Comment les espions de Poutine ont réussi à cacher si longtemps le dopage des athlètes olympiques russes<!-- --> | Atlantico.fr
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Il semble désormais certain que la puissante équipe russe d’athlétisme sera exclue des Jeux olympiques de Rio cet été.
Il semble désormais certain que la puissante équipe russe d’athlétisme sera exclue des Jeux olympiques de Rio cet été.
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THE DAILY BEAST

Même la vieille garde des services secrets russes est embarrassée par les récents scandales impliquant "la jeunesse dorée" du FSB.

Anna Nemtsova

Anna Nemtsova

Anna Nemtsova est reporter pour The Daily Beast. Elle est basée à Moscou.

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Copyright The Daily Beast. Par Anna Nemtsova à Moscou (traduction Victor Salama)

Que le Service de Sécurité Fédérale de la Russie, le fameux FSB, ne soit plus contrôlé, ce n’est une surprise pour personne ici. Mais les dégâts que cela fait à l’image de la Russie dans le monde – et à elle-même – sont incroyables. Le dernier exemple en date : le rôle du FSB dans la tentative de dissimulation du dopage des athlètes russes devant les différentes fédérations sportives internationales. Les agents secrets de Moscou étaient, semble-t-il, très occupés à échanger des échantillons d’urine. Résultat : il semble désormais certain que la puissante équipe russe d’athlétisme sera exclue des Jeux olympiques de Rio cet été. Mais il est très probable que le FSB n’en paiera pas le prix. Et quiconque a un lien avec cette affaire serait très surpris d’être sanctionné. Après tout, on assiste souvent à ce genre de scénario : les institutions russes et ceux qui y travaillent se sentent au-dessus des lois. Et il est facile de comprendre pourquoi. Premièrement, le président russe Vladimir Poutine est un pur produit des services de sécurité russes. Durant les années 1970, 1980 et 1990, Poutine a servi au sein du soviétique KGB puis au sein de son successeur, le FSB. Durant plus de 30 ans, il a été entouré d’officiers ou de vétérans, et il semble évident depuis quelques temps que la vieille garde a formé une nouvelle génération de professionnels qui, comme beaucoup d’héritiers puissants et privilégiés, n’a aucun sens des limites ou de la responsabilité.

Récemment, en plein après-midi, plus de 60 nouveaux agents de la FSB vêtus de chemises blanches ont fait la course dans les rues de Moscou à bord de Mercedes G-Class SUVS. Les futurs agents secrets posaient tranquillement devant leurs caméras, en sachant très bien qu’ils ne respectaient pas le code de la route et mettaient en danger les passants. C’était comme s’ils envoyaient un message au peuple russe : "Nous sommes les vrais maîtres de cette ville, la nouvelle génération, la jeunesse dorée et pourrie gâtée de la Russie. Nous ne serons jamais punis et nous aurons tous les droits dans ce pays". Depuis la guerre des gangs des années 1990, durant laquelle des gangs se tiraient dessus dans les rues de Saint-Pétersbourg ou Moscou tous les jours, les Russes associent la Mercedes G-Class SUVS aux parrains de la mafia. Des coups de feu venant de Mercedes noires, aux environs du Square Isaac ou dans les vieilles ruelles de Saint-Pétersbourg, c’était quelque chose de très commun à l’époque. Il y a à peine 20 ans, seuls les chefs de la mafia et leurs enfants pouvaient se payer une voiture dont le prix avoisinait les 200 000 dollars. Mais les temps ont changé. Les gamins de l'élite se pavanent dans les voitures les plus chères au monde, mettant sur Instagram les photos de leurs Porsche dorées ; les enfants des hauts dignitaires russes flambent en Ferrari ou pulvérisent leurs Lamborghinis dans les capitales européennes.

Le 20 mai, Ruslan Shamsuarov, 20 ans et fils du vice-président de Lukoil, la deuxième plus grande entreprise d’hydrocarbures du pays, a fait la course dans les rues de Moscou avec ses amis à bord d'une Mercedes Classe G, en ignorant le fait que la police les poursuivait. En théorie, le FSB répond aux ordres supérieurs. Jusqu’à très récemment, cette organisation qui compte plus de 100 000 employés, n’avait pas été éclaboussée par les scandales publics dont parle la télévision. Les jeunes officiers qui ont fait la course dans les rues de Moscou ont "trahi les services secrets", a estimé la vielle garde du KGB et du FSB. Mais la vielle garde est responsable de la nouvelle génération. "Ce qui est honteux dans tout cela, c’est le fait qu’il n’y a plus aucune idéologie au sein de l’élite responsable de la sécurité du pays", dit Youri Krupnov, qui a souvent travaillé avec l’Office Russe de lutte contre les drogues et le Conseil de sécurité russe. "Au lieu d’actions héroïques, comme par exemple arrêter des terroristes, les jeunes jouent à qui est le plus riche".

Pendant ce temps-là, le FSB est impliqué dans un scandale international d’une ampleur bien plus grande. Ce lundi, l’Agence mondiale de lutte contre le dopage (WADA), a publié un rapport de 103 pages dans lequel elle confirme que des agents du FSB ont participé à une fraude de grande ampleur durant les Jeux Olympiques de Sotchi en 2014, et que le tout était supervisé par le ministère russe des Sports. Le rapport affirme qu’afin d’aider les athlètes dopés, des agents de la FSB ont échangé des échantillons d’urine présentant des preuves de dopage avec des échantillons sains. Les résultats de l’enquête de la WADA est que plusieurs experts de la lutte contre le dopage ont préconisé de bannir la Russie des Jeux Olympiques à Rio le mois prochain. Jeudi, la Russie a perdu en appel devant le Tribunal arbitral du sport en Suisse (TAS). Il en résulte que tous les athlètes russes impliqués dans le scandale du dopage ne seront pas présents à Rio. Beaucoup en Russie étaient déçus de savoir que leur équipe ne participerait pas aux jeux. Les JO sont le programme télé favori des Russes depuis l’époque soviétique. Les Russes adorent leurs athlètes et même dans leurs pires cauchemars, ils ne pouvaient imaginer la décision du TAS. Un porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères a parlé de "crime contre le sport". Mais l’exclusion semblait inévitable.

"Personnellement, je pense que la sanction envers notre pays est méritée", estime Vladimir Varfolomeyev, le rédacteur en chef adjoint de la radio Eko Moskvy. "J’ai de la peine pour certains athlètes, mais pas pour le système qui est tellement mauvais et dangereux qu’il devrait être changé à la racine et à ce moment seulement, nous pourrons revenir sur la scène internationale". Plus de 40% des Russes considèrent le FSB comme l’organisation la plus efficace pour lutter contre le terrorisme, estime le Centre Russe pour la Recherche sur l’Opinion Publique. Les Russes craignent le FSB. L’agence est connue pour avoir le droit d’arrêter n’importe qui : des musulmans, des hommes d’affaires, des activistes, même des blogueurs. En effet, le FSB harcèle des blogueurs pour avoir "liké" ou posté des commentaires critiques sur les réseaux sociaux. Il y a aussi des rumeurs selon lesquelles le FSB rackette les hommes d’affaires. Il est de notoriété publique que des contacts au sein du FSB peuvent être utiles. Mais maintenant, il semble que le FSB soit à la recherche de cash, selon Boris Titov et son Parti de la Croissance, qui plaide pour une économie libérale et ouverte. "Le FSB semble à court d’argent", dit Xenia Sokolova, membre du parti de la Croissance et candidate aux prochaines élections parlementaires. "Alors maintenant ils s‘attaquent aux petits et moyens patrons, essayant de leur soutirer n’importe quel pot-de-vin pour les sortir de prison". Du non-respect du code de la route au non-respect des règles internationales, le FSB a, consciemment ou pas, contribué à la disparition de l’Etat de droit. "Les officiels du Kremlin donnent l’exemple aux jeunes du FSB et plus tu es proche "du corps" (Poutine), plus tu as de liberté pour faire ce que tu veux", a déclaré au Daily Beast l’ancien responsable KGB Gennady Gudkov. "Regardez le vice-Premier Ministre, (Igor) Shuvalov", dit Gudkov. "Au moment où tous les officiels du FSB sont interdits de déplacements à l’étranger, Shualov vit une vie luxueuse entre ses propriétés de Londres et de Vienne. Ses chiens voyagent en jet privé pour défiler dans des concours internationaux. L’élite politique est totalement déconnectée des réalités du peuple".

La semaine dernière, le Fonds de lutte contre la corruption a publié un rapport sur Olga Shualova, la femme du vice-Premier Ministre Igor Shuvalov. Le rapport épingle ses voyages en jet privé vers les défilés de mode à l'étranger de celle-ci accompagnée de ses trois chiens corgi. Le rapport estime que huit de ces voyages auraient coûté à l’Etat russe la somme de 40 millions de roubles, soit environ 625 000 dollars. Ces dépenses somptuaires de la jeunesse dorée au frais de l’Etat russe rappellent certains abus de de l’ère soviétique. Durant la période soviétique, les "enfants de la nomenklatura" étaient les enfants des cadres dirigeants du Parti Communiste. La star de l’époque était la fille du Secrétaire Général du Parti Communiste Léonid Brejnev, Gallina. Elle a laissé le souvenir d’une femme qui portait de la fourrure, des diamants, des griffes internationales, et qui escaladait les fenêtres des restaurants. Dans la Russie moderne, cette jeunesse dorée est la nouvelle génération des cadres de l’Etat et comme le montre les scandales, la nouvelle génération des officiers du FSB. Le Kremlin a sanctionné ceux qui avaient fait la course dans les rues de Moscou à bord de Mercedes. Les médias d’Etat ont rapporté que ceux qui avait participé à cette parade impromptue irait servir "de l’autre côté du mont Oural". "La punition a choqué les Russes plus que la course elle-même", dit Krupnov. Les dignitaires du FSB ont envoyé les jeunes turbulents à l’est du pays ou en Sibérie, comme si c’était le goulag, mais ce sont ces régions que Poutine souhaite développer.

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