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Connaissez-vous la génération C, ces jeunes adultes ayant grandi avec la crise ?
©Bernadett Szabo / Reuters

C comme Crise

Derrière les Digital Natives, on oublie souvent de voir qu’il y a des Crisis Natives... Portrait en quatre tableaux d’une génération pour qui rien n'est facile mais qui ne se laisse pas abattre pour autant.

Véronique  Langlois et Xavier Charpentier

Véronique Langlois et Xavier Charpentier

Véronique Langlois et Xavier Charpentier ont créé en mars 2007 FreeThinking, laboratoire de recherche consommateur 2.0 de Publicis Groupe.

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En 2004, on parlait pour la première fois, outre-Atlantique comme souvent, de la « Generation C ». C pour « Content ». La première génération véritablement née avec le web, totalement familière de tout ce que le numérique peut offrir, n’éprouvant aucune inhibition à produire du contenu, ce fameux « content », en anglais, qui lui donne son nom. Une génération dont les plus jeunes sortaient de l’enfance au moment où Facebook naissait. Bref, les fameux Digital Natives qui sont, pour les baby-boomers, à la fois des enfants et des extra-terrestres.

Mais ces Digital Natives ne sont pas tombés que dans Facebook : ils sont aussi des Crisis Natives, notamment en France. Puisque pour eux entrer dans l’âge adulte, c’est aussi, depuis 2008, entrer en Crise.

Génération Crisisproof… Jusqu’à un certain point.

Premier enseignement : la Génération C comme Crise, en France, n’est pas une génération qui croit aux lendemains qui chantent. Normal : elle a été élevée à la dure, d’abord parce qu’elle a vu ses parents souffrir et changer de monde, passer de la stabilité à la précarité, de la sécurité à la fragilité économique :

« Mon père a connu cela (le licenciement) et depuis il ne trouve que des petits boulots, comme il le dit souvent « je suis devenu un bouche-trou, on m’appelle pour des maladies 3 ou 4 jours ou encore pour des départs en vacances… » Et croyez-moi il souffre intérieurement mais jamais il ne laisse apparaître ses émotions devant ses enfants. Moi qui suis le plus âgé je ressens et comprends ce qu’il ressent. » (1)

Pas question donc de verser dans un optimisme juvénile : la situation est dure, celle de ses parents, celle du pays, et il faut se préparer à lutter pour préserver ce qui peut l’être de son niveau de vie : ils sont pratiquement aussi nombreux que leurs aînés, soit 3 sur 4, à considérer que la crise va s’aggraver en 2013 .

Sont-ils pour autant désabusés, ou désespérés ? Non. Car, s’ils sont sans illusions sur ce que l’avenir leur donnera, ils restent nettement plus confiants en eux que leurs aînés sur ce qu’ils seront en mesure d’en obtenir : 45% des 18-24 ans disent se sentir « en contrôle de leur vie », contre 37% des 25-35 et seulement 33% des 35-44 ans (2). Un pourcentage qui dit à la fois leur lucidité et leur relatif optimisme – au moins jusqu’à 25 ans, l’âge où ils commencent à chercher un emploi…

Génération Consommation d’après

Deuxième élément du portrait : la Génération C, c’est aussi la génération qui a vraiment compris qu’il allait falloir réviser ses habitudes, changer d’attitude face à la consommation.

D’abord en assumant d’être une « Génération Contrainte » : voir petit, passer de la Nouvelle Economie aux nouvelles économies via l’utilisation intensive d’internet pour traquer les bonnes affaires, entrer dans l’ère de la consommation grise, où tout se négocie : ils le font comme leurs aînés. Mais ils sont prêts à aller plus loin. Parce qu’ils y sont contraints :

« Depuis que je suis majeure j’ai appris à ne pas dépenser beaucoup, même lorsque je fais des courses alimentaires… Je trouve certains produits superflus. C’est sûr, on peut se faire plaisir de temps en temps, je ne me prive pas j’ai grandi comme ça, en comptant et en me faisant plaisir en restant raisonnable… Et puis même si je ne prévois pas d’être maman avant 2 ou 3 ans je sais que je vais essayer de mettre ne serait-ce que 50 euros de côté dés que je pourrai travailler, pour commencer à prévoir un logement et un enfant. »

Une « Génération Contrainte » d’autant plus sous pression qu’elle se rapproche des fatidiques 25 ans, l’âge de la Grande Bascule : celle où on quitte le nid, où on cherche un travail, et où les pourcentages d’optimisme et de confiance chutent du reste très nettement, d’un seul coup…

Ensuite, en assumant de devoir arbitrer, quelquefois, entre consommation responsable (socialement, écologiquement) et raisonnable (financièrement). Ils sont plus sensibilisés que leurs parents aux enjeux environnementaux et sociaux ? Oui, bien sûr, et sans doute mieux informés aussi – Digital Nativeness oblige… Pour autant, ils admettent que faire entrer en ligne de compte dans son achat l’origine d’un produit n’est pas toujours facile : alors que pour 72% des Français, et 85% des 60 ans et plus, « la crise incite à davantage faire attention à l’origine des produits consommés », ce n’est le cas que pour 61% des 18-34 ans. Comme le dit l’un entre eux, interrogé sur ce qui lui semble prioritaire :

« Ce qui me semble le plus important est l’emploi et l’insertion… Ensuite je dirais que le pouvoir d’achat tient une grande place aussi. Le moins important me paraît être l’environnement car je pense qu’il faut savoir s’occuper du présent avant de prévoir le futur… »

Enfin, en se montrant plus ouverts encore que le reste des Français à la consommation collaborative, qui pour eux n’est pas simplement le dernier buzzword du marketing mais une réelle aspiration, une solution à mettre en œuvre dans le maximum de domaines et le plus vite possible. L’achat ou l’échange entre particuliers, c’est quelque chose qu’ils pratiquent ou souhaitent pratiquer pour les livres, CD et DVD (à 66% contre 56% pour l’ensemble des Français), pour l’achat d’un véhicule (à 59% contre 43% pour l’ensemble des Français), pour le mobilier (61% contre 45%).

« La consommation et l’économie collaboratives (…) permettent de faire des économies sur les objets que l’on a déjà mais dont on ne se sert pas, en les revendant. Et en proposant de s’entraider ou se rendre service - ça peut être très utile lorsqu’on ne connaît rien en plomberie mais que l’on s’y connait en électricité par exemple. Et ça socialise par la même occasion… »

Génération sceptique

Troisième caractéristique de cette Génération C comme Crise : leur évident scepticisme devant les acteurs institutionnels. Qui pour faire avancer les choses ? Les acteurs traditionnels - Etat, syndicats, politiques ? Pas vraiment. Parce que ce sont des acteurs abstraits, lointains :

« L’Etat me paraissant inaccessible et abstrait. »

Parce qu’ils ne leur font tout simplement plus confiance, parce que l’exemplarité des responsables publics fait débat, ou leur compétence, parce que le modèle de société qu’ils proposent n’est pas assez responsabilisant à leurs yeux :

« Pour moi, de nos jours, il est devenu impossible de faire confiance à l’Etat, car incapable de montrer l’exemple.»

« Les mesures gouvernementales n’aident en rien à l’embauche (allocations élevées qui dissuadent certains de travailler, prime à l’emploi trop faible…). »

Les grandes entreprises ? Oui, un peu – parce qu’elles ont un réel pouvoir et une réelle compétence, une aptitude à l’efficacité économique. Et donc qu’elles sont les mieux placées pour répondre à leurs deux préoccupations majeures : l’insertion professionnelle, le pouvoir d’achat. Les PME, oui, bien sûr, parce qu’on les voit à l’œuvre tous les jours.

« Les PME sont souvent beaucoup plus responsables, elles apportent souvent des innovations et idées originales pour améliorer la vie des Français. »

Mais, surtout, les parents. Que certains voient même comme des héros du quotidien. Parce qu’ils assument au quotidien une mission difficile, une responsabilité de proximité dont ils ne cherchent pas à s’échapper, qu’ils ne cherchent pas à esquiver. Parce qu’ils ne se dérobent pas :

« Comme beaucoup d’autres personnes, j’ai tout de suite pensé à mes parents qui m’ont épaulée toute mon enfance. Ils ont su me montrer ce qu’est la responsabilité à travers les moments du quotidien. »

La Génération Crise, c’est une génération qui en ces temps difficiles n’a jamais trouvé aussi fausse la formule d’André Gide, « Familles, je vous hais, foyers fermés, portes closes… ». Parce que le foyer des parents, c’est la protection et le sens des responsabilités.

Génération Crise, génération Combative

Finalement, comment décrire en quelques mots cette génération qui a grandi avec le web, les réseaux sociaux, et la Crise, en France ? Peut-être avec une idée simple : une génération pour laquelle passer de l’enfance à l’âge adulte n’est plus tant une éclosion qu’un combat.

Une génération pour laquelle entrer dans l’âge adulte, ce n’est pas trouver sa place, mais se faire sa place. Avec énergie, une certaine confiance, mais aussi quelquefois un réalisme sur ce qu’il est possible d’atteindre qui confine au fatalisme :

« J’ai choisi d’accepter un travail loin de chez moi, dans une toute petite ville. La vie ne me plaît pas ici, le boulot n’est pas terrible. N’empêche qu’aujourd’hui, je gagne ma vie, je ne dépends plus de mes parents. »

Une génération pour laquelle rêver, c’est bien, mais assumer, c’est mieux… Qui est hyperconsciente que l’autonomie, c’est d’abord l’autonomie financière, et qu’en période de crise et de précarité, pour elle, la prudence est un must, pas une qualité…

« J’essaye de gérer mon budget en pensant à ce qui pourrait arriver demain, pour moi c’est ça devenir responsable ! »

Une génération pour laquelle le risque est une réalité de tous les jours, pas une virtualité abstraite : on dit souvent que la peur n’écarte pas le danger, pour eux la confiance et la combativité n’excluent pas la lucidité :

« Je pense qu’il est difficile de faire preuve de responsabilités puisque aujourd’hui pour en donner, il faut avoir de la confiance mais ce n’est pas toujours évident vu le monde qui nous entoure. J’aimerais l’être plus que ça mais les circonstances ne s’y prêtent pas ; comme par exemple gérer son appartement, ses revenus etc…Ça montre une part de responsabilité mais pour les obtenir, il faut un emploi mais qui est aujourd’hui malheureusement difficile à trouver et à garder. »

Une génération, enfin, qui continue plus que jamais de redécouvrir quelques valeurs simples, étonnamment traditionnelles, et plus précieuses que jamais à leurs yeux : la famille, le mérite, la solidarité, le travail…

« Être responsable c’est aussi s’occuper de sa famille au sens plus large (grands-parents malades, oncles ou tantes qui ont besoin d’aide avec leurs enfants…) ; s’occuper au quotidien de son couple. »

« Je me sens d’autant plus responsable lorsque je suis avec mes neveux ; ils comptent sur moi, ainsi que ma famille, lorsque je m’occupe d’eux pour que tout aille bien. »

« Dans la vie courante, être responsable c’est se lever le matin et travailler (que ce soit pour les étudiants ou les autres), c’est trouver de l’argent (en travaillant l’été), c’est être responsable d’un logement pour certains (faire les courses, le ménage et payer le loyer). Mais également prendre soin de soi (aller chez le docteur …).»

Rien de révolutionnaire, finalement, au contraire. Un effet de la Crise ?

(1) Les verbatims sont tirés de Génération C, Génération Crise, FreeThinking, septembre 2013. FreeThinking a rassemblé sur sa plateforme fermée plus de 140 jeunes  de 18 à 24 ans (28% d’étudiants ; 72% actifs (46% en poste, 26% en recherche d’emploi , de classes moyennes / issus de classes moyennes)) en France du 12 au 24 septembre 2013.

(2) Europe 2013, un continent à la dérive. FreeThinking a rassemblé sur sa plateforme fermée près de 400 Européens des classes moyennes supérieures en France, Allemagne, Italie, Espagne et Grande-Bretagne et  a organisé avec IPSOS/CGI une interrogation de plus de 6 000 Européens (échantillon représentatif, soit près de 2000 jeunes de moins de 35 ans).  Tous les chiffres viennent de cette étude.

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