Constitution et IVG : le double symbole <!-- --> | Atlantico.fr
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Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti participe à une cérémonie visant à sceller le droit à l'avortement dans la Constitution française, le 8 mars 2024.
Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti participe à une cérémonie visant à sceller le droit à l'avortement dans la Constitution française, le 8 mars 2024.
©GONZALO FUENTES / AFP

Révisions contitutionnelles

Lors d'une cérémonie publique, la « liberté garantie » de recourir à une interruption volontaire de grossesse a été symboliquement inscrite dans la Constitution.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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En regardant à la télévision la séance du Congrès du Parlement du 4 mars dernier, on ne pouvait s’empêcher de passer du registre du droit positif à celui de la symbolique, voire de la mystique républicaine.

En complétant l’article 34 de la Constitution par la phrase « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse »  le Parlement n’a guère modifié le droit en vigueur. La loi Simone Veil du 17 janvier 1975, complétée depuis, et à chaque étape déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel offre depuis près de cinquante ans un cadre législatif stable à la pratique de l’interruption volontaire de grossesse. Nous ne sommes pas aux États-Unis où la nature fédérale du système constitutionnel donne, depuis l’arrêt du 24  juin 2022 de la Cour suprême, à chaque État la possibilité d’autoriser, d’interdire ou d’encadre l’avortement. Dans la France « une et invisible » aucune partie du territoire, même une collectivité très autonome d’outre-mer, n’a la possibilité d’adopter son propre régime de libertés fondamentales.

Les orateurs qui se sont succédé à la tribune de Versailles ont tous plaidé en faveur de l’inscription d’une garantie supplémentaire de l’IVG à travers l’adjonction proposée. Les voix hésitantes ou franchement négatives ont préféré le silence à une rupture du consensus. Certes, toutes les interventions ne peuvent être confondues, loin de là, mais la réalité politique, historique et symbolique l’a emporté sur tous les autres arguments. Entre les enthousiastes, souvent des femmes, et les réservés, souvent des hommes, il existe un véritable écart, mais à ne retenir que les votes celui-ci est très faible.

Ce résultat, au-delà de son aspect exemplaire vis-à-vis du reste du monde, nous confirme qu’une constitution est beaucoup plus qu’un texte juridique. Elle constitue la charte d’une vie collective avec la définition des libertés, individuelles ou en groupe, et, à l’inverse, en fixe les limites, voire les interdictions. À la différence des constituions contemporaines la France ne possède pas un catalogue récent des droits et libertés fondamentaux. La Déclaration de 1789, dont nous ne manquons jamais de rappeler la vocation universelle, le préambule de la Constitution de 1946, les « principes fondamentaux reconnues par les lois de la République » constituent les éléments de base de notre catalogue. À cela il faut ajouter la Charte de l’environnement de 2004 et des dispositions éparses comme l ‘Habeas Corpus (article 66 de la Constitution) et désormais la liberté de l’avortement (nouvel article 34). Nul ne peut nier la portée juridique du vote du 4 mars, mais la confirmation d’une liberté existante relève plus du symbole que d’une nouveauté.

Si les révisions constitutionnelles envisagées à propos de l’autonomie de la Corse, de la restriction du droit du sol à Mayotte ou du corps électoral en Nouvelle-Calédonie aboutissent, ce qui n’est pas garanti, nous ne serons plus dans l’ordre du symbole, mais très prosaïquement dans l’aménagement des règles institutionnelles. Ce n’est pas la même chose.

Pour prolonger la signification symbolique  de la révision constitutionnelle et permettre, à cette occasion, une manifestation publique, le Président de la République a non seulement décidé de faire sceller la loi constitutionnelle nouvelle mais d’en ouvrir les portes au public, ce qui constitue une véritable première.

Le scellement de la loi consiste à apposer sur le texte original le grand sceau de la République sous forme d’un sceau de couleur jaune. Cette pratique, issue des vieilles traditions de l’Antiquité, avait pour fonction première de donner une valeur authentique à un écrit et de lui conférer une force juridique. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il s’agit uniquement d’une opération symbolique destinée à souligner l’importance de la loi. Lors du scellement de la Constitution de 1958, le 6 octobre, au lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française, Michel Debré avait insisté sur sa seule signification historique et politique. Il en est de même aujourd’hui. À l’époque du tout numérique, il est symbolique de renouer ainsi avec la chaîne du temps et de faire se rencontrer le temps d’avant-hier, le temps d’hier et le temps d’aujourd’hui. 

Didier MAUS

Ancien conseiller d’Etat

Président émérite de l’Association française de droit constitutionnel

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