Constitutionnalisation de l’IVG : le mauvais procès fait à ceux qui s’y sont opposés<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Assemblée nationale a adopté la constitutionnalisation de l'IVG.
L'Assemblée nationale a adopté la constitutionnalisation de l'IVG.
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Vie démocratique

L’Assemblée nationale a adopté, ce jeudi, une proposition de loi constitutionnelle visant à inscrire le droit à l’IVG dans la Loi fondamentale.

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Alors que le débat sur la constitutionnalisation de l’IVG avait lieu à l’Assemblée nationale, Sandrine Rousseau a tweeté : « Ce que fait actuellement LR sur la constitutionnalisation de l’IVG restera dans les poubelles de l’histoire. C’est une honte. » LR, divisé sur l’attitude à adopter, a vu certains de ses députés participer à un dépôt massif d’amendements dénoncés comme étant de l’obstruction parlementaire. Que penser de la position de la députée EELV ? Est-ce un mauvais procès fait à LR ? 

Eric Deschavanne : De l’avis général chez les juristes, on est en plein cirque politico-médiatique. Le texte dont il est question viserait à effectuer une constitutionnalisation sans conséquences juridiques. Il s’agirait de faire un « symbole », c’est-à-dire de la com, un peu comme font ces militants écologistes qui jettent de la soupe dans les musées. C’est sans doute ce qui plaît à Sandrine Rousseau. L’Assemblée nationale vient d’inventer la loi au carré : la proposition selon laquelle « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse » n’a rien à faire dans la Constitution puisque la loi française garantit de fait l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse. 337 députés ont voté un texte qui confirme ce qu’une loi qui n’est contestée par aucune force politique dit déjà ! Je ne vois que deux explications possibles à cet épisode grotesque : ou bien les députés s’ennuient, la maîtrise des problèmes du pays leur échappe, de sorte qu’ils en sont réduits à persécuter les coléoptères, ce en dépit de la montée de la préoccupation pour la souffrance animale ; ou bien tout cela participe d’un obscur jeu de tactique politique dans lequel la Constitution est prise en otage.

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Y-a-t-il dans une partie de la classe politique une difficulté ou un refus d’envisager les raisons qui poussent certains parlementaires à s’opposer à la constitutionnalisation de l’IVG – et non à l’avortement lui-même ? À quoi est-ce dû ?

A la mauvaise foi ou à la bêtise, comme toujoursIl est en effet intellectuellement malhonnête de confondre l’opposition à la constitutionnalisation du droit à l’avortement avec l’opposition à celui-ci. Je suppose que la tactique politique consiste précisément à jouer de cette confusion grossière pour tenter de manipuler l’opinion. Je ne crois pas néanmoins que cela puisse faire illusion très longtemps. Si on demande à une opinion publique massivement favorable au droit à l’avortement si elle est favorable à sa constitutionnalisation, il est dans l’ordre des choses qu’elle y voie l’occasion de manifester son attachement à ce droit, donc que la réponse soit positive. Mais il suffit d’un peu de recul et d’autoréflexion pour percevoir l’absurdité d’une démarche qui affirme que la protection constitutionnelle du droit à l’avortement est d’autant plus nécessaire et urgente que tout le monde est d’accord pour ne pas y porter atteinte !

Dans quelle mesure constitutionnaliser un droit qui n’est pas menacé crée-t-il finalement d’autres problèmes ? (sur la liberté de conscience, sur le rôle de la Constitution, etc.)

Il y a trois raisons de s’opposer à la constitutionnalisation telle qu’elle est envisagée, c’est-à-dire une constitutionnalisation sans conséquences juridiques, qui ne change rien à la nature du droit à l’avortement. La première tient bien sûr au fait que les motivations invoquées pour justifier cette constitutionnalisation sont intrinsèquement absurdes. Il s’agit, affirment les partisans de celle-ci, de prévenir un éventuel virage de l’histoire qui pourrait conduire, dans un avenir indéterminé, à remettre en question le droit à l’avortement. Profitons du consensus actuel, nous dit-on en substance, pour « graver dans le marbre de la Constitution » ce droit fondamental des femmes. Si on prend au sérieux une telle hypothèse, il semble pourtant évident que l’éventuel nouveau consensus hostile au droit à l’avortement conduirait immanquablement à une nouvelle réforme de la Constitution destinée à l’en sortir. En réalité, il n’y a en démocratie pas d’autres moyens de faire prévaloir une idée dans la durée que de la « graver dans le marbre » de la raison publique, à travers un débat permanent alimenté par la liberté d’expression et le pluralisme des opinions.

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La deuxième raison est d’ordre pédagogique. Les représentants du peuple devraient assumer une responsabilité en matière d’éducation civique en rappelant la différence entre législation et Constitution. Le « marbre » de la Constitution n’existe que si on évite de transformer celui-ci en cire molle par d’incessantes modifications. Une constitution n’a pas pour vocation d’enregistrer la liste des vœux pieux des générations et des majorités successives. Elle est la Loi fondamentale qui fixe les règles du jeu politique dans le temps et qui, s'agissant d'une constitution démocratique, organise l'expression du pluralisme idéologique et politique. L’instrumentalisation tactique de la Constitution à laquelle se livre nos députés est donc un mauvais coup porté à la pédagogie de la démocratie.

La troisième raison de s’opposer au projet de constitutionnalisation tient précisément à l’essence de la démocratie. L’argument principal avancé par les partisans de la constitutionnalisation, la peur que la loi change, est en effet proprement aberrant du point de vue démocratique. Ce que nous appelons démocratie, ou République, est le régime fondé sur la souveraineté du peuple, dans lequel la loi est l’expression de la volonté générale, l’outil par lequel il se rend maître de son destin. Vouloir soustraire une question de société au débat public et à la décision démocratique relève stricto sensu d’une dépossession démocratique. Cela ne se justifie que par la défiance à l’égard de la démocratie et du peuple lequel, rappelons-le, est et restera a priori dans l’avenir composé pour moitié de femmes. Quand bien même on admettrait l’hypothèse selon laquelle les générations futures décideraient, pour des raisons qui leur appartiendraient, de revenir sur le droit à l’avortement, on ne voit pas trop sur quelle conception de la légitimité démocratique s’appuyer pour autoriser la génération présente à leur dénier le droit de décider souverainement de leur destin. La dictature du présent sur l’avenir est à l’évidence un dévoiement de l’esprit démocratique. En vérité, il paraît bien plus raisonnable et démocratique de laisser vivre le débat, de faire confiance à la capacité du peuple à discerner où est son intérêt et à produire des lois en conséquence.

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