Complotisme : les (grosses) poussières qu’on cache sous le tapis nourrissent la paranoïa ambiante <!-- --> | Atlantico.fr
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Un manifestant tient une pancarte Lors d'une manifestation contre la vaccination obligatoire contre la Covid-19, à Toulouse, le 28 août 2021.
Un manifestant tient une pancarte Lors d'une manifestation contre la vaccination obligatoire contre la Covid-19, à Toulouse, le 28 août 2021.
©FRED SCHEIBER / AFP

Petits cadavres entre amis 

Les éditions du Seuil publient un Manifeste conspirationniste le 21 janvier en expliquant qu’il représente un "réveil politique qu'il serait suicidaire de laisser à l'extrême droite". Mais pourquoi ces théories s’installent-elles plus aujourd’hui qu’hier ?

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe

François-Bernard Huyghe, docteur d’État, hdr., est directeur de recherche à l’IRIS, spécialisé dans la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique, derniers livres : « L’art de la guerre idéologique » (le Cerf 2021) et  « Fake news Manip, infox et infodémie en 2021 » (VA éditeurs 2020).

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Atlantico : Les éditions du Seuil publient un Manifeste conspirationniste le 21 janvier en expliquant qu’il représente un "réveil politique qu'il serait suicidaire de laisser à l'extrême droite".

François-Bernard Huyghe : Les auteurs de ce manifeste seraient ceux qui ont signé le texte L’insurrection qui vient, le comité invisible. Le conspirationnisme est une sorte d’injure pour disqualifier a priori tout discours s’opposant au discours officiel. On l’a dit pour Big Pharma, pour les chiffres démographiques qui font parler du grand remplacement, etc. C’est devenu une forme d’injure de la part des personnes appartenant au cercle de la raison pour discréditer une parole et ranger les thèses anti-système au sens le plus large dans la catégorie des délires de persécution. C’est une forme de psychiatrisation de l’attaque. A ce titre, il est amusant de voir les auteurs en faire un étendard. La mise en accusation de gens qui nous manipuleraient circule beaucoup, à droite comme à gauche. De fait, il y a une zone grise entre le complotisme au sens large, qui pense qu’un pouvoir occulte tire les ficelles dans l’ombre, et le complotisme qui cherche à dire qu’une certaine élite profite des circonstances.

N’y-a-t-il pas une tendance à « mettre sous le tapis » la partie des discours qui leur semble défavorable ou trop compliqué, quitte à donner l’impression qu’ils cachent des choses ?

Evidemment et cela nourrit le soupçon. Quand on dit les masques ne servent à rien, nous avons des masques mais n’en achetez pas pour qu’on réalise ensuite que le discours était tenu car on manquait de provisions de masques en France... C’était un discours pour expliquer ses fautes, ou celles du gouvernement précédent par une théorie de prescription. Toutes ces contradictions, tous ces discours pris sur un ton martial, cela contribue fortement au soupçon que les gouvernements nous trompent. Il y a un hiatus entre les discours et la réalité car cette dernière change tous les jours. On doit se référer à l’autorité scientifique mais la science c’est la recherche, pas une certitude absolue. Les gouvernements ont fait des paris pas toujours gagnants ce qui a créé un état de confusion. Au-delà de la pandémie, on peut penser à d’autres évènements comme les mensonges sur la guerre en Irak qui ont contribué à nourrir le soupçon.

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Quelle est donc la responsabilité du discours public des politiques et des médias dans le développement de ces théories ?

Il y a d’abord un effet de discours dominant partagé par tous les médias qui suscite un immense scepticisme. La pandémie a déclenché ce que l’OMS appelle une infodémie, une épidémie d’informations fausses – ce qui n’est pas exactement la même chose qu’une théorie du complot -. Souvent face à un problème, on cherche à qui la faute. Néanmoins, il y a une responsabilité des médias dans le sens qu’ils ont donné la parole à de très nombreuses autorités scientifiques en tout genre qui disaient des choses contradictoires. Ils disaient des choses contradictoires car ils ne croyaient pas les mêmes choses, cherchaient à marquer leur différence, mais surtout parce que la réalité était contradictoire : plusieurs variants, des études de projections et de risques. On disait quelque chose et la réalité changeait le lendemain. Les politiques aussi se sont contredits. Sibeth Ndiaye a dit que personne ne savait comment mettre un masque, les dirigeants se sont montrés parfois optimistes ou pessimistes avant d’être détrompés. Cela nourrit l’impression que les puissants voulaient nous tromper et nous contrôler. Certains discours nourrissent particulièrement cela, comme le Big reset évoqué au Forum de Davos. Klaus Schwab a expliqué qu’il fallait saisir la pandémie comme opportunité pour faire des changements. Cela nourrit le soupçon dans le bloc populaire que les élites profitent de la situation.

Qu’est-ce qui explique que les théories du complot s’installent beaucoup plus dans la société qu’auparavant ?

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Il y a toujours eu des théories complotistes. L’Abbé Barruel écrit au XVIIIesiècle que la Révolution Française est due à un complot des francs-maçons. Néanmoins, on a vu une explosion des théories complotistes avec le 11 Septembre. Et ce parce que l'événement était tellement sidérant et allait tellement contre le discours dominant qui évoquait la fin de l’Histoire. A la même époque, tout le monde peut créer son site Internet. C’est ainsi que Thierry Meyssan diffuse des théories du complot sur Réseau Voltaire. Ce qui autrefois se cantonnait au bistrot se diffusait désormais de manière virale. Les sites Internet sont devenus les réseaux sociaux qui permettent de regrouper des communautés.

Lorsque l’on regarde les discours très monolithiques que les personnalités politiques peuvent tenir sur des sujets comme l’immigration, la mondialisation, la désindustrialisation, l’Europe, l’économie. N’y a-t-il pas dans le manque de nuance de quoi alimenter les théories du complot ? Quels exemples avons-nous pour l'illustrer ?  

Le mécanisme du raisonnement complotiste est le suivant :

- Tout est truqué, les médias et les élites nous mentent.

- Des hommes très puissants dirigent tout en se coordonnant secrètement, rien n’est dû au hasard.

- Ils poursuivent un but commun de domination.

Évidemment, lorsque lesdites élites proclament des choses dont le citoyen lambda voit qu’elles sont contredites par l’expérience, cela nourrit le  soupçon et fait le succès des contre-explications.

Ainsi, quand on découvre que les prétextes de la guerre en Irak (les armes de destruction massive de Saddam Hussein) étaient inventés. Ou lorsque Snowden et Assange montrent la capacité d’espionnage et de dissimulation des Etats-Unis. Ou lorsqu’il y a unanimité médiatique à proclamer que la théorie du grand remplacement est un fantasme, alors que le spectacle de la rue ou du métro semble proclamer le contraire (sans parler des études démographiques américaines qui disent que les « blancs non hispaniques » seront minoritaires aux USA en 2050). Idem pour la mondialisation heureuse ou le « sentiment d’insécurité » : des affirmations typiques de l’idéologie libérale optimiste nourrissent le sentiment que les élites « savent bien, mais veulent nous tromper ». Et bientôt qu’elles ont tout combiné pour accroître leur pouvoir.

Toutes les fois qu’une décision (pass sanitaire ou vaccinal) impose une restriction des libertés, des citoyens tendent à y voir un plan pour imposer une surveillance « à la chinoise ». Les contradictions jouent dans le même sens : voir la façon dont les médias traitaient de complotistes en 2021 ceux qui croyaient que le virus de la Covid s’était échappé d’un laboratoire chinois (la thèse de la transmission par l’animal était jugée raisonnable), alors qu'aujourd'hui c’est la thèse de la fuite accidentelles qui prédomine.

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