crosses des gendarmes mobiles en lançant des cocktails Molotov ! Parmi ceux qui se présentent comme étant Anonymous, certains gagnent sans doute un petit parfum romantique à bon compte. Ils sont contre l’injustice, etc. Ils ont une idéologie très vague à laquelle on adhère très facilement si on fait partie d’une génération qui est née avec internet et qui est habituée au gratuit, etc.

Ils sont passés à l’acte et attaquent des sites. Mais cela reste dans le virtuel et on ne tue personne. Soyons sérieux : quand on lit dans la presse qu’ils ont attaqué le site du Ministère de la Défense, cela veut juste dire qu’ils ont pris le contrôle de quelques ordinateurs et qu’ils ont empêché la page principale ouverte au public de s’afficher ! Ce militantisme virtuel n’a toujours pas franchi la barrière symbolique. Sans risque de tuer, on ne peut parler de terrorisme. Les Anonymous vont continuer à faire assaut de démonstrations qui seront relayées par la presse. Mais je ne vois le mécanisme qui pousserait ces gens à s’armer !

Selon vous, nous sommes donc à l’abri ?

Les gestes isolés sont quand même possibles ! Cependant, de même que dans le djihadisme, on distingue des « loups solitaires »,  animés soudainement par ces GI qui, par exemple, urinaient sur des prisonniers taliban, un terroriste seul pourrait avoir l’envie de punir. On l’a aussi vu dans le massacre d’Anders Behring Breivik, cet obsédé du complot islamique. Mais en général, ces loups solitaires échouent. Certains échouent à fabriquer des explosifs ou se font prendre, etc. Terroriste c’est un métier ! 

Propos recueillis par Antoine de Tournemire

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