Covid-19 : Ces mécanismes de l’angoisse que ne semble pas comprendre le gouvernement<!-- --> | Atlantico.fr
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Ce gouvernement qui angoisse les Français
Ce gouvernement qui angoisse les Français
©ludovic MARIN / AFP / POOL

Annonces en escalier

Alors que la crise du coronavirus franchit un nouveau seuil, l'angoisse des Français face au confinement s'étend. Et les annonces au compte goutte du gouvernement ne font qu'aggraver cette angoisse.

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : En répondant étape par étape à la crise du coronavirus, le gouvernement ne risque-t-il pas de décupler les angoisses des Français ? Ne commet pas-là une erreur stratégique ? 

Edouard Husson: Il y a un évident problème de gouvernement et d’autorité. La Vè République ne peut donner son plein rendement que dans la mesure où à chaque niveau on assume ses responsabilités. De Gaulle mettait ses ministres en situation de responsabilité. La seule chose qui mérite d’être commentée dans l’entretien accordé par Madame Buzyn au Monde, c’est le sentiment d’impuissance qu’elle donne: elle n’avait rien à dire dans la discussion. Vrai ou faux, c’est très symptomatique d’une façon de pratiquer les institutions où il y a un hyperprésident (vite épuisé par sa surexposition), un Premier ministre qui se sent superflu sauf à se prendre pour le Secrétaire Général du Gouvernement et des ministres qui ne sont guère que des super-directeurs de cabinet. Il aurait fallu faire le contraire. Si Madame Buzyn avait été en position de responsabilité, jamais on n’aurait pu l’envoyer ainsi à la bataille de Paris. Et puis, la crise montant en puissance, il y a un moment où le Premier ministre doit intervenir. C’est celui où il devient évident que la coordination entre les ministères devient essentielle. Ministère de l’Economie, Ministère de l’Intérieur, Ministère de la Défense, Ministère des Affaires étrangères auraient dû être mobilisés et coordonnés beaucoup plus tôt. Le Premier ministre propose une stratégie et une coordination qu’il propose au président. Ce dernier ne doit pas intervenir trop tôt. D’une part parce que la montée en puissance de l’Etat rassure. Ensuite parce que la parole présidentielle doit être la plus rare possible pour rester efficace. Il n’y a rien de pire que le discours présidentiel qui manque son effet. C’est arrivé une fois à de Gaulle, le 24 mai 1968, il lui a fallu ensuite son génie stratégique pour simuler sa disparition et reprendre le contrôle. Au contraire, les deux derniers présidents, de loin les plus médiocres de la Vè République, sont coutumiers du fait. Rien de plus angoissant pour un pays. 

Pascal Neveu:  Une majorité de Français savent que les politiques mentent… tout cela remontant à Machiavel qui défendait l’idée politique du règne par cette fameuse phrase « La fin justifie les moyens ! ». Les études et écrits sur la psychanalyse de la politique montrent la difficulté de l’exercice de communication, du côté de l’émetteur, du récepteur et des enjeux politiques ou sociétaux. D’ailleurs les communicants connaissent parfaitement les différentes théories qui doivent permettre de choisir le meilleur canal de diffusion d’un message qui ne doit pas être perdu ou mal interprété. Face à la pandémie actuelle, et les angoisses profondes rattachées à la maladie et la mort, l’exercice ne me semble pas aisé. Il nécessite du temps de parole, d’écoute et d’échange, en fait une pédagogie reposant sur la répétition et l’enseignement. Car face à des angoisses profondes provoquées par une annonce inattendue, abrupte, le risque de développer, outre une méfiance, un mécanisme de défense psychique tel le déni est très fort. La conscientisation d’une menace, l’adaptation à une situation exceptionnelle, à un danger n’est pas la même chez tout un chacun. Certains pourront immédiatement le gérer psychiquement et émotionnellement et penser leur vie en fonction. D’autres auront besoin d’un temps d’assimilation et de digestion d’une sorte de choc de l’annonce, afin de reprendre pied dans la réalité. Nous ne sommes pas égaux dans cet acte mental pour des raisons émotives, éducatives, sociales... En effet, avoir évolué dans un environnement, tout comme avoir vécu par le passé des moments de précarité, avoir été malade, accompagner des aînés souffrants, être personnel médical… sont énormément de paramètres singuliers que le corps politique et la communication politique ne peuvent gérer au cas par cas. 

D’autre part, il ne faut pas oublier des prises de décisions qui relèvent du politique français mais également mondial. Mais également la bonne connaissance de l’évolution d’une situation de crise, et une sincère volonté de ne pas angoisser la population afin d’éviter des phénomènes de groupes. Sur ce plan nous avons tous pu voir certains comportements que certains trouvent excessifs. Tout comme le gouvernement peut se comporter tels des parents face aux enfants de la patrie, les enfants peuvent face à la gravité des événements douter de la sincère parole délivrée et fantasmer, sombrer dans des angoisses terrifiantes. Quel parent n’aborderait pas les choses graves et sérieuses progressivement en voyant la réaction de son enfant, même si les citoyens ne doivent pas être considérés comme des enfants mais des personnes responsables ? L’exercice qui relève de la communication de masse me semble en ce sens très compliqué. Car il est question d’âges, de générations, de référentiels tellement différents… et de conséquences qui ne peuvent qu’angoisser la population est des catégories socio-professionnelles à la fois fragiles émotionnellement, financièrement, médicalement. On le voit dès le début face au champ lexical utilisé dans la communication mais également sur les réseaux sociaux, les parodies… Mais également dans le « Nous sommes en guerre ! »… qui ne peut en revanche qu’angoisser certains, ou au contraire nous pousser à nous rassembler dans une démarche de soutien et de fraternité. Les mots ont un sens. La communication est complexe et doit répondre de plus en plus à l’immédiateté. Les faits sont là et désormais la communication, que tout un chacun peut critiquer positivement ou négativement, doit laisser place à l’information claire et précise, scientifique et médicale, directe, franche avec des projections à moyen et long termes.

En effet, en groupes les individus ne réagissent-ils pas mieux à une information, même très inquiétante, lorsqu'ils la connaissent en sa totalité ? En d'autres termes, l'incertitude n'est-elle pas plus néfaste que la plus inquiétante des certitudes ?  Depuis l’enfance nous avons « biberonné » à l’école du mensonge. En effet, afin de nous protéger, mais aussi parce que nous ne possédions pas la maturité psychique suffisante pour comprendre certains faits de vérités, nos parents, et de manière globale le monde adulte ne nous disait pas tout, travestissait la réalité, dans notre intérêt. Cela pouvait aller de la réalité violente du monde, de la conception des enfants, de problèmes de couple, d’angoisses professionnels mais aussi de la mort de grands parents…  Puis en nous développant, entre 3 et 7 ans, enfants nous avons vécu une période d’affabulation, nous inventant un monde parallèle, des faux amis, réalisant que la nuit est peuplée de rêves qui ne sont pas la réalité… Aussi, un ancrage au mensonge (mens-songe… le songe de l’esprit) existe au fond de nous de manière consciente et inconsciente. Cela explique notre propension à être en quête permanente de vérité, dynamique positive de réflexion, mais également à être capables de doutes profonds, jusque penser le complot permanent, quand ce n’est pas développer des attitudes mythomanes, lorsque nous ne sommes en lien avec la réalité. Aussi il reste en nous cette sensibilité au mensonge qui nous fait douter de la vérité. Or face à ce virus, tout scientifique n’a aucune certitude et s’inscrit depuis le début dans une démarche d’expérimentations, de soins, de guérisons et d’éradication de la pandémie. Tout comme le politique ne peut s’autoriser des vérités et s’entourer d’un collège d’experts, et prendre des mesures et des décisions les meilleures. Or, la dernière déclaration de l’ancienne ministre de la santé risque de fragiliser l’édifice de la croyance. Le gouvernement va devoir faire montre de pédagogie de la connaissance médicale envers la population qui se sent cloîtrée et emprisonnée chez elle, non libre de mouvements, non libre de pensée, non libre de son avenir.

Au travers de l'histoire, n'avons-nous pas des exemples démontrant qu'un peuple réagit mieux lorsque l'information, aussi tragique soit-elle, et la stratégie qui est envisagée pour y faire face lui sont annoncées d'un bloc et non étape par étape ? 

Edouard Husson: En fait, je ne pense pas que ce soit la première question. Regardez les Allemands en juin 1919. Ils avaient attendu plus de six mois les conditions de la paix proposées par les vainqueurs de la guerre. Elles leur ont été révélées d’un coup. Et ce fut l’indignation de tout un peuple humilié. Mais pourquoi ont-ils aussi mal réagi? Parce que l’autorité n’était pas encore clairement établie dans le pays depuis la chute de la monarchie. C’est donc la légitimité du pouvoir qui joue le premier rôle. Un pouvoir légitime peut se permettre des hésitations ou des erreurs. Boris Johnson se sortira de la crise du Coronavirus parce qu’il est doté d’une énorme légitimité. Alexis Tsipras avait été hésitant dans les premières semaines de son gouvernement en 2015 mais les Grecs lui ont su gré de l’organisation du référendum. C’est à partir du moment où il s’est couché devant l’Allemagne et l’Union Européenne que Tsipras a été dévalorisé. Même ce qu’il a pu faire de courageux n’a plus été pris au sérieux.

Pascal Neveu:  De mon côté, je pense aux Chefs d’Etat qui ont du annoncer une déclaration de guerre, notamment les deux guerres mondiales et l’impact qui n’est dès lors pas maîtrisé. Les signaux d’alarme étaient pourtant présents… puis le pire est arrivé. Mais le Monde s’était préparé, puis d’autres étapes inattendues se sont greffées. Qui peut prédire un plan parfait de la vie humaine et des réactions, ainsi que les effets boule de neige ? La communication a changé. Dominique Wolton spécialiste des medias et de la communication l’explique depuis plus de 20 ans, annonçant un tournant et un tourment de l’information… et une réception de celle-ci qui entrera en concurrence avec nos croyances et défiances ainsi que notre capacité à la recevoir et l’analyser.

Au regard de ces exemples historiques, ne pensons-nous pas que les Français réagiraient mieux, en groupe, seraient moins pris de panique, si la stratégie de lutte contre le virus leur était annoncée d'un coup et non sous forme de chapitres réguliers ? 

Edouard Husson: Plus que la soudaineté de l’annonce, c’est la vérité du discours politique qui est nécessaire. Et c’est ce qui fait le plus défaut. Emmanuel Macron incapable de prononcer le mot confinement, le 16 mars au soir, c’est encore plus terrible et dévastateur qu’Emmanuel Macron ne réussissant pas à maintenir les élections municipales. D’une manière générale, le président comme son premier ministre sont incapables de donner à leur parole un poids politique. Ils sont longs, verbeux (surtout Macron)et confondent les ordres. Le président qui nous dit qu’on est en guerre, six ou sept fois, et qui en même temps nous conseille de prendre un bon polar à la maison ! Nous sommes quand même dans une drôle de guerre, où une partie de la population est démobilisée. En même temps, c’est normal: on ne teste pas les gens; donc ils ne savent pas; et comment voulez-vous qu’ils se battent s’ils ne savent pas? C’est très différent de la Corée, où le plus de personnes possibles ont été testées, ce qui a responsabilisé et permis un confinement individuel et un traçage, par les réseaux sociaux, à partir des personnes testées positives: chacun se responsabilise et prévient les autres personnes avec qui il a été en contact, qui se font à leur tour tester. Le plus angoissant, en fait, dans la situation actuelle n’est pas de ne pas savoir ce que le gouvernement dira demain ou après-demain. C’est de ne pas savoir pour soi ce qu’il en est.

Pascal Neveu: Comme toute annonce qui peut être vécue brutale, il faut l’accompagner par un débrief afin de s’assurer que le message complet est passé, qu’il n’a pas été mésinterprété. Combien de personnes, comme vous et moi, sont susceptibles de ne retenir qu’une partie d’un discours et non la totalité ? Répéter à tout va pourrait revenir à « Trop de communication tue la communication » voire s’entendre dire qu’il s’agit d’orientation de l’esprit et par certains de « propagande », et donc être contre-productif. Gérer la communication auprès de 67 millions de Français, qui ont accès aux informations mondiales et réseaux sociaux, face à une crise sanitaire sans précédent, et le souvenir pour certains du H1N1, n’est pas le même exercice qu’une campagne électorale.

C’est une épreuve très complexe. Il s’agit de santé, de nombre de morts, d’engorgements des hôpitaux, de vie citoyenne, d’économie, de comportements civiques… En ce sens, oui l s’agit bien d’un état de guerre que nous vivons symboliquement, même si incomparables aux guerres militaires. Pour autant qui serait capable de gérer au mieux la communication face à tous ces paramètres sur lesquels tos les experts, tous les fonctionnaires, les personnels de santé… travaillent, j’en suis sûr, sans relâche depuis le début. A nous citoyens également d’expliquer le message vrai, d’entourer nos proches, d’échanger avec celles et ceux angoissés. Une nation ne doit pas oublier que le Monde est impacté, vit la même chose, et se doit d’un devoir et d’une démonstration de soutien, d’humanité et de fraternité afin d’en sortir au plus vite sans trop de dommages de santé physique et psychologique.

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